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Vincent Almendros (2024 - 144 pages) |
- "Ma chère Lise" (Minuit, 2011).
- "Un été" (Minuit, 2015).
- "Faire mouche" (Minuit, 2018).
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Vincent Almendros (2024 - 144 pages) |
[Amélie raconte à son amoureux comment, perdue dans des monts enneigés, elle a fini, au sommet d'une crête, par apercevoir, fascinée et soulagée, le Mont Fuji qui lui indique la direction à suivre.]
"Rinri éclata de rire parce que j'ouvrais les bras au maximum pour lui montrer les dimensions du volcan. Il y a une impossibilité technique à raconter le sublime. Soit on n'est pas intéressant, soit on est comique."
Amélie Nothomb - "Ni d'Ève ni d'Adam" (2007)
"– Tu sais ce que l'on découvre en vieillissant, Jeannot ?
C'était la première fois que monsieur Salomon me tutoyait et j'en ai éprouvé une vraie émotion, je ne l'avais encore jamais entendu tutoyer personne et j'aimais sentir qu'il se penchait ainsi sur moi avec amitié.
– On découvre sa jeunesse. Si je te disais que moi, ici présent, Salomon Rubinstein, je voudrais encore m'asseoir dans un jardin, ou peut-être même un square public avec peut-être des lilas au-dessus et des mimosas autour, mais c'est facultatif, et tenir tendrement une main dans la mienne, les gens tomberaient de rire comme des mouches.
On s'est tu tous les deux sauf que moi je n'avais pas parlé du tout."
Romain Gary - "L'angoisse du roi Salomon" (1979) [p.73]
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©AFP - ULF ANDERSEN / AURIMAGES |
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Folio n° 1797, 350 pages |
"L'angoisse du roi Salomon" est le quatrième et dernier roman que Romain Gary publia en 1979 sous le pseudonyme Émile Ajar. Ce roman rappelle "La vie devant soi", avec une écriture drolatique, de la fausse naïveté et un humour empreint de gravité.
Salomon Rubinstein, qui fut un roi du prêt-à-porter, est un Juif très riche. Arrivé à un âge vénérable, il a fondé une petite communauté, S.O.S. Bénévoles, qui comprend quelques dévoués et un standard téléphonique pour aider ceux qui sont en déprime, dans la pauvreté ou qui ont simplement besoin de mots réconfortants pour éviter d'en finir. Obsédé par l'idée de vieillir, encore bon pied bon œil à 85 ans, le roi Salomon, prodigue tout le bien qu'il peut, offre des cadeaux et aide financièrement les personnes qui sont dans la dèche.
Il emploie une voiture-taxi pour rendre visite à ses protégés et leur envoyer ses bienfaits. À cette fin, il recrute un chauffeur, Jean, homme d'une candeur sidérante, qui s'exprime en phrases sinueuses, malhabiles, mais tout en poésie et bonté, prêtant à sourire mais touchant le cœur.
La troisième personne du roman est Cora, ancienne maîtresse de Salomon du temps où elle faisait une petite carrière de chanteuse, dans les années 1920-30. Pendant la guerre, elle tomba amoureuse d'un autre homme, un collabo, mais ne dénonça jamais aux nazis Salomon Rubinstein qui se cachait dans une cave des Champs Élysées. Le vieil homme ne peut lui pardonner de l'avoir abandonné pour un autre, mais il veille sur elle.
Un jour, il envoie Jean chez Cora lui porter des fruits confits de Nice et notre Jeannot bienveillant découvre en cette dame touchante – 65 ans annoncés, 70 effectifs – un motif de faire du bien : sans l'aimer, il finit par avoir une liaison physique avec elle. Cette accointance avec Cora est un amour «en général», explique-t-il, parce qu'il n'est pas amoureux de la vieille femme, il ne l'en aime que plus. Jean donne son affection parce qu'il sent la nécessité de requinquer Cora, il veut compenser l'amertume de la vieille gloire, qui prend encore des poses de demoiselle, une dame dans laquelle il sait deviner la jolie jeune fille sur laquelle on se retournait. Jean, pas plus que Salomon, n'acceptent que quiconque souffre des désespérances de l’âge.
"C'est de l'amour, mais qui n'a rien à voir avec elle", tente d’expliquer Jean, pour évoquer ce qu'on désigne par amour du prochain.
Ce faisant, Jean est au fait de l'amour éternel et de la rancune de son patron pour Cora, et il sait l'amour que celle-ci voue à Rubinstein. Alors, ces vieux amants sombreront-ils ou vivront-ils un conte de fée ?
