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7 octobre 2023
Darwin et la philosophie
28 août 2023
Rideau pour le double
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Marie-Claire Pasquier
"Oh, obtenir par ses vœux que ce qui n'est pas soit, autrement que sur la page !" [p 306]
"Mais le lot de douleur qui nous est imparti n'est-il pas en soi assez insupportable pour n'avoir pas à l'amplifier par la fiction, pour n'avoir pas à donner aux choses une intensité qui, dans la vie, est éphémère et parfois même non perçue ? Pour certains d'entre nous, non. Pour quelques très, très rares rares personnes, cette amplification, qui se développe de façon hasardeuse à partir de rien, constitue leur seule assise solide, et le non-vécu, l'hypothétique, exposé en détail sur le papier, est la forme de vie dont le sens en vient à compter plus que tout." [p 170]
21 août 2023
De l'évolution, de la morale et du ruban de Möbius
"Ce faisant, la sélection naturelle a travaillé à son propre déclin (sous la forme éliminatoire qu'elle revêtait dans la sphère infracivilisationnelle), en suivant le modèle même de l'évolution sélective – le dépérissement de l'ancienne forme et le développement substitué d'une forme nouvelle : en l'occurrence, une compétition dont les fins sont de plus en plus la moralité, l'altruisme et les valeurs de l'intelligence et de l'éducation." [p.55]
L'on ne serait pas complet en ignorant les réactions soulevées par cet effet réversif : ainsi un article du philosophe Thierry Hoquet. Tout en reconnaissant le bien-fondé de l'argumentation humaniste de Tort, il juge la référence au ruban de Möbius plus médiatique que pédagogique et préférerait voir abordés les apports de la sociobiologie. Celle-ci désigne la recherche systématique des bases biologiques des comportements sociaux (génétique) en tentant de donner une explication de l’héritabilité des comportements ou des instincts.
14 août 2023
Papa de loin
"Ayant bouclé l’espagnolette, Fouquet s’assit à sa table, prit une feuille de papier. Il y avait longtemps qu’il aurait dû commencer par là, mais le sentiment éminent de la singularité de sa situation l’avait enfermé au centre d’un système où la personne de Marie ne sortait pas, au fond, du domaine des abstractions, qui est celui des idées, non des gestes. Quand il la voyait s’élancer sur la plage, dans son chandail difforme et démodé, c’était encore une délégation de soi-même qui courait à la mer et quand il la sentait offusquée par le sort, ce n’était pas pour elle qu’il souffrait, mais pour lui. La fibre paternelle qui sert à tricoter des chandails nouveaux, à prévenir les désirs, à deviner les secrets pour mieux les respecter, qui est abnégation et n’attend pas qu’on lui rende la monnaie, qui ne crée pas l’enfant à son image, se réduisait chez lui à la corde d’un violon qui s’émeut de son propre écho."
Antoine Blondin - "Un singe en hiver" (1959)
12 août 2023
Revenir à Ravina
Toute possibilité d'avenir reposait sur la capacité à tenir mon passé à distance durant quelques années, combien, impossible de le déterminer, un an, deux ans, dix ans, avant de le laisser revenir, ce passé, le moment venu et de pouvoir de nouveau fouler sans souffrance cette terre sèche et solitaire où poussent des caroubiers aussi grands que des maisons, des champs de marguerites et de crocus à perte de vue, les plus jolis buissons d'églantine de tout l'univers, des mûriers aux mûres aussi blanches que la lune, où les cigales éclatent à force de trop chanter dans une odeur d'herbe chaude, cette terre ingrate et merveilleuse où personne ne se rend jamais par hasard. Car rien ne vient ni ne retourne à rien. Pas même cette sorte d'angoisse d'orphelin, d'illégitime, de bâtard avec laquelle il me faudrait me débrouiller. Mais ça, on le comprend avec le temps. Avec l'expérience.
