9 août 2017

Exercice pour le soir

Arrête-toi. Au lieu de haleter de seconde en seconde
Comme un torrent de roc en roc dévalant sans vertu,
Respire
Plus lentement et sans bouger, les pieds croisés, les mains jointes,
Regarde, comme si c'était le monde tout entier,
Un objet, menu et domestique, par exemple 
Cette tasse

Néglige sa courbure, ce bord ondulé, des dessins bleus.
Ne considère que l'intérieur, cette cavité blanche, cette surface
Lisse
L'eau n'est lisse ainsi que les soirs de grand calme
Après une journée qui rassemble et retient son bonheur
Au centre du silence où s'arrête son souffle.

Peux-tu nommer un jour, une heure, sans reflets d'hier,
Sans impatience de demain, où ton âme fut ainsi
Lisse ?
N'écoute pas ton cœur, ne compte pas ton pouls, ne songe pas
Au temps qui vers la mort te traverse, mais seulement
En arrêtant ton souffle regarde cette pure et seule qualité
De lisse.

Si maintenant tu apprenais à fixer ton regard, ta pensée
Ton âme sans ciller sur quelques centimètres carrés de
Lisse,
Peut-être alors, sans fuir le monde, sans éviter les femmes,
Sans changer d'état, de pays, de nourriture,
Pourrais-tu espérer un jour commencer à comprendre
Le monde entier.
...


P-A Renoir (1900)
Texte repris dans "Le 1", hebdomadaire au format inhabituel. Journal d'idées pour lecteurs pressés, il existe depuis plus de trois ans, mêle l'imaginaire et le rationnel, propose un seul thème par numéro. Le hors-série (Été 2017) Comment débrancher? (en vacances) est consacré au lâche-prise.


12 commentaires:

  1. Excellent exercice pour moi cet été. Je viens de m'inscrire pour recevoir un numéro gratuit du 1, merci pour les liens et la jolie nature morte de Renoir. Bonne journée.

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    1. Nous en avons tous besoin, par moments...
      J'espère que le journal vous plaira. Je l'achète de temps en temps, varié, instructif et agréable.

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  2. "Lisse" comme une formule d'Einstein:
    "C'est la théorie qui décide de ce que nous sommes en mesure d'observer" (Conversation avec Heisenberg en 1926)

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    1. Selon cette formule d'Einstein, la théorie n'est pas fondée sur les grandeurs observables, c'est le contraire qui se passe.
      Je lis aussi chez François Roussillon (psychanalyste) :"Sans une «préorganisation» théorique du réel, nous ne serions en mesure de voir qu'un chaos informe, inobservable".
      Il est amusant (et difficile) d'observer un objet en tentant d'oublier sa fonction, son sens, faire abstraction de tout ce que nous en savons pour n'en voir qu'une image «neutre». C'est une expérience que conseillent parfois les personnes qui guident relaxations et méditations.

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  3. Oh, UN JOURNAL POUR RALENTIR ET RÉFLÉCHIR , quelle excellente idée, tout va si vite, du moins me semble-t-il à mon "grand "âge.
    Un joli poème, cette invite au lisse, à son observation, on s'en souviendra.
    Merci!

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    1. Je regardais une publicité où une jeune femme sort de son boulot et court à travers la ville, sur les toits des voitures dans les bouchons, sauts d'obstacles à perdre haleine, pour arriver chez elle haletante et poser un baiser sur la tête de son enfant endormi.
      Puis elle se connecte à son banquier, image et son en ligne : publicité pour la banque branchée.
      Ne plus «avoir le temps» est la norme, c'est consternant.

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  4. J'ai déjà acheté le journal, ponctuellement. Je vais chercher ce numéro d'été, en espérant qu'il est encore en vente.

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    1. Je l'ai acheté fin juillet, vous devriez encore le trouver. Comme vous, je compte l'acheter ponctuellement. Je ne m'abonne à rien, sans quoi je croulerais sous les magazines non lus...!
      À bientôt Aifelle.

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  5. Cela m'intéresse. Je vais me renseigner pour me le procurer. J'ai lu il y a quelques temps un livre de Jean-Paul de Dadelsen mais ce n'était pas des poèmes.
    Bonne journée.

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    1. Si vous ne pouvez vous procurer "Le 1", le texte est extrait du recueil "Jonas" de Dadelsen.
      Je ne connais que deux recueils de poèmes de l'auteur, sinon "Goethe en Alsace", en prose, qu'il est possible de télécharger en PDF sur la Toile, celui que vous avez lu peut-être ?

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  6. Je ne connaissais pas du tout ce journal ! et à lire le poème proposé, je vais y remédier... merci pour ce billet :-)

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    1. Il faut avoir le bras long pour lire "Le 1" : déplié, 84x62 cm
      :-)

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