Frédéric Schiffter - Contre le peuple (Éditions Séguier, 2020)
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12 janvier 2021
Dépiautage
2 janvier 2021
La chair des idées
27 décembre 2020
Le lièvre photogénique
En feuilletant le volume à sa réception, on se dit que les livres ne sont pas seulement affaire de lecture, les images et bonnes reproductions photographiques font aussi leur valeur. Ce ne sont qu'excellents clichés animaliers dans "Le lièvre invisible" et les petits textes concis clairsemés parmi les neiges splendides, rocailles et mélèzes dorés sont sources d'informations édifiantes.
Nous apprenons que le lièvre variable, blanc l'hiver, brun gris en belle saison, fait partie des animaux légendaires tels le lagopède, le renard polaire et les rennes, rescapés du retrait des glaciers quaternaires qui recouvraient l'Europe septentrionale et les Alpes. Il se nourrit en hiver de tiges ligneuses, comme l'aulne vert, qu'il digère grâce à ses capacités de cæcotrophe, c'est-à-dire qu'il mange ses crottes transformées dans le cæcum en concentré de protéines et vitamines. Pour résister au froid, il régule sa circulation sanguine aux extrémités de sorte que la température interne au bout de ses pattes peut descendre à 1°. Et vous le saviez peut-être, le lièvre mâle est un... bouquin.
Les auteurs sont Olivier Born, photographe animalier professionnel suisse et Michel Bouche, vétérinaire de formation, spécialiste du lièvre variable, qui étudie les mammifères des Alpes françaises.
Le 3 novembre 2019, Olivier Born écrivait : "Quand la tempête fait rage, quitter la chaleur du lit exige pas mal de motivation. Mais pour essayer de réaliser des images montrant l'incroyable adaptation au froid du lièvre variable, il faut aussi aller à sa recherche dans les pires conditions." Car l'ouvrage est le résultat d'une longue poursuite de l'animal discret à travers les années [depuis 1985 selon les notes datées] dans les Alpes occidentales. Le fruit non seulement de la chance et du talent, mais aussi de la patience et de la persévérance. Ceux qui se sont essayés à tenter le cliché d'un animal sauvage en liberté, ne fût-ce que dans leur jardin, savent de quoi je parle. Merci à La Salamandre de m'avoir envoyé le livre via Babelio.
Certaines photos dignes de prises en studio sont rarissimes, issues d'un tête-à-tête exceptionnel avec l'animal, à 2200 mètres d'altitude, que le chasseur d'images a vécu comme un rêve.
En hiver, la nourriture est rare et l'énergie précieuse : saviez-vous que celle nécessaire à ce petit animal pour fuir dans la neige, ajoutée à l'anxiété provoquée par une intrusion dans son territoire, peut lui être fatale ? Mille lièvres variables sont, hélas, prélevés chaque année en France par la chasse.
Tout en étant un cadeau de choix pour les naturalistes, le livre est accessible à toute la famille et des personnes moins concernées y trouveront peut-être une vocation. Les plus petits s'amuseront à découvrir le blanchon dans les nombreuses photos où il se fond dans le décor, pas simple même pour des yeux aiguisés.
Ne manquez pas le making-of du projet de ces passionnés.
10 décembre 2020
L'importance des extrêmes
Confrontés à une nouvelle opinion, nous nous tournons vers les sources et les personnes qui constituent notre propre entourage de référence : est-ce une opinion acceptable ? Peut-elle être partagée ? Ou doit-elle être rejetée car fausse ou trompeuse ? Pour répondre, nous nous adressons aux autres parce que cela fait partie de notre nature d'animaux sociaux. Et parce que, dans le fond, c'est la chose la plus rationnelle à faire. Sur la majorité des questions, nous ne possédons pas d'informations de première main, nous devons nous fier à ce qui nous semble être l'opinion dominante. Nous n'avons pas vérifié personnellement que la terre tourne autour du soleil, que les nazis ont exterminé six millions de juifs pendant la seconde Guerre mondiale, ou que les vaccins ont éradiqué les pires maladies de l'histoire de l'humanité, mais nous vivons dans des sociétés dans lesquelles, au moins jusqu'à des temps récents, ces faits étaient largement partagés.