Giuseppe Santoliquido - "L'été sans retour" (Gallimard, 2021)
11 août 2023
Le village perdu
25 avril 2023
Lecture
Nous ne retournons jamais au même livre ni à la même page parce que, sous la lumière changeante, nous nous transformons et le livre se transforme, et nos souvenirs s'éclaircissent, deviennent obscurs et s'éclaircissent à nouveau, et nous ne savons jamais exactement ni ce que nous apprenons et oublions, ni ce que nous retenons. Ce qui est certain, c'est que la lecture, qui permet à tant de voix d'échapper au passé, les sauvegarde parfois pour un lointain avenir, où il se peut que nous en fassions un usage courageux et inattendu. [p 104]
Alberto Manguel - "Une histoire de la lecture" (Actes Sud, 1998) [traduit de l'anglais par Christine Le Bœuf]
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D'après Quint Buccholz, 2006 |
11 avril 2023
L'or et les calepins
"On eût surpris ces personnages si respectueux des puissants du jour en les déclarant plus dangereux pour l’ordre établi que le Turc infidèle ou le paysan révolté ; avec cette absorption dans l’immédiat et dans le détail qui caractérise leur espèce, eux-mêmes ne se doutaient pas du pouvoir perturbateur de leurs sacs d’or et de leurs calepins. Et pourtant, assis à leur comptoir, regardant se dessiner à contre-jour la roide silhouette d’un chevalier cachant sous ses grands airs la crainte d’être éconduit, ou le suave profil d’un évêque désireux d’achever sans trop de frais les tours de sa cathédrale, il leur arrivait de sourire. À d’autres les bruits de cloches ou de bombardes, les chevaux fringants, les femmes nues ou drapées de brocart, à eux la matière honteuse et sublime, honnie tout haut, adorée ou couvée tout bas, pareille aux parties secrètes en ce qu’on en parle peu et qu’on y pense sans cesse, la jaune substance sans laquelle Madame Impéria ne desserrerait pas les jambes dans le lit du prince, et Monseigneur ne pourrait payer les pierreries de sa mitre, l’Or, dont le manque ou l’abondance décide si la Croix fera ou non la guerre au Croissant. Ces bailleurs de fonds se sentaient maîtres ès réalités."
Marguerite Yourcenar - "L'œuvre au noir" (1968)
Il n'y aura sans doute pas de billet ici sur ce grand roman (je viens de le relire), mais l'extrait enchaîne parfaitement avec le compte rendu précédent. Les banquiers de la Renaissance (Médicis, Fugger) gouvernaient sous main l'Europe du XVIe siècle.
10 avril 2023
Sortie d'Indochine
La guerre en Indochine, d'abord française, puis américaine au Vietnam, a coûté quatre cent mille morts du côté des forces « occidentales » et trois millions six cent mille Vietnamiens, autant qu'allemands et français réunis en 14-18. Vuillard écrit un pamphlet romanesque sur le fiasco français de cet engagement militaire (1946-1954). Il n'y avait aucun colon européen où eurent lieu les combats ; derrière les furieuses batailles où des hommes moururent, se cachaient des capitaux et des chiffres d'affaires : des sociétés anonymes françaises, celles des mines d'étain de Cao Bang, des charbonnages du Tonkin, des gisements aurifères d'Hoa Binh, etc.
Lors de la défaite de Diên Biên Phu, déjà lors de la bataille de Cao Bang (cinq mille morts), la banque de l'Indochine n'était plus là : "dès le début de la guerre, la banque avait discrètement arrêté d'investir, elle s'était très vite débarrassée de ses positions indochinoises, faisant transiter ses fonds vers des cieux plus cléments." À savoir le financement des corps expéditionnaires de l'armée française, pour s'enrichir d'une guerre qu'elle fuyait. Une fois le conflit meurtrier terminé, alors que militaires et politiciens avaient mené une guerre inefficace et menti sur les chances de victoires, la banque affichait une santé insolente.
