17 janvier 2018

Limites du cinéma

... on peut se borner à relever certains traits propres au cinéma, traits qui correspondent à autant de limites. L'essentiel tient en une phrase : les images du cinéma sont si fortes, si prégnantes qu'elles bloquent l'imagination sur elles-mêmes alors que les images de la littérature permettent des lectures successives et d'innombrables interprétations. De là qu'un film supporte assez mal d'être revu plusieurs fois, alors qu'un livre supporte – et même exige – d'être relu. De là que chaque génération reconstruit à son gré Antigone ou La Chartreuse alors que tout film est figé en lui-même et apparaît assez vite comme une pièce de musée. Remarquez que les images de la peinture sont aussi libres que l'œuvre littéraire et permettent autant de lectures. Le spectacle de la toile s'impose à l'œil comme le cinéma, mais il ne bride pas l'imagination. Pourquoi, alors qu'il est aussi regard ? On en arrive à une autre singularité du cinéma, c'est qu'il ne peut s'affranchir de l'histoire racontée. C'est la combinaison de l'histoire et du regard qui constitue la force et la faiblesse du cinéma. La peinture, c'est le regard sans histoire ; le roman, c'est l'histoire sans le regard. Dans les deux cas, vous reconstruisez tout à votre gré, vous jouez comme vous voulez avec l'imagination. Quand l'histoire et le regard se rejoignent, on peut se distraire, on peut rire, pleurer et même rêver mieux que partout ailleurs – mais on est prisonnier de l'image.

Jean d'Ormesson - Garçon de quoi écrire (entretiens avec François Sureau, 1989)



8 commentaires:

  1. Tentée par ces entretiens, ce titre - extrait parlant, si j'ose dire.

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    1. Pas beaucoup de dames dans ces dialogues. Et la vie amoureuse est tout à fait tue. Ses romans en sont peut-être un reflet ? Il semble que oui, dans les débuts, une grande déception.

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  2. Noté, car existe dans le magasin de ma bibli! (tiens, on a sorti les autres, assez empruntés, mais pas cette vieillerie...)
    Si tout le reste est de ce genre, je vais me régaler!

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    1. J'ai préféré opter pour un livre d'entretiens, très attachant.
      Pivot (qui conseillait dans la GL "Garçon de quoi écrire") a dit à propos de d'Ormesson : "Sa signature était-elle à la hauteur de sa notoriété? Sûrement pas. Il savait très bien que les grands écrivains sont les écrivains qui parlent du malheur et des horreurs du monde. Il parlait du chagrin, mais avec beaucoup de vivacité, de gaieté, un peu comme Blondin, que je range dans la même famille, ou Sagan, d'une certaine manière."

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  3. Je n'aime pas du tout les films tirés d'un livre, car il me semble impossible ensuite de lire ceux-ci. Les personnages ont déjà un visage, les paysages sont déjà dessinés.
    Il y a eu des exceptions : "Le monde selon Garp", qui m'a fait découvrir l'oeuvre de John Irving ou "Out of Afrika" celle de Karen Blixen.
    A l'inverse des films m'ont tellement comblée, qu'il m'a semblé inutile d'aller plus loin : "Le Guépard" est l'un de ceux-ci, ou "L'insoutenable légèreté de l'être". Bonne journée Christian.

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    1. Vraiment très rare pour moi de passer au livre après le film. Je n'ai aucun souvenir de l'avoir fait. L'inverse, voir un film après le roman agit un peu comme lorsque dans les livres d'avant, l'on tombait sur une illustration qui ne correspondait pas du tout à ce que notre esprit avait conçu.
      Revoir un film par contre, je le fais parfois, et autant sinon plus que relire un livre. Je parle de fictions bien entendu. Mais je trouve que d'Ormesson voit juste en disant que les films vieillissent beaucoup plus vite que les romans.
      Bonne semaine Annie.

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  4. Comme je te l'ai déjà dit, la forme "entretiens" me plaît beaucoup ! Et pour ce qui est de la citation de M. D'Ormesson, il y a des arguments un peu rapide je trouve. Par exemple lorsqu'il affirme qu'un film supporte moins bien d'être revu. Cela reste à prouver. J'ai vu et revu "Un Dimanche à la campagne" de Tavernier sans me lasser une seule fois... Je n'ai lu qu'une fois le roman de Bost dont il était adapté. Et pourtant, je suis plus littéraire que "cinéma"...

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    1. Je suis content que quelqu'un réagisse de la sorte, les analyses de d'Ormesson ne sont pas nécessairement profondes. Et cela rejoint ce qui est dit dans le billet, il reste à la surface des choses, de façon agréable certes mais il ne peut prétendre, par exemple, au qualificatif de véritable philosophe.
      Et concernant "Un dimanche à la campagne", je le reverrais volontiers une quatrième fois ! C'est quand même exceptionnel, pour moi qui reste d'avis qu'un film vieillit plus vite qu'un livre.

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