22 juin 2012

Des hommes malades des animaux - Collectif


​Cahiers d'anthropologie sociale - Éditions de L'Herne – 180 pages

Voici un recueil scientifique collectif qui s'adresse aux amateurs d'anthropologie intéressés par l'analyse des comportements liés à la transmission de maladies des animaux aux humains. Néanmoins, grâce à la méthode exhaustive avec laquelle les co-auteurs internationaux (des chercheurs et professeurs anthropologues ou ethnologues) approfondissent chaque sujet, se trouve rassemblée là une quantité considérable d'informations qui captivera tous ceux qui se préoccupent des liens tissés dans les sociétés modernes, de leurs causes et de leur fonctionnement, qui nous concernent tous.

De plus, les conclusions présentées ont de telles ramifications sociales et spéculatives qu'on peut parler de travaux de portée universelle tant ils suscitent de réflexions sur notre humanité et son évolution.

Ce cahier d'anthropologie sociale reprend une introduction de Frédéric Keck et dix rapports scientifiques récents dont l'un est la réédition d'un texte de Claude Lévi-Strauss. Chaque étude est assortie d'un abstract bilingue français/anglais et des références bibliographiques d'usage. Présentation claire et soignée.


Dès les premières pages, on découvre l'importance des sujets à un niveau global : face aux nouveaux microbes (souvenons-nous des récents virus H5N1 et de H1N1), comment nos sociétés, les autorités, les éleveurs se comportent-ils ? Comment des penseurs tels que Claude Lévi-Strauss se positionnent-ils ?

L'intérêt d'une vraie publication scientifique est qu'elle quitte les inquiétudes médiatiques pour livrer une réalité non passionnée. On lit par exemple que les zoonoses (maladies transmissibles naturellement aux humains) ne justifient pas l'obsession d'une pandémie meurtrière alimentée par notre civilisation de la peur. De même, il n'est pas pris position pour ou contre la vaccination animale: il est simplement fait le constat que certains s'y opposent par méfiance vis-à-vis des firmes pharmaceutiques ou par le souci de mange bio.


Voici un aperçu rapide de quelques études présentées qui ont retenu mon attention.

La grippe aviaire est au centre de quatre articles : elles révèlent comment les acteurs locaux ont réagi à cette alerte et comment celle-ci traduit les transformations récentes des relations entre hommes et animaux.

Une chercheuse française étudie la référence à la grippe aviaire dans les groupes de défense des droits des animaux : ceux-ci recourent à certains types d'images révélateurs d'une identification à ceux-ci. Montrer par exemple le visage d'un animal entraîne qu'on le voit davantage comme un sujet humain avec les conséquences émotionnelles qui en découlent. Comprendre ceci permet de mettre le doigt sur le sens de la branche anthropologie sociale.

Suite à l'émergence du virus H5N1, une publication s'intéresse aux mesures sanitaires imposées dans les ''marchés vivants'' de Hong-Kong puis compare l'attitude différente de groupes taoïstes et bouddhistes face à des associations d'environnementalistes et d'ornithologues. Le point de départ de l'étude est la définition de la biopolitique de Michel Foucauld comme pouvoir de ''faire vivre et laisser mourir'' (priorité à la vie avec masques, antiviraux, vaccins, quarantaines mais rien pour les zones moins exposées du globe) par opposition au pouvoir souverain qui consiste à ''faire mourir et laisser vivre'' (abattages massifs, rituels sanitaires).



Une étude des virus émergents dans la vallée du Nil en Égypte éclaire le contexte colonial et post-colonial dans lequel l'objectif d'éradication des maladies vectorielles a été remplacé par un dispositif de surveillance par les population locales.

L'élevage de rennes en Sibérie a subi des mutations au 20è siècle, de la collectivisation à la privatisation après le régime soviétique avec remise en question des équilibres et des techniques. On explique la disparition de 90% des rennes par leur redistribution aux membres des sovkhozes qui ne savaient plus s'en occuper, suite à la gestion très technologique par des spécialistes sous le régime collectif.

Au départ d'une étude sur des chiens dépressifs au Brésil, Claude Lévi-Strauss commente les spéculations d'un médecin contemporain sur les analogies entre la croissance des sociétés humaines et le développement des cellules cancéreuses. Il explique à quelles conditions un modèle emprunté au vivant peut servir à résoudre les problèmes de l'origine du langage et de l'origine la société. Ceci s'inscrit dans le cadre plus large de débats récents en anthropologie. Dans ces nouvelles perspectives, les animaux ne seraint plus des marchandises à échanger dans un commerce libre, ni des cobayes pour une expérimentation sociale, mais des sentinelles dans des systèmes d'alerte précoce.

On le voit, les travaux rapportés dans ce livre volent haut et s'éloignent de préoccupations sanitaires terre à terre. Se placer sur ce plan élevé demande certes un effort au lecteur, mais permet d'ouvrir son horizon et évitera peut-être à l'avenir de proférer des idées simplistes sur des problèmes de cette nature. Des opportunités de choix qui donnent une valeur signifiante à cet ouvrage.

Je remercie Babelio et les éditions de l'Herne de m'avoir transmis cette publication instructive.

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