15 novembre 2012

14 - Jean Echenoz

Éditions de Minuit, 128 pages - 12,50 €

Depuis la découverte de Je m'en vais1, ce roman policier qui n'en n'est pas vraiment un, au ton presque inadéquat, innovant, à l'écriture épatamment maniérée, Echenoz n'a aucune difficulté à disposer de mes heures de lecture que je lui accorde du meilleur gré. En consultant sa bibliographie, je m'aperçois qu'à l'exception des tout premiers titres, j'ai tout lu. Dix dans ma pile lue, éventuellement à relire. Aucune difficulté dès lors à entrer dans celui qu'il consacre à la Grande Guerre, qui, dès les premières lignes, malgré la gravité pressentie du motif, me fait éprouver ce frisson d'aise, pareil à celui des premières bouchées d'un plat favori dont on sait qu'il ne décevra pas, depuis le temps qu'on connaît le cuisinier.

Il ne faut pas s'attendre à ce que Echenoz raconte la guerre 14-18 comme on la sait. Il ne raconte jamais comme tout le monde, il se fait fort de prendre la tangente, d'adopter l'angle particulier et inattendu. Bref il surprend et c'est ce qui fait son succès. Dès l'entame, la version visuelle des cloches sonnant la mobilisation est une trouvaille. Puis ce combat aérien, qui nous semble le tout premier de l'histoire auquel nous assistons en privilégiés, avec ce duel au fusil et revolver sorti tout droit d'un western impossible et pourtant authentique, quand on sait le soin mis par l'auteur à se documenter.
Si je veux faire une comparaison artistique, je rattache directement les livres d'Echenoz à la ligne claire en bande dessinée. L'essentiel est distinctement délimité, épuré, très lisible. Le dessin est pur. Citons Hergé (Tintin), EP Jacobs (Blake et Mortimer),... C'est du classique. Cependant là où le sens commun verrait une tranchée dévastée, Echenoz, pour prendre sa mesure du conflit armé, détaille la production d'une usine de chaussures ou le contenu entièrement exhaustif d'un sac à dos de poilu. Prendre le sujet par le flanc, en biais et découvrir des facettes inexplorées. Je me dis souvent avec amusement que Echenoz ne se place certainement pas comme nous face à sa feuille ou son clavier pour écrire, mais qu'il s'assied sur le côté, transversalement. Pour moi, cet homme écrit transversalement et c'est lumineux de ce fait là. Puisque aucun qualificatif n'existe encore, inventons - j'ai bien ce droit pour l'avoir tant lu -inventons échenesque pour définir la prose notoire de ce fidèle des éditions de Minuit.

Son humour est froid et ne prête pas au sourire franc car il recouvre une réalité navrante, voire tragique. D'aucun diront que c'est de mauvais goût. D'autres y verront de l'élégance et du doigté dans le trait: ... Blanche (...) lui a reproché doucement d'avoir maigri pendant ses cinq cent jours de front - sans même songer à décompter, à cet égard, les trois kilos et demi en moins que représente un bras perdu.


Il est un personnage du roman, Charles, hautain, méprisant, qui, et ce n'est pas courant dans le processus de création littéraire, déplaît ostensiblement à l'auteur. Il est assez amusant de voir comment au fil du récit, Echenoz règle son compte à ce personnage, jusqu'à la dernière ligne même. Le lecteur s'en réjouit mais rarement a-t-on de toute évidence autant le sentiment que l'auteur s'en réjouit pareillement. Impression bizarre qui tient sans doute à l'acuité des dents échenesque avec lesquelles Charles est croqué, dans tous les sens du terme.

Arrivé à la fin un peu brutalement, petit regret, un goût de trop peu. Pourtant l'histoire est ronde, il n'y a sans doute rien à dire de plus mais quand on connaît l'aisance imaginative de Echenoz, on se dit qu'il n'aurait pu sans peine lester son texte d'une trentaine de pages, par simple respect du lecteur qui, jusqu'à preuve du contraire, compte (les euros et les pages).

Cette remarque mise à part, un bel opus à ajouter à la constante œuvre échenesque, toujours aussi délassante et clairement manifeste.

1 Prix Goncourt 1999.


Lu au format ePub sur Sony PRS-T1

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