De la langue parlée de Jean, Cora dit : "Tu as une curieuse façon de t'exprimer, Jeannot. On dirait que tu dis toujours autre chose que ce que tu dis." [p.240] Car Jean, pour le grand plaisir des lecteur.rice.s, a sa manière de dire les choses :
"... il y avait toujours toutes sortes de questions que je voulais lui poser [à Cora] mais elles ne me venaient pas à l'esprit et restaient muettes. On ne peut pas le résumer en une question ni même en mille quand ça ne vient pas de la tête mais du cœur, là où on ne peut pas articuler." [p.105]
"Quand on aime comme on respire, ils prennent tous ça pour une maladie respiratoire." [p.159]
"Et quand tu es heureux, mais alors ce qu’on appelle heureux, tu as encore plus peur parce que tu n’as pas l’habitude. Moi je pense qu’un mec malin il devrait s’arranger pour être malheureux comme des pierres toute sa vie, comme ça il n’aurait pas peur de mourir." [p.241]
L'ADIEU
J'ai cueilli ce brin de bruyère
L'automne est morte souviens-t'en
Nous ne nous verrons plus sur terre
Odeur du temps brin de bruyère
Et souviens-toi que je t'attends
G. Apollinaire, 2012 - "ALCOOLS" (Édition de Didier Alexandre)
Les heures sont lentes. J’abandonnerais volontiers celles qui me restent. Si je pouvais mourir comme est morte Jeanne… Mais il est difficile de me tuer. On a retiré de ma cellule tout ce qui pouvait me blesser. C’était bien inutile, car, en aucun cas, je ne consentirais à me faire du mal… Des cachets, ça irait. Mais je ne veux pas attirer des désagréments à un employé d’ici, en tâchant de me procurer un soporifique. [...].
Un souvenir de jeunesse…
J’avais dix ans. J’étais allé pour quinze jours chez un de mes oncles qui habitait une ville de l’Est.Le matin du jour où j’arrivai, il y avait eu dans ce chef-lieu une exécution capitale.Nous étions allés, mes cousins et moi, sur une grande place que l’on appelait champ de foire ou champ de Mars. Les bois de justice avaient disparu peu de temps après l’aube. Mais un groupe s’était formé, nourri et grossi par de nouveaux curieux, qui regardaient l’endroit où cela s’était passé.Autour de la place s’étaient installés des marchands de glace à la vanille.Mon oncle préféra nous conduire chez le pâtissier de la Grande-Rue, que les gens de ce pays considéraient comme unique au monde.Ce fut une journée glorieuse. Nous étions fiers de ce que nous avions vu. Nous éprouvions le même orgueil quand nous nous trouvions en présence (avec une grille entre eux et nous) d’un lion ou d’un tigre royal.Tristan Bernard - "Aux abois : journal d'un meurtrier" (1933)
"L’ambiguïté qui entoure ce personnage [Duméry] réside dans son caractère inoffensif.""Les destins de Duméry, Meursault et Haroun subissent la fatalité du feu croisé d’un crime ; ployant sous la solitude et l’ennui, ils ne parviennent guère à s’en défaire. Leurs crimes sont élucidés mais les mobiles demeurent singuliers. Comment un personnage tel que Duméry, lucide, consciencieux, a-t-il pu commettre un meurtre ?"
Dans l'entrée, elle jeta un regard à la canne posée contre le mur, mais sans rien dire. Et juste avant de franchir le seuil, comme je lui ouvrais la porte, elle tira de son sac un livre, qu'elle me dit avoir trouvé en France chez un bouquiniste : Le Grand Meaulnes.
– Tu l'as sans doute déjà, me dit-elle, l'air un peu embarrassé.
– Je ne saurais pas le retrouver... Tu vois : ce n'est pas rangé.
Je n'avais pas dix-sept ans lorsque j'avais lu ce roman. Pour la première fois, un texte m'avait ému aussi puissamment que la vie réelle. Étonné, je pris le livre en la remerciant.
Pourquoi cet ouvrage et pas un autre ? Il était l'un des deux ou trois que j'aurais gardés si j'avais dû abandonner ma bibliothèque, mon logement. L'énigme insoluble du temps, cet écoulement des jours vers le néant, le retour en arrière impossible, l'inexorable dégradation de ceux qu'on chérit et qu'on voudrait retenir, ces thèmes complexes, déchirants, ne m'avaient pas quitté depuis ma jeunesse. Sonia n'avait pas le pouvoir de lire dans mon esprit ; la seule réalité que nous partagions était dans cette contiguïté intermittente de nos vies, la mienne fatiguée, l'autre en sa maturité. Ce livre choisi sur son intuition signifiait-il qu'elle aussi se représentait le labyrinthe des chemins entre nous, et comme moi peut-être trouver un passage ?