Le seuil de résistance face à une nouvelle information ou à une nouvelle opinion varie d'une personne à une autre. Certains l'acceptent plus facilement parce que cela coïncide avec les convictions qu'ils nourrissaient déjà, et d'autres ont un seuil de résistance plus élevé. Mais, ce qui est sûr c'est que plus le nombre de personnes qui adoptent une nouvelle idée augmente (que les vaccins provoquent l'autisme ou que les réfugiés sont des terroristes, par exemple) et plus le seuil de résistance de celui qui est le plus difficile à convaincre s'abaisse. Une fois atteinte une certaine masse critique, il peut arriver que, de manière relativement indolore, une communauté entière adopte une opinion ou un comportement qui initialement n'étaient partagés que par une minorité très resserrée. Cela s'est produit plusieurs fois dans l'histoire du vingtième siècle ; et cela se voit aujourd'hui avec Internet et les réseaux sociaux qui semblent faits exprès pour accélérer et multiplier les cascades cognitives.
Giuliano da Empoli - "Les ingénieurs du chaos" (JC Lattès)
9 décembre 2020
Le carnaval politique
La fête du carnaval a un esprit subversif qui parcourt encore parfois les rues en déguisements grotesques et agressifs. Aujourd'hui, on le retrouve surtout dans certains shows télévisés et sur Internet avec les trolls. Le carnaval n'est désormais plus aux marges de la conscience de l'homme moderne mais se positionne comme le nouveau paradigme de la vie politique.
"Les ingénieurs du chaos" explique comment des élus le sont grâce à des méthodes électorales menées par des experts de la maîtrise des données informatiques sur les réseaux sociaux. Quelque soit le sujet, des réseaux comme Facebook ont pour objectif de maintenir l'utilisateur derrière l'écran et ces ingénieurs se servent de cela. Afin de mener un candidat à la victoire électorale, il s'agit non plus de proposer un programme avec des idées mais d'organiser une plateforme internet attrayante (carnavalesque, pourquoi pas) qui va chercher les voix là où elles se trouvent. Et l'on cible les potentiels de mécontentement, de frustration, de rage, quelles qu'en soient les raisons. Fi de la gauche ou de la droite, les physiciens vont aux extrêmes piquer les colères sans se soucier d'aucune cohérence ni vérité. Ces systèmes virtuels sont extrêmement difficiles à détecter et à contrôler.
Malgré l'élection de Jo Biden, qui peut paraître rassurante, on a le droit d'être inquiet devant cette terra incognita de nos démocraties.
30 novembre 2020
Le roman irréaliste
Le roman n'avait jamais cherché à dire la vérité avant que l'on tente, au dix-neuvième siècle et encore plus tard, de faire de la littérature réaliste ou de chercher à tout prix un être humain écrivant derrière un narrateur, parce que la recherche du «vrai», du documentaire, serait essentielle. Cet essai regrette les impératifs du réalisme et du naturalisme qui ont conduit le roman "dans l'univers chloroformé de l'hôpital" :
"Sous le prétexte que les sciences sont plus «vraies» que les arts et que les arts ne pouvaient pas être en reste dans cette grande course au progrès, il serait donc admis que les sciences et leur langage finiraient par commander aux arts."
Cette première partie intitulée "Les aventures du vrai" occupe une large moitié du livre et malgré sa pertinence et son brio, l'auteur y prolonge une critique qui risque de lasser avant un dernier tiers beaucoup plus constructif .
14 novembre 2020
L'étrange oisiveté
"Il rompt les magies. Il met fin aux étranges coutumes. Il délivre les ensorcelés. Il déchaîne les enchaînés. Il assagit les fous. Il nomme les perdus. Il fait se soulever les morts qu'il fait sortir des pierres.La littérature – la lettrure – ranime les morts dans les livres.La littérature – la lettrure – désenvoûte le sort lancé sur nous à la naissance."
L'univers de Pascal Quignard est très personnel, ce qu'il écrit invite beaucoup à la réflexion, ainsi que le faisait remarquer Emmanuel Carrère lors d'une diffusion de "La Grande Librairie" (sept. 2020) : certains livres font tourner la page, d'autres font lever les yeux et interroger telle phrase, tel mot. Ainsi lorsque l'on rencontre la proposition "L'écriture à la fois projette le son sous les yeux mais en le précipitant en silence", le sens apparaît rapidement et clairement qui évoque, entre autres, la tapisserie de Philomèle. Il sera moins aisé au lecteur de ne pas s'arrêter sur "L'écriture cherche sans fin autre chose que ce qu'elle note de ce qu'elle évoque" ou "Le monde écrit est allogène au monde de la parole humaine".
L'auteur de "L'homme aux trois lettres" pense aux limites du rêve et de l'obscur.
