7 avril 2013

Balzac, le roman de sa vie - Stefan Zweig




Je pouvais, pour aborder le roman de cette vie, vous parler de l'immense talent de Stefan Zweig et de l'incommensurable génie du romancier français. Je préfère souligner d'abord le choix de l'illustration de couverture (mouture 1996) du Livre de Poche. Tout y figure sous les quelques traits d'un autre créateur monumental, Pablo Picasso, dans une lithographie de 1952. Le portrait large, l'ambition, la puissance de l'homme, les cheveux comme des ailes d'aigle ou de vautour prêtes à se déployer pour survoler, Prométhée de l'écrit, l'infinie extravagance de la comédie humaine. Les yeux inquiets: ennuis d'une vie inextricable. Les sourcils froncés: forçat devant l'œuvre à bâtir et la société, tout ce qu'il en comprend et veut exprimer dans les milliers de feuillets nécessaires à une tâche digne de le placer à la tête de l'Europe littéraire, tels que le furent Gœthe, Hoffman ou Walter Scott avant lui. Les cinq cent pages de cette biographie figurent dans cette gueule de couverture: un géant gras — voyez ce menton — que la férocité au service du travail d'écriture et une vie néfaste éteindront en à peine un demi-siècle: le dessin d'un homme sur le point d'imploser, dans l'intensité du talent, l'insatiabilité et la détermination. Et la souffrance.




Je ne m'attendais pas, en demandant ce livre à l'occasion de la dernière opération Masse critique de Babelio, à découvrir une œuvre si minutieuse, exhaustive et dense. Et je souris encore en pensant aux mots d'une blogueuse évoquant à juste titre Zweig comme «la Rolls des biographes» : copieux, costaud sont les mots qui me viennent sur le moment. 

Le récit est charpenté en 26 chapitres, de la naissance à la mort de l'auteur. Il se lit effectivement comme un roman et certains seront peut-être contrariés par de nombreux longs extraits de Balzac qui entravent le cours du récit. Il aura fallu une dizaine d'années à Stefan Zweig pour réaliser ce travail, en grande partie sur base, je l'imagine, de la correspondance de l'écrivain. 

Sans cesse aux prises avec l'adversité, les exigences financières, harcelé par ses éditeurs, Balzac poursuit inébranlablement l'écriture de la Comédie humaine. Selon Zweig, il semble que ce soit sous les contraintes que Balzac se soit montré le plus talentueux et le plus prolifique. Comme si la folie de son entreprise et l'adversité qu'elle engendrait étaient nécessaires à son génie. Il a écrit en moins de dix ans plus de septante romans et donné vie à quelques deux milliers de personnages. Qui plus est, il était perfectionniste et il n'était pas rare de le voir réécrire cinq ou dix fois le même passage. Un galérien du manuscrit qui se gavait de café pour éviter ensommeillement. 
Artiste pur et très adroit, il était un homme intéressé et arriviste. Les complications de sa vie, qu'elles soient professionnelles ou sentimentales, en ont fait un personnage idéal de fiction, ce qu'a parfaitement compris Zweig. Ce dernier était aussi conscient de l'importance de Balzac en tant que littérateur essentiel, preuve en est cette biographie immense, à l'image du romancier. Le biographe autrichien propose un texte facile d'accès, moderne et fluide, empreint d'une grande justesse historique et, surtout, l'essentiel selon moi, il avait parfaitement compris l'être qu'était Balzac grâce à un travail minutieux sur base de documents publics et privés liés à l'auteur français.

L'énergie nécessaire à ce labeur de longue haleine trouve forcément sa source dans une grande passion pour l'œuvre balzacienne.

Un des aspects dynamisant du livre est qu'il pousse à lire ou relire Balzac. J'avoue que je n'étais pas un grand lecteur de cet Honoré qui restait pour moi un grand classique de lycée. J'ai d'abord entrepris un texte court, Le chef-d'œuvre inconnu2. Je ne l'ai lâché qu'à la dernière page. Brillante réflexion sur l'art, le démon de la peinture, ses excès, la folie des artistes, l'oubli de l'être cher au profit de la chimère artistique. Picasso est lié à ce texte car il fut invité par son agent à l'illustrer. Quelques détails ici.
Le chef-d'œuvre inconnu de Picasso (1934)
Sur la même lancée, je viens de terminer Le curé de Tours [1]. Un texte prenant d'où émerge le discernement psychologique: nous entrons de plain-pied dans une grande tragédie cléricale où Balzac s'entend fameusement à déceler la monstrueuse hypocrisie. Tout cela roule et coule, intelligent, à travers l'expression de l'intériorité individualiste de prêtres et de vielles filles. 

Vifs remerciements à Stefan Zweig, au Livre de Poche et à Babelio de m'avoir (re)conduit là. 

Voilà une excellente biographie, que tout amateur de Balzac ou de littérature classique du 19ème siècle gagnera à posséder. Ne fût-ce que pour y retrouver le talent d'un auteur, qu'à tort, on estimerait anachronique.


[1] Ebook gratuits si vous le souhaitez: ici par exemple.

Commentaires







2 commentaires:

  1. Et voilà j'ai retrouvé votre billet et je me fais un plaisir de le relire

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    1. Bonne lecture ! Merci d'être revenue jusqu'ici !

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