Michel Levy - "Sonia ou l'avant-garde" (2024) [p 230]
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Michel Levy Éditions Infimes, 2024 250 pages |
"Tant qu'un homme pourra mourir de faim à la porte d'un palais où tout regorge, il n'y aura rien de stable dans les institutions humaines." (Eugène Varlin, ouvrier relieur, élu de la Commune de Paris, assassiné en mai 1871). [p 33]
"Je ne vois pas ce que l'inutilité ôte à ma révolte, et je sens bien ce qu'elle lui ajoute." (Albert Camus, Carnets, 1962) [p 171]
Selon la doxa omniprésente, aucune insurrection n'arrivera à ses fins, car les esprits sont conditionnés par le martèlement de trois axiomes [p 202-203] :
"Je conservais la certitude que l'idée collectiviste et le tropisme vers une telle société étaient innés en l'homme et indéracinables, que cette aspiration participait du caractère unique de notre espèce qui avait depuis des millénaires cherché par la solidarité à s'émanciper de ses instincts prédateurs." [p 161]
"La fortune des dix personnes les plus riches – dont neuf sont des hommes – a augmenté de quatre cent treize milliards de dollars l'année dernière. C'est onze fois plus que ce que l'ONU estime nécessaire pour l'ensemble de son aide humanitaire mondiale" (Gabriela Butcher, Directrice générale d'Oxfam, 9 juillet 2021) [p 167]
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L'ancienne salle d'autopsie rue Dos-Fanchon. |
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Par Beau Riffenburgh Sélection Reader's Digest - 2011 Adaptation française de "Titanic rememberd 1912-2012" publié en 2008 aux États-Unis |
D'un geste du bras, j'arrêtai la femme de chambre qui portait ma valise.– Les anciennes chambres sont-elles toutes occupées ?– Oh! Non, monsieur ! Nous les donnons lorsque toutes les chambres modernes sont louées, et cette semaine, ce n'est pas le cas.– Alors, celle-ci, par exemple, est peut-être libre ?Par la porte ouverte, j'apercevais une de ces chambres que j'avais entrevues dans mon enfance et qui m'avaient fait rêver.Le parquet était fait de très larges planches usées et affaissées par le temps. Le lit – un lit «bateau» – paraissait plus élevé encore par l'édredon rouge qui le surmontait. Le coffre de la cheminée avait conservé ses boiseries Directoire aux lignes pures. D'autres boiseries plus anciennes, nettement dix-huitième, et empâtées de peinture, montaient jusqu'à mi-hauteur de la pièce. Une table ronde et un honnête fauteuil à oreillettes donnaient envie de lire « Le Constitutionnel ». La table de toilette, au marbre blanc, supportait une immense cuvette et un pot à eau ventru et minuscule. La cuvette devait absorber le contenu de deux pots à eau comme celui-là. Je n'ai jamais pu savoir exactement comment se lavaient nos pères qui utilisaient de semblables pots à eau.Une glace dorée, fort laide, était fixée au-dessus de la cheminée. Chaque siècle avait ainsi apporté sa marque à cette chambre. La dernière alluvion avait été la moins heureuse : elle avait apporté deux chromos de baigneuses.Mais, malgré cet invraisemblable mélange de styles, la chambre gardait sous ses solives apparentes, cet indéfinissable attrait qui s'attache aux choses du passé. Les murs, le cadre, n'avaient pas changé depuis deux siècles et quant au mobilier, à quelques détails près, l'ensemble était le même qu'en 1830. Bien des humains laissent aux vieilles chambres le curieux magnétisme de leurs souffrances et de leurs joies.Comme la fille, surprise, ne répondait rien, je répétai donc :– Celle-ci est peut-être libre ?
Yves Dartois - Extrait de "L'horoscope du mort" [p 28-29]
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Hôtel de France Montreuil-sur-mer |
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Yves Dartois 1937, 156 pages (réédité en 1954) |
Tu tueras au bastion de Picardie et tu y verseras ton sang.Tu y connaîtras la fille des bardes.Près de toi, tu verras mort celui qui a volé ton âme.