Il glisse volontiers vers la psychanalyse et pratique les expressions latines, les références mythologiques, le vocabulaire érudit. Peut-être passera-t-on par-dessus certains passages qui résistent. Mais on a conscience de disposer d'un livre qui se nourrit des lettres et alimente notre attachement à elles. Tous les petits textes et notes rassemblés ici ont été consignés à différents moments de la vie de l'auteur, comme l'indiquent certaines faits autobiographiques qui dessinent l'homme Quignard, fragile comme tout le monde peut l'être.
Dans la lecture et l'écriture, il y a quelque chose en rapport avec la contemplation, le recueillement. Ce onzième livre du cycle "Dernier Royaume" est figuré par la quiétude des précieux moments avant l'aube :
"Le temps avant le temps qui dure – le temps qui précède le monde manifeste, lucide, extérieur, perceptible, social, bruyant, pressant, hurlant.Le temps où se replier encore, se taire encore, poursuivre le silence dans le susurrement du crayon sur la feuille aussi blanche, gris-blanc, grise, que le jour qui se prépare."
2 novembre 2020
Lire Faulkner
31 octobre 2020
Voir
"[...] enfin je voyais. On me dira au contraire qu'il est impossible de voir la peinture dans les livres – à travers de simples reproductions –, et que les volumes, les couleurs, l'inflexion de la lumière ne se donnent qu'à la faveur d'un cadre accroché sur un mur ; mais il m'est arrivé, contemplant un tableau dans un musée, de moins bien le voir que dans la solitude de ma chambre. Les reproductions sont trompeuses, faibles, insuffisantes, mais on y revient sans cesse, et avec elles, malgré notre défiance, se compose une relation intime et poudreuse, qui, à force d'ajuster sa distance, nous rapproche finalement peu à peu de ce point où l'attirance que nous avons pour une œuvre nous la donne."
Yannick Haenel - "La solitude Caravage" (Folio p 40)
30 octobre 2020
Passion Caravage
19 octobre 2020
Patrimoine et nature
10 octobre 2020
Grange en feu
9 octobre 2020
Rendre le «faulknérien»
Voici dix-sept nouvelles parmi les cent-vingt-quatre que je dénombre de l'auteur. Elles enrichissent la chronique du comté de Yoknapatawpha, cette région fictive du Deep South bien connu du lecteur faulknérien. Je les ai trouvées de qualité inégale, la plupart sont excellentes, d'autres m'ont ennuyé, peut-être simplement parce que je ne souhaitais pas à ce moment faire l'effort requis pour les appréhender, car on le sait, aucun écrit de Faulkner n'est du tout-venant à lire normalement.
1 octobre 2020
Bienfaits du roman
Les livres ne sont pas que des réservoirs de connaissances, pas que des modes d'emploi. Peu de personnes liraient s'ils n'étaient que cela. Ce sont aussi des fenêtres sur l'esprit des gens qui les ont écrits et sur les personnes qui y sont décrites. Le roman, en particulier, représente ce que le psychologue Keith Oatley appelle « le simulateur de vol de l'esprit », un véhicule pour explorer les riches paysages mentaux et émotionnels de gens que nous n'avons jamais rencontrés.
La fiction, en donnant le moyen d'accéder émotionnellement et mentalement à ce que vivent des gens de cultures très différentes, nous permet de nous investir émotionnellement dans les personnages que nous rencontrons, de nous soucier de leurs ennuis et de leur sort. Bien que n'importe quel média puisse en théorie avoir cet effet, que ce soit la télévision, le cinéma ou la radio, l'écrit a peut-être une force unique pour faire tomber les barrières entre les groupes et les cultures. Cela est dû en partie au fait que la personne représentée par des mots est complètement abstraite et débarrassée de tout aspect concret, que ce soit son accent, son type de vêtement ou ses attitudes, qui pourrait la faire assimiler à un groupe extérieur dont le bien-être serait peut-être moins valorisé en cas d'interaction directe. En permettant au lecteur de percevoir le monde à partir du mental d'une personne désincarnée, le roman donne l'occasion aux gens de tous les horizons d'apprécier au plus profond d'eux-mêmes l'universalité de leurs émotions et expériences, réduisant par là les obstacles de la compassion pour autrui.
Steven Pinker a justement souligné que le développement de l'alphabétisation a joué un rôle majeur dans le déclin historique de la violence, probablement en renforçant directement la capacité des gens à s'intéresser au sort des autres. Cela a été confirmé par des études [Daniel Batson] montrant que le contact avec l'écrit peut augmenter l'empathie et la compassion pour les étrangers.
Abigail Marsh - "Altruistes et psychopathes - Leur cerveau est-il différent du nôtre ?"
[Traduction Pierre Kaldy]