22 décembre 2014

Dans les cartons de Tom


Traduit du néerlandais (Belgique) par Alain Van Crugten.

Les éditions de la Différence ont à leur actif, depuis 2011, cinq traductions en français de Tom Lanoye, auteur néerlandophone primé en Belgique flamande et aux Pays-Bas. Les boîtes en carton est un titre qui a fait scandale en 1992 en Flandre, à cause de la caricature qu'il fait de prêtres enseignants et par la narration sans ambages de l'éveil sexuel chez un adolescent amoureux d'un camarade. 

Les talents du conteur Lanoye sont indiscutables : sans exagérer le trait, il brosse les figures de personnages inoubliables, parmi lesquels celle qui pourrait bien être à l'origine de toute littérature, la babillarde Pit Germaine (Pit diminutif de Petemoei, marraine) : de tout ce qu'elle voit et entend, elle fait un mythe,  et de tous ces mythes réunis une fresque inégalée. Ou, comme le formule souvent mon père : même quand elle dort, elle continue à raconter. Ou encore le professeur de néerlandais, surnommé Mussolini, rédacteur de chants et textes pour le pèlerinage de l'Yser, qui n'enseignait que ce qu'il jugeait nécessaire et dont la réputation de poète était telle que les inspecteurs préféraient ne pas assister à ses cours, pour éviter de le blâmer pour non-respect du programme : il incarnait le désir de transcrire le monde en mots pour que le monde se dépasse lui-même. Si vous ne deviez lire que cinq ou six pages de ce livre, choisissez celles (pp 121-126) où se racontent les pèlerins de ce rassemblement de l'Yser, où il est question de braves petits Flahutes et du Westhoek aplati sous les obus de mortiers.

Photo : Michiel Hendryckx

Lorsque, troublé, il ouvre ses cartons emplis de photos souvenirs, de mots simples et sans tabou, de mélancolies et de muscles lisses, le narrateur prend le risque d'émouvoir, et si, désarmant de candeur, il dépeint sans rougir quelques scènes de dortoir pour garçons, on se dit que voilà un écrivain sincère et naturel que nous laissons à regrets lorsque ses souvenances ont livré leur part de blues. Au terme, le voilà qui nous remercie pour notre patience, notre disponibilité, pour notre existence nécessaire dans l'ombre de sa création.
Chapeau ! monsieur l'auteur du nord, digne successeur d'Hugo Claus, et si votre région, parfois, n'a plus l'air de faire complètement partie de notre pays, on le regrette sûrement en vous lisant.

En attendant, pour ma part, de me tourner vers La langue de ma mère dont vous trouverez une chronique sur Textes&Prétextes qui rappelle que les mots y sont à la fête.

Voir le site de Tom Lanoye.

10 commentaires:

  1. J'ai repéré l'auteur chez Tania mais pas encore tenté l'aventure, il semble que les lettres flamandes ont trouvé là à qui parlé

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    1. Lanoye a beaucoup de cordes à son arc, roman, théâtre, poésie, critiques. J'ajoute dans le billet, le lien vers son site.

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  2. Voilà un livre que je vais commander (l'autre aussi d'ailleurs). Aucune traduction en espagnol, ça ne m'étonne pas, peut-être, qui sait, à télécharger pour mon Kindle.
    Talent de conteur dites-vous, super. Le sujet des collèges de garçons, des perversités de certains prêtres (ou religieux) a été traité au cinéma par Almodovar.
    Merci d'en parler si bien, merci aussi pour les liens.
    Je vous souhaite de joyeuses fêtes, saluez amicalement Annie de ma part aussi.

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    1. Vous évoquez "La mauvaise éducation" d'Almodovar, je ne l'ai pas vu celui-là.
      Dans le livre de Tom Lanoye, il ne s'agit pas du tout de prêtres pervers, mais de religieux enseignants rudement caricaturés sur un ton mi-nostalgique, mi-satirique. Pas de perversité non plus chez le narrateur ouvertement homosexuel, mais une écriture libre et naturelle qui cloue au pilori les langues de bois (homosexualité, masturbation).
      En ebooks, j'ai vu chez Decitre "Les boîtes en carton" et "La langue de ma mère" sur Amazon mais le prix n'est pas donné, pour aucun des deux.

      De joyeuses fêtes Colette, Annie se joint à moi pour vous les souhaiter heureuse en famille (le voyage en Asie est fini je suppose) et dans la joie de voir venir une année pleine de promesses de bonne santé.

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  3. Comme Dominique, j'ai croisé cet auteur chez Tania, sans l'avoir encore lu. Ma bibliothèque possède "la langue de ma mère". A suivre ..

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    1. Si vous lisez "La langue de ma mère" (avant moi ou pas), j'espère que vous nous en parlerez. Je crois qu'il vaut le détour.

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  4. Pas encore lu celui-ci, mais votre billet me donne fort envie de poursuivre mon chemin de lecture avec Lanoye. Vous avez raison, parfois quelques pages valent la peine d'ouvrir un livre, quelques toiles, d'entrer dans un musée.

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    1. Je trouve que les traductions sont très soignées, grâce au bon travail de Van Crugten certainement.

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  5. Voilà! Après quelques recherches sur google, qui m'amènent à une citation, j'arrive sur le billet! Sans doute n'avais je pas eu assez de persévérance quand j'ai cherché votre billet lors de l'écriture du mien. J'ai donc pu compléter les liens vers le billet d'origine. Lecture/écriture me permet de trouver des avis, c'est vrai qu'ensuite il faut fouiner.
    Pour en revenir à Tom Lanoye c'est vraiment intéressant, ce côté flamand que je découvre! Sans doute ce récit a fait scandale à l'époque, maintenant on en a vu d'autres (et ses profs prêtres sont moins pire que ceux qui défraient actuellement la chronique)

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    1. Bienvenue sur marque-pages Keisha ;-)
      Je ne suis pas certain que ce livre ait tant fait scandale finalement, ce devait être dans les années 90 en Flandre. Il y a un côté "nature" chez cet auteur qui le rend sympathique quoiqu'il raconte.

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