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Les remparts de Montreuil-sur-mer © D'après une photo d'Émily T. |
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François Guichard Éditions Locus Solus, 2024 410 pages |
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Perrin éditeur, 2018 250 pages |
"Contrairement aux films Titanic de 1943 et A Night to Remember de 1958, il n’y a pas eu de panique. Au contraire, des hommes et des femmes de toutes conditions ont attendu stoïquement la mort. C’est peut-être pourquoi le naufrage du Titanic occupe une place si particulière dans la mémoire collective." (Gérard Piouffre)
S'il est un livre qui élucide exhaustivement et avec rigueur les questions que pose le naufrage du Titanic, celui que propose Gérard Piouffre émerge, car il dispose d'une vaste masse de documents dont témoigne la bibliographie en fin de volume. Historien de la marine, Chevalier de l'ordre du Mérite maritime, avec de bonnes connaissances techniques (bien qu'il ne soit pas marin), il objective impartialement les événements et le comportement de chacun à bord, qu'il s'agisse de richissimes passagers, de marins, officiers et matelots, ou d'émigrants.
Après avoir exposé de nombreux faits et aspects techniques dans les comptes rendus précédents ...
Dans les profondeurs du Titanic - Paul-Henri Nargeolet
Les enfants du Titanic - Navratil Élisabeth
Les secrets du Titanic - Rupert Matthews
... je vais, grâce à cet ouvrage, les compléter et revenir sur ceux que l'on a laissés dans l'incertitude ou dans l'ombre afin d'y apporter, pour la plupart, un éclairage définitif.
Les légendes – un sarcophage de momie jetant le mauvais sort, par exemple – et plusieurs prémonitions que manifestèrent certain(e)s sont abordées et démontées, mais libre à chacun d'y prêter foi.
Les rivets retrouvés cassés près de l'épave. Explication très détaillée de leur fabrication pour aboutir à la conclusion qu'il est difficile de conclure ce qui a provoqué leur rupture : s'il s'agit du choc avec l'iceberg ou avec le fond marin, le bateau heurtant celui-ci à 74 km/h (et non 50 km/h comme avancé dans le livre de Nargeolet). Mention de l'Explorer, bateau contrôlé et bien entretenu, aux tôles non rivetées mais soudées, donc plus solides, qui heurta un iceberg en 2007 et coula néanmoins malgré sa conception moderne adaptée à la navigation polaire : "Dans la lutte implacable du vaisseau d’acier contre le vaisseau de glace, ce dernier a toujours le dernier mot", écrit solennellement Piouffre.
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L'Explorer, en 2017, coula après avoir heurté un iceberg de nuit, sans pertes humaines. |
Sur le chantier britannique Harland & Wolff (les propriétaires du bateau sont américains, le savoir-faire anglais) où fut construit le Titanic, on déplora huit morts, ce qui est peu : "Dans les autres chantiers, on admet qu'un tué par tranche de 100 000 livres sterling dépensées est une norme acceptable". Cette façon d'envisager les choses est abrupte, mais fait tristement partie du monde industriel. Le Titanic coûta 1 500 000 livres sterling, l'équivalent de 150 millions de dollars des années 2000.
Les accusations d'alcoolisation de l'équipage et des officiers sont fantaisistes, le Titanic était le fleuron de la White Star Line et personne n'aurait osé enfreindre le règlement strict en buvant un seul verre en service. C'est l'avis formel de l'auteur.
Le Titanic se livrait-il à une course au record ? Au début du 20e siècle, le Ruban Bleu était décerné au paquebot ayant effectué dans le temps le plus court la traversée le l'Atlantique nord dans le sens est-ouest. Ce sont les navires de la compagnie britannique Cunard qui emportèrent ce trophée, réalisant la traversée en moins de cinq jours. Or ces "lévriers", à l'opposé des paquebots de la White Star, vibrent fort, sont effilés, donc sensible au roulis par mer calme, développent une puissance de 76 000 chevaux et leur consommation de charbon est énorme.
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Le Mauretania de la Cunard détenteur du Ruban Bleu de 1907 à 1929. |
Les trois géants de la White Star (Olympic, Titanic, Gigantic/Britannic) sont des paquebots différents, plus luxueux, leurs structures ne vibrent pas afin d'assurer le confort des passagers et ils développent dans les 46 000 chevaux, soit beaucoup moins que le Lusitania ou le Mauretania. Une arrivée à New York une nuit plus tôt aurait d'ailleurs été contre productive pour la compagnie, car des discours officiels, la presse et des curieux attendaient le bateau pour le lendemain matin. L'argument de la course au record tombe complètement. Mais il ne fallait pas traîner, c'est évident, vu l'ordre du commandant de maintenir la vitesse.
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©RMS Titanic, Inc |
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Le Californian, cargo mixte de 136 m, Royaume-Uni |