"Il [Émile Minost, président de la banque de l'Indochine] se pencha en arrière, ferma les yeux, et soupira. Il entendait le vacarme de la circulation, sentit la voiture tourner à droite, freiner, puis repartir. Il rouvrit les yeux. Il passait la Seine, et il jeta un œil au flot gris. Ce n'étaient pas des monstres, se dit-il, c'étaient leurs fonctions qui exigeaient d'eux des sacrifices. Le holding de la banque représentait une concentration monstrueuse de pouvoir, que pouvait-on y faire ! D'un geste gracieux, il se lissa à nouveau la moustache, et le raffinement de sa personne lui sembla soudain plaider pour lui, comme un équivalent moral."
Le crépuscule de la politique coloniale française est incarné ici dans ce qui n'est pas vraiment un roman historique, mais une sorte de mise en scène de l'histoire. À côté de nombreuses figures peu reluisantes sous la plume de Vuillard, de Henri Navarre à de La Croix de Castries (couverture), en passant par John Foster Dulles, on retient deux visages : Pierre Mendès France affirmant à la tribune l'évidence de la décolonisation – "lorsque quelqu'un dit la vérité, c'est-à-dire tâtonne dans l'obscur, cela se sent" – puis Patrice Lumumba, dans un cadre différent, "une menace pour les intérêts américains [...] il y a entre son regard déterminé, sa peau noire, son insondable jeunesse et les circonstances de sa mort, une connivence insensée".
"Une sortie honorable", texte au dualisme appuyé – les puissants et les autres –, évoque des heures peu glorieuses avec une éloquence et une froide ironie qui ébranlent.
2 avril 2023
Bisexualité
Je pensais proposer un extrait du dictionnaire Yourcenar sur l'écologisme radical (Arne Næss) que l'écrivaine, parmi les figures importantes de la littérature française du XXe siècle, fut la première à préconiser. Je penche finalement pour un sujet plus intime.
De nombreux personnages de Marguerite Yourcenar sont bisexuels, d'Alexis à Zénon. Dans ses mémoires, Marguerite prête à sa mère une amitié "qu'on ne nommait pas encore particulière" avec Jeanne de Vietinghoff [nommée Monique G. dans Souvenirs pieux]. De même, elle cite [Quoi ? L'Éternité] des propos équivoques de son père sur la possibilité d'une relation avec un beau garçon, s'il n'y avait pas dans les parages une "femme passable". "Le recueil "Feux" est dédié à André Fraigneaux, "Les trente-trois noms de Dieu" au jeune Jerry Wilson ; elle les a aimés tous deux qui étaient homosexuels, l'un avant, l'autre après Grace Frick, la femme avec qui elle a vécu quarante ans.
Une mère bisexuelle par présomption, un père par virtualité : le déterminant sexuel, dans son ambivalence structurante, fonctionne comme la crypte d'un récit de soi qui, pour refuser les commodités narcissiques que la mémorialiste prête à l'autobiographie classique, ne cesse de diffuser ses propres figures d'obsession, quitte à recourir à des modalités autofictionnelles. Écrire, c'est franchir la marge qui sépare la fiction prospective de la réalité attestée, à l'image de celle qui distingue le fait vécu du fantasme éprouvé : jouer en quelque sorte la carte du bi/textuel pour énoncer celle du bisexuel. [...]. Quête impérieuse de l'impossible, sur fond mixte de volonté de puissance et de masochisme ? Fascination pour la figure de l'androgyne, chez celle qui se fait appeler Marg Yourcenar dans ses premières publications ? Culture du paradoxe, qu'elle manie comme une arme rhétorique contre les préjugés, véritable exigence de la pensée qu'elle pousserait jusque l'art d'aimer, dans son refus de toute forme de déterminisme, fût-ce par les sens ? Les raisons, si tant est qu'elles importent davantage que leurs effets, sont à chercher dans l'œuvre. Ou dans la correspondance, qui au détour d'une lettre on ne peut plus professorale, glisse en incise que la « seule liberté sexuelle totale, si liberté il y a, serait celle du bisexuel ».
Bruno Blanckeman - Dictionnaire Yourcenar (Honoré Champion, entrée Bisexualité).
