10 décembre 2015

Débuts à Minuit

L'héroïne est Fauville, Deck est l'auteure. 

Le problème avec ce genre de livre policier – meurtre et coupable désigné – est qu'on ne sait trop donner d'avis sur l'intrigue sans révéler l'essentiel. Je me tairai donc sur ce qui me gêne au-delà de la louable volonté de singularité de Julia Deck. Le dénouement est surprenant, salvateur dirais-je, tandis que l'incipit prend le lecteur par les épaules pour le plonger dans le drame jusqu'au cou : avec la deuxième personne du pluriel, vous devenez Viviane Fauville, séparée de son mari, seule avec sa fille de douze mois, dépressive et meurtrière de son psychanalyste d'un coup de couteau de cuisine.

On aurait voulu éprouver de l'empathie pour s'inquiéter de cette âme de pierre éperdue qui trimbale son bébé comme un sac de sport ... Entre le début engageant et le coup de théâtre final, tout s'enlise dans les égarements d'une femme névrosée au comportement flou et inexplicable. Le pas est vite fait de flou à fou, d'ailleurs Julia Deck a voulu d'abord lire Beckett, car «personne ne parle mieux de la folie que lui : il se place à l'intérieur du chaos, il lui rend une cohérence». 

Pour un premier roman, faut-il porter un avis sévère ? D'autant que l'éditeur aurait élagué beaucoup le manuscrit, ce qu'elle a la loyauté de reconnaître. On trouvera le livre réussi ou pas selon l'humeur, peut-être. On était quand même loin, en 2012 chez Minuit, de la révélation de la rentrée littéraire annoncée dans les titres de la presse Internet. D'une écrivaine prometteuse, on voudra cependant lire l'étrange récit "Triangle d'hiver" (2014), second roman de Julia Deck, où l'on retrouve l'errance hallucinée d'une jeune femme. 

Les premières pages ici ou cet extrait de Viviane Élisabeth Fauville :

"Vous sortez deux œufs du frigo, un bol du placard au-dessus de l'évier pour battre une omelette. L'omelette, on croit qu'il la faut lisse, et l'on se trompe. C'est l'art d'à peine instiller le blanc dans le jaune, de les saisir à point. Vous avez souvent observé votre mère battre l'omelette. Ses instructions se sont gravées dans votre mémoire, et c'est bien le moins parce qu'à cela se résument vos talents domestiques. Vous avez fait des études, une belle carrière professionnelle. Ces activités laissent peu le temps de devenir une parfaite maîtresse de maison. Vous le regrettez car, car à vos heures de désarroi, vous écouteriez le premier venu, et il se trouve encore des gens pour affirmer que c'est ainsi qu'on garde un mari."

13 commentaires:

  1. Pas du tout convaincue, non plus, par son "triangle d'hiver"...

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    1. Votre commentaire était dans les spams, bizarre.
      Allez, tant pis pour Deck, on passe à autre chose.

      J'ai vu votre intérêt pour Yoshimura. Curieusement c'est par le cinéma (Yasujirô Ozu, Kore eda,...) que je m'intéresse aux écrivains orientaux. J'espère trouver le temps de m'y aventurer plus.

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  2. Pas fort attirée par les romans policiers, je laisserai celui-ci sur le côté.
    (Hors propos : j'ai pensé à votre billet sur Eugène Savitzkaya à l'annonce du prix Rossel pour "Fraudeur".)

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    1. Ah oui, un prix qui fait plaisir. Le ténébreux poète mérite bien une place aux côtés des Goffette, Bauchau et consorts avec ce livre sensoriel et une œuvre vivifiante.

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  3. Décidément vous avez prix un abonnement chez Minuit :-)

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    1. Je vous assure que je ne perçois aucunes royalties :-)

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  4. Yoshimura, ah oui ! Immense écrivain... œuvre sombre, nouvelles très fortes, dont certaines vous poursuivent longtemps après lecture... et son roman "Le Convoi de l'eau", extraordinaire!

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    1. C'est noté !
      Je sens que je vais encore postposer mon projet Faulkner ;-)

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    2. Chère Pascale merci, je note le convoi de l'eau !

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  5. Minuit est un éditeur qui propose des livres intéressants, mais ensuite on aime ou pas. Vous me détournez de l'auteur (mais j'ai toujours Ravey dans mes listes...)(Toussaint est en sursis)

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    1. La plupart du temps, je réussis bien avec Minuit, j'aime le style, le ton, l'effort pour sortir des sentiers battus. Il y a des perles chez eux. On est plus dans l'esprit du nouveau roman, pris dans un sens très large; mais il ne s'agit pas de (re)lire "Les gommes"...

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  6. Je lis que vous avez un projet Faulkner? Une blogueuse veut m’entraîner avec le bruit et la fureur, mais on n'a pas vraiment de date.

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    1. J'ai lu il y a longtemps deux ou trois romans de Faulkner, j'avais le projet de m'y consacrer plus en commençant par "Le Bruit et la Fureur" assorti (nécessairement selon moi, car c'est un livre difficile) du Foliothèque de François Pitavy (dont rien que le préambule permet de s'y aventurer plus à l'aise). 
      J'ai acheté les livres, j'ai commencé mais mes occupations, mes autres hobbies, ma vie tout simplement ont leurs impératifs et les objectifs s'y adaptent. Je ne sais pas encore quand je m'y mettrai, mais l'idée est de bien plonger dans l'œuvre de l'américain pour plusieurs romatns et nouvelles.
      Là je pars en vacances cette après-midi et je n'emporte toujours pas Faulkner...

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