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Traduit de l'allemand par Jean-Claude Hémery
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Thomas Bernhard (1931-1989), écrivain autrichien que je n'avais jamais lu, est un misanthrope à l'écriture féroce pour décrire le monde et la société autrichienne en particulier. Souffrant très jeune d'une maladie pulmonaire, il rédige des premières poésies lors de ses hospitalisations. En 1950 il rencontre Hedwig, de 35 ans son aînée, qui devient sa compagne et amie. Il l'appelle son être vital. Le succès de "Gel", son premier roman, lui permet d'acheter une ferme en Haute-Autriche. Opéré plusieurs fois des poumons, son état est jugé incurable, mais il survit au-delà les prévisions du corps médical. Être instable, tantôt compagnon cordial, tantôt fermé à tout, Bernhard écrit des pièces de théâtre qui donnent lieu à des scandales politiques. Un écrivain insupportable, disent certains, d'autres le trouvent fascinant.
[Note sur le titre. La généalogie des Wittgenstein est complexe et j'ai peine à y voir clair. L'important est de savoir que, dans "Le neveu de Wittgenstein", le personnage Paul – l'ami du narrateur/auteur Bernhard – est le petit-fils de l'industriel Paul Wittgenstein (1842-1928), et fils de Paul Karl "Carletto" (1880-1948). Ce dernier était le cousin du fameux philosophe Ludwig Wittgenstein (1889-1951), connu pour son "Tractatus logico-philosophicus". Ceci atteste que "Le neveu de Wittgenstein", considéré comme un roman, ne s'inspire pas de l'amitié pour un neveu du célèbre philosophe, mais plutôt pour le fils d'un des cousins de ce dernier.
Pour être complet, Thomas Bernhard a écrit en 1984 la pièce "Déjeuner chez Wittgenstein" dans laquelle il s'inspire de ses liens avec un autre Paul Wittgenstein (1887-1961), pianiste, frère du philosophe Ludwig.]
Revenons au Paul concerné dans "Le neveu de Wittgenstein" (1982), un individu excentrique, qui doit être régulièrement interné et qui noue une amitié profonde avec le narrateur – un "je" qui ressemble tant à Thomas Bernhard que "Le neveu de Wittgenstein" peut être rattaché aux récits dits autobiographiques. Les deux hommes se retrouvent dans un hôpital viennois, l'un dans le pavillon des maladies pulmonaires, l'autre, Paul, dans le pavillon de psychiatrie. Au fil de leurs rencontres, ils voient du même œil des sujets variés, de l'art, la politique, les prix littéraires, jusqu'à la solitude, la vie et la mort, et cela conforte leur entente. Le fait d'être voisins, isolés dans la maladie, a contribué, pour l'un et l'autre, à une prise de conscience de la valeur et du caractère unique du lien qui l'unit à l'autre.
"Après de nombreuses années d'abstinence involontaire en matière d'amitié, voici que j'avais tout à coup un vrai ami qui comprenait jusqu'aux escapades les plus folles de ma tête, pourtant bien compliquée et pas facile à suivre, [...] " [p.35]
On peut s'étonner qu'un écrivain acrimonieux et mordant écrive le roman d'une amitié. Ce récit un peu fou, touchant et drôle, dépeint deux hommes atteints par le dégoût du monde et des autres, par des délires hypocondriaques et des alanguissements cycliques. L'ultime folie est que leurs accointances atrabilaires, leur connivence, donnent un sens à leur vie et, de cela, le récit tient son humanité. Il arrive aussi que leur complicité débouche sur des anecdotes d'une drôlerie extraordinaire.
Tomas Bernhard, dans le désarroi lorsque Paul décline, s'abandonne à l'évocation d'une part obsessionnelle de lui-même : la peur de la mort.
" [...] je me suis dit que peut-être dans toute ma vie je n'avais pas eu un meilleur ami que lui, qui, dans son logement, juste au-dessus de moi, était sûrement obligé de garder le lit, dans un état pitoyable, et que je n'allais plus voir, de peur, en réalité, d'être confronté directement avec la mort." [p.130]
Par la suite, il s'est fait que "Mes prix littéraires" (2009) m'est venu dans les mains au rayon littérature allemande traduite. J'ai enchaîné avec cet autre texte autobiographique, paru après le décès de l'auteur en 1989.
Écrit d'une plume acérée et ironique, avec une apparente désinvolture, Bernhard, à travers ses propres expériences, interroge la nature de l'industrie littéraire et la vanité des distinctions honorifiques. L'écrivain suscite des réactions scandalisées lors de ses frasques aux remises de prix. Provocant et désopilant.
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Traduit de l'allemand par Daniel Mirsky |
"Thomas Bernhard doit le génie de son écriture à son père qu'il n'a jamais connu, à sa mère qui le maltraitait, à la figure tutélaire que fut son grand-père, aux éducateurs nazis et catholiques qui l'ont opprimé, à la pleurésie purulente contractée à dix-huit ans qui aurait dû l'emporter [...] " Ce passage de la quatrième de couverture de "Thomas Bernhard : Une vie sans femmes" (Pierre de Bonneville) me paraît constituer une conclusion appropriée à ce compte rendu.