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Portrait de Colette, la « Reine de la bisexualité » par Ferdinand Humbert (vers 1896) [wikipédia] |
23 mars 2023
Une pensée en éveil
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Présentation de l'éditeur (clic pour agrandir) |
14 mars 2023
Le marché de l'attention
"Les algorithmes ne sont que les formules mathématiques qui mettent en équation de l'intelligence élaborée à partir des milliards de données collectées par les grandes plates-formes numériques. Les 3 V nécessaires à l'exploitation des données, la vitesse, le volume et la variété, doivent se conjuguer au savoir scientifique capable de créer de l'intelligence artificielle à partir de celles-ci. Les géants de l'Internet ont fait le choix économique d'orienter la création de cette intelligence dans le but de s'emparer du temps de leurs utilisateurs pour mieux le vendre, aux publicitaires d'une part, aux services numériques d'autre part. Ce fut un choix. Il n'y avait en la matière aucune obligation technologique." (Bruno Patino) [p.66]
Le poisson rouge est incapable de fixer son attention plus de huit secondes, paraît-il, après un tour de bocal, il remet à zéro son univers mental. Selon Google, pour les "Millennials" (nés 1980-90), ce serait neuf secondes, un défi pour les créateurs d'outils informatiques chargés de capter en permanence "l'esprit d'utilisateurs qui passent à autre chose avant d'avoir commencé à faire quelque chose".
- Il est plus facile et moins coûteux de produire de la vraisemblance que de la vérité.
- L'attractivité du doute questionne et suscite des émotions propices à la réaction plutôt qu'à la réflexion ; le bruit numérique (les like) en détermine la valeur économique.
- L'indiscrimination des émetteurs d'informations des plates-formes : celles-ci autorisent une visibilité meilleure des contenus sponsorisés.
L'outrance, le scandaleux, l'absurde sur les réseaux n'est pas le seul fait de mauvais acteurs : il résulte du modèle d'affaires des plateformes qui "profite et développe l'addiction vis-à-vis de nos emportements". Privilégier l'émotionnel relègue l'information professionnelle au second rang. : "Il ne s'agit plus, comme dans le vieux monde analogique, de voir pour croire, mais, désormais, de croire pour voir."
Ce petit traité – un peu plus fouillé et structuré que ce billet – est implacable, mais le constat globalement inquiétant est nuancé : Bruno Patino n'invite pas à l'ascèse numérique, mais à s'amender du modèle économique des plates-formes. Un livre ultérieur de l'auteur "Tempête dans le bocal" (Grasset, 2022) garde le cap.
Enfin, si vous avez lu entièrement ce billet, vous avez tenu plus de neuf secondes, bravo !
[Voir aussi "Les ingénieurs du chaos"]
9 mars 2023
La tache
"L'homme qui avait décidé de se forger une destinée historique, qui avait entrepris de faire sauter le verrou de l'histoire et qui y était parvenu, qui avait brillamment réussi à changer son lot, n'en était pas moins piégé par une histoire avec laquelle il n'avait pas compté : celle qui n'est pas encore tout à fait l'histoire, celle dont l'horloge sonne tout juste, celle qui prolifère au moment où j'écris, qui s'accroît au fil des minutes et que l'avenir saisira mieux que nous. Le nous qui est inévitable : l'instant présent, le lot commun, l'humeur du moment, l'état d'esprit du pays, l'étau historique qu'est l'époque où chacun vit. Il avait été aveuglé, en partie, par le caractère effroyablement provisoire de toute chose."
Philip Roth - "La tache" (Traduit de l'anglais (États-Unis) par Josée Kamoun)
3 mars 2023
Réflexions sur l'histoire naturelle
"... la plupart des textes de vulgarisation scientifique font mal la part entre l'aspect fascinant des résultats de la recherche et les méthodes qu'utilisent les scientifiques pour établir les faits de la nature. [...]. [ils] contribueraient bien plus à l'information réelle du public s'ils s'attachaient plutôt à montrer quelles méthodes les scientifiques utilisent pour aboutir à leurs fascinants résultats." (S. J. Gould)
"Le fonctionnement de la science repose sur le caractère vérifiable des hypothèses que l'on propose. [...]. Même si une hypothèse est exacte, elle ne nous servira à rien si elle est impossible à confirmer ou à réfuter." (S. J. Gould)
(Traduit de l'américain par Dominique Teyssié avec le concours de Marcel Blanc)
[Ces passages sont tirés d'un essai sur les causes de l'extinction des dinosaures ("Le sourire du flamant rose", p.385). Gould s'attache à exposer trois causes dont deux sont invérifiables et douteuses – élévation de la température à laquelle les testicules des dinosaures ne résistèrent pas ou la consommation de plantes psychotropes entraînant des overdoses mortelles – tandis que la troisième, un astéroïde qui a heurté la terre est très plausible – présence d'iridium non volcanique d'origine extra terrestre.]
