29 janvier 2013

Quadrichromie - Paul Maury


Dès les premières pages, on sent que celui-là aime et sait écrire, a décidé de ne pas le faire comme tout le monde et met son habileté au service de quelque chose de différent. Il ne dit pas tout des événements, il convient d'en imaginer beaucoup, d'ailleurs c'est facile quand on a compris qu'il n'en dirait pas plus, importent d'abord la douleur et les ébranlements glauques sur un ton incantatoire, vrillant la souffrance par les mots, hoquetant l'amertume.

Plongée brève dans un univers intérieur de sang, de perte et de mots — l'écriture perçue comme issue —, pas assez long pour donner le dégoût mais on frémit, le malaise est palpable et Sade n'est pas loin, car l'érotisme prend sa part de confusion. C'est parfois cru, toujours singulièrement bien exprimé. 

Quatre textes compacts pour trente-deux pages intenses.

Dans Un récit, l'individu n'arrive plus à parler, foudroyé qui pense écrire, mais quoi, comment, se prépare à remplir une page, après une tragédie, il y a eu des cadavres, des corps, un accident ? Écrire et lacérer son esprit pour le faire gicler sur ce bon dieu de papier, sur lequel il ne pouvait pas compter, sur lequel il comptait conter. La porte entrouverte incite l'imagination du témoin à coller sa vison sur la détresse. 

Puis vient une sombre réminiscence coupable, un crime, sadique certainement, entre les murs froids et oppressants d'un couloir de métro. Laure — a-t-elle existé seulement ? — une absence douloureuse.

Enfouissement, l'enterrement d'une enfant, on ne dit pas si elle est proche, dialogue muet fantasque avec le corps, la terre et le vent dont le souffle vient peut-être du trou, au fond duquel vous imaginerez le manège du fossoyeur, comme un figurant de mascarade fantastique. Tout le monde écoute ce qu'Amandine ne dit pas et tout le monde la comprend, et tout le monde l'aime ce joli prénom.

Dernier récit, Paraphrase, comme l'écriture automatique, lire et écrire simultanément, dans un lit à côté d'une femme, un enfant à naître, suite de mots sans ponctuation, fil de la pensée, jouir d'écrire sans contrainte ni virgules, livres sur une étagère et auteurs invoqués, les mots se lâchent sans balises et on en comprend le sens comme nous pensons. ... ça continue comme il ne l'aurait pas cru possible c'est la paradis il y est arrivé et il a l'intention d'y rester il ne sait plus si une lecture a déclenché l'écriture probable peut-être non il s'en fout ça n'a pas d'importance ça marche tout seul....

Ce genre d'écrits, brefs et très expressifs, ne tiendraient pas la route pendant trois cent pages. Serrés, presque lapidaires, ils constituent une belle démonstration de littérature novatrice.

Pierre Maury est chroniqueur au journal Le Soir et vit à Madagascar où il est également éditeur. Ce recueil, publié en 1981, a obtenu le prix Charles Plisnier (1983) qui récompense chaque année un écrivain hainuyer[1]. Retrouvez le Journal d'un lecteur et le blog sur Livrehebdo.fr. Ne pas oublier sa bibliothèque malgache: voir Immateriel.fr


Cordial merci aux éditions belges ONLIT de l'avoir réactualisé et de m'avoir transmis le livre numérique, édité simultanément avec trois autres ebooks à un prix démocratique. 



[1] Le Hainaut est cette province du sud de la Belgique, sous Bruxelles.

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