Ce qu'exprime S. J. Gould ci-dessus apparaît en filigrane des divers essais du recueil. L'essayiste n'hésite pas à s'étendre sur des théories improbables ou dépassées (en 1985), afin d'en éclairer les faiblesses méthodologiques. Gould explique de même certaines théories anciennes, bien fondées eu égard au savoir d'une époque, mais que des découvertes ultérieures discréditèrent (il en va ainsi pour les spéculations antérieures aux avancées de la génétique). Bien qu'instructives, ces considérations historiques peuvent frustrer un lecteur en attente de notions théoriques actualisées.
En voici quelques enseignements déterminants relatifs à la sélection naturelle et à l'évolution :
- Les bricolages créatifs de la nature, avec ce qu'elle a sous la main, pour la survie face aux pressions de l'environnement. (Cf. le billet sur le bec du flamant).
- Découlant du point précédent : Darwin, amateur éclairé de l'histoire, avait compris que celle-ci est la base de l'évolution. "Un monde parfaitement adapté à son environnement serait un monde sans histoire ; et un monde sans histoire aurait pu être créé tel que nous le connaissons", écrit Gould. [p.51]
- La science est le domaine où on vérifie et rejette des hypothèses. Toute théorie non vérifiable n'est pas de la science (cf. début de cet article), qu'elle soit ou non une construction intellectuelle brillante.
- Les espèces sont les unités fondamentales de la diversité biologique, populations isolées les unes des autres, car elles ne peuvent se reproduire entre elles. Les sous-espèces sont des divisions de l'espèce qui reposent sur la décision d'un taxinomiste et occupent une portion géographique bien définie du territoire d'une espèce. Les sous-espèces se reproduisent entre elles. La race est une sous-espèce. [p.184]
- "La taxinomie s'occupe essentiellement de mesurer les variations des séries d'individus qui représentent l'espèce à étudier." (A. C. Kinsey) [p.155]
- Le processus principal de la sélection naturelle est la lutte pour le succès reproductif, c'est-à-dire celle de tous les organismes pour transmettre le plus grand nombre possible de leurs gènes à leur descendance. [p.40-43]
- Le monde est complexe, les distinctions claires sont rares, les transitions de l'univers progressives, alors que l'esprit humain occidental aime ranger dans des cases séparées. Mais l'ordre n'a jamais été prévu par la théorie évolutionniste. La nature abrite des continuums qu'il est impossible de morceler en deux piles nettes de "oui" et "non". Les systèmes ambigus que nous ne parvenons pas à classer ne sont pas l'expression des limites de la connaissance, mais d'une propriété de la nature. [p.90 et 215]
- La variation est le matériau brut du changement évolutif, l'essence (Platon) est un concept illusoire. Les espèces sont distinctes, mais n'ont pas une essence immuable. L'essentialisme tend à établir des jugements de valeur : objets proches de l'essence sont «bons», ceux qui s'en écartent "mauvais" ou irréels. L'anti-essentialisme (Gould) abandonne les jugements selon des idéaux : les hommes petits, handicapés, de couleurs ou religions différentes, sont des hommes à part entière. [p.152]
- "L'ennemi de la science et de la connaissance n'est pas la religion, c'est l'irrationalisme" (S. J. Gould). [pp.106 et 118]
- De nombreuses espèces ont des millions d'années et leurs subdivisions sont marquées et profondes. Ce n'est pas le cas de l'homme, espèce jeune, dont la subdivision en races est plus jeune encore. Néanmoins, certains aïeux comme l'australopithèque (cf. illustration billet précédent) auraient pu survivre de sorte que nous côtoierions une espèce humaine nettement moins intelligente que nous. Gould conclut que l'égalité des hommes est le résultat accidentel de l'histoire. [p.189]
- L'évolution ne se déroule pas selon des lois simples qui entraînent des résultats prévisibles. De petits écarts de températures et de précipitations, la formation de montagnes, l'extension de glaciers, la dérive des continents, l'impact d'astéroïdes, etc. sont les fantaisies de l'histoire naturelle. [p.201]
- La surface relative d'un animal qui grandit sans changer de forme décroit inévitablement, car le volume est proportionnel au cube de sa longueur, la surface au carré seulement. Ceci détermine les capacités de réchauffement/refroidissement d'un organisme de grande taille. [p.210]
- La théorie de l'évolution a jeté au rebut l'idée d'une chaîne continue du vivant chère à Charles White (1728-1813). L'organisation du vivant est ponctuée de trous gigantesques. Qu'y a-t-il entre les plantes et les animaux ? entre les invertébrés et les vertébrés, par exemple ? [p.264]
- Le programme inscrit dans l'ADN interagit de manière inextricable avec des influences comportementales diverses : il est impossible de distinguer chez l'humain une composante rigide déterminée par la biologie et l'autre, variable, sujette aux influences extérieures. Le déterminisme biologique est utilisé à des fins politiques pour justifier des iniquités. [p.299]
- En agriculture, des plants génétiquement identiques sont vulnérables aux virus, bactéries et champignons, car ces derniers détruisent toute la plantation uniforme. Dans les populations naturelles, les variations génétiques d'un individu à l'autre assurent la protection de quelques-uns contre l'agent pathogène et mettent à l'abri une partie de la récolte. L'année suivante, pousseront donc les descendants de ces survivants immunisés : une variabilité importante au sein d'une population est un mécanisme naturel de protection contre la maladie.[p.331]
- Les hasards de l'histoire de l'évolution proclament que chaque espèce est unique et qu'il est impossible que son évolution se produise une seconde fois dans les mêmes détails. L'existence d'humanoïdes dans d'autres mondes est donc rejetée par la théorie de l'évolution. Ce qui n'exclut pas l'existence d'intelligence ailleurs sous une forme quelconque. On observe en effet que des lignées d'évolution différente convergent vers la même solution générale. [p.377]
- "La durée de l'univers ramène notre petite histoire à l'insignifiance géologique, mais dont nous avons néanmoins le contrôle absolu." (S.J. Gould) [p.399]
- Il y a deux manières opposées d'interpréter les modèles de l'histoire du vivant. Selon la première, la compétition entre espèces détermine des changements continus. Si l'environnement était parfaitement constant, l'évolution se poursuivrait du fait de cette lutte des organismes pour la survie. Dans la seconde position (minoritaire), si l'environnement était stable, l'évolution s'arrêterait. Aucune dynamique interne ne pousserait la vie dans le sens du «progrès». Les espèces livreraient leur bataille au climat, à la géologie et la géographie, non à leurs congénères. [p.409]
- "L'effet Darwin - Sélection naturelle et naissance de la civilisation" ("Points Sciences" - 2008)
1 mars 2023
Histoire humaine
"Telle en est l'histoire. Voilà 32 000 ans que l'homme est ici-bas. Le fait qu'il ait fallu 100 millions d'années pour la préparation du monde à sa venue prouve exactement que le monde a été fait exprès pour ça – je le suppose allez savoir. Si la tour Eiffel était une mesure du monde, la couche de peinture qui couvre le dernier boulon vissé à son sommet représenterait la portion de ce temps dévolue à l'homme ; chacun comprendrait que cette tour a exactement été construite pour cette couche de peinture, ou du moins, je pense qu'ils comprendraient, allez savoir." [p.369-370]
Mark Twain - "The Damned Human Race" (1905) / Cité dans "Le sourire du flamant rose" (S. J. Gould)
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Évolution des hominidés © Wikipédia |