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Folio n° 1797, 350 pages |
"L'angoisse du roi Salomon" est le quatrième et dernier roman que Romain Gary publia en 1979 sous le pseudonyme Émile Ajar. Ce roman rappelle "La vie devant soi", avec une écriture drolatique, de la fausse naïveté et un humour empreint de gravité.
Salomon Rubinstein, qui fut un roi du prêt-à-porter, est un Juif très riche. Arrivé à un âge vénérable, il a fondé une petite communauté, S.O.S. Bénévoles, qui comprend quelques dévoués et un standard téléphonique pour aider ceux qui sont en déprime, dans la pauvreté ou qui ont simplement besoin de mots réconfortants pour éviter d'en finir. Obsédé par l'idée de vieillir, encore bon pied bon œil à 85 ans, le roi Salomon, prodigue tout le bien qu'il peut, offre des cadeaux et aide financièrement les personnes qui sont dans la dèche.
Il emploie une voiture-taxi pour rendre visite à ses protégés et leur envoyer ses bienfaits. À cette fin, il recrute un chauffeur, Jean, homme d'une candeur sidérante, qui s'exprime en phrases sinueuses, malhabiles, mais tout en poésie et bonté, prêtant à sourire mais touchant le cœur.
La troisième personne du roman est Cora, ancienne maîtresse de Salomon du temps où elle faisait une petite carrière de chanteuse, dans les années 1920-30. Pendant la guerre, elle tomba amoureuse d'un autre homme, un collabo, mais ne dénonça jamais aux nazis Salomon Rubinstein qui se cachait dans une cave des Champs Élysées. Le vieil homme ne peut lui pardonner de l'avoir abandonné pour un autre, mais il veille sur elle.
Un jour, il envoie Jean chez Cora lui porter des fruits confits de Nice et notre Jeannot bienveillant découvre en cette dame touchante – 65 ans annoncés, 70 effectifs – un motif de faire du bien : sans l'aimer, il finit par avoir une liaison physique avec elle. Cette accointance avec Cora est un amour «en général», explique-t-il, parce qu'il n'est pas amoureux de la vieille femme, il ne l'en aime que plus. Jean donne son affection parce qu'il sent la nécessité de requinquer Cora, il veut compenser l'amertume de la vieille gloire, qui prend encore des poses de demoiselle, une dame dans laquelle il sait deviner la jolie jeune fille sur laquelle on se retournait. Jean, pas plus que Salomon, n'acceptent que quiconque souffre des désespérances de l’âge.
"C'est de l'amour, mais qui n'a rien à voir avec elle", tente d’expliquer Jean, pour évoquer ce qu'on désigne par amour du prochain.
Ce faisant, Jean est au fait de l'amour éternel et de la rancune de son patron pour Cora, et il sait l'amour que celle-ci voue à Rubinstein. Alors, ces vieux amants sombreront-ils ou vivront-ils un conte de fée ?
De la langue parlée de Jean, Cora dit : "Tu as une curieuse façon de t'exprimer, Jeannot. On dirait que tu dis toujours autre chose que ce que tu dis." [p.240] Car Jean, pour le grand plaisir des lecteur.rice.s, a sa manière de dire les choses :
"... il y avait toujours toutes sortes de questions que je voulais lui poser [à Cora] mais elles ne me venaient pas à l'esprit et restaient muettes. On ne peut pas le résumer en une question ni même en mille quand ça ne vient pas de la tête mais du cœur, là où on ne peut pas articuler." [p.105]
"Quand on aime comme on respire, ils prennent tous ça pour une maladie respiratoire." [p.159]
"Et quand tu es heureux, mais alors ce qu’on appelle heureux, tu as encore plus peur parce que tu n’as pas l’habitude. Moi je pense qu’un mec malin il devrait s’arranger pour être malheureux comme des pierres toute sa vie, comme ça il n’aurait pas peur de mourir." [p.241]
Voilà un livre de Romain Gary dont je n'ai jamais entendu parler. Des personnages attachants, sûrement, d'après ce que vous en dites.
RépondreSupprimerFait-il un peu pendant à "Au delà de cette limite votre ticket n'est plus valable"?
Bonne journée Christian.
J'ai lu "Au-delà de cette limite votre ticket n'est plus valable" dans les années nonante, vers le même moment que "L'angoisse du roi Salomon". Là j'avais rencontré moins de difficultés à coller au sujet. Ce dont je me souviens, c'est le problème du vieillissement de l'homme, qui non seulement n'accroche plus les beaux yeux féminins et rencontre des difficultés à assurer sa virilité.
SupprimerDisons que ”Salomon” est le pendant du roman que vous dites, publié 4 ans avant et sous l'angle essentiellement masculin.
Dans le « Salomon », se greffe une dimension d'amour universel, de révolte contre dieu même qui a mal fait tout ça : ils tentent toutes les réparations qu'ils peuvent pour que le créateur ait honte.
L'impuissance masculine n'est pas évoquée, sinon pour démontrer, à la suite d'une scène amusante, qu'à 85 ans, le roi Salomon est toujours en état de marche ;-)
Je vous le conseille, c'est vraiment un excellent Romain Gary, qui ne verse pas dans le grossier.
Belle journée, Colette.
Je pense l'avoir lu, trop tôt aussi peut être?
RépondreSupprimerMoi en tout cas, je pense qu'à l'époque de ma première lecture, je n'étais pas « mûr » pour ce texte. Et on parlait peu alors de l'amour chez les gens âgés.
SupprimerJe l'ai trouvé dans la bibliothèque de la maison où je vis et il a fait tilt : "tiens, et si tu le retentais à l'âge que tu as ? ", me suis-je dit.
Oh voilà qui me donne bien envie de revenir à Romain Gary. C'est un de mes auteurs chouchous, comme j'aime à dire, mais ça fait un petit moment que je ne l'ai pas lu et ce roman-ci n'est pas encore passé entre mes mains. À voir s'il me laisse perplexe ou non, mais rien qu'avec l'écriture, je devrais y trouver mon compte.
RépondreSupprimerPeut-être est-on mieux à même d'être sensible à ce roman si l'on est du troisième âge. Qu'importe, l'écriture, vous le dites, promet des bons moments.
SupprimerMourir, la belle affaire, mais vieillir, ah vieillir ! comme disait le Jacques qui est parti tôt lui aussi. Ne plus allumer d'étincelles dans les yeux des hommes (ou des femmes en l'occurrence) c'est comme ça qu'on comprend qu'on est entré dans le troisième âge. Merci pour nous redonner envie de lire Romain Gary
RépondreSupprimerOn trouve aussi dans le roman ces vers de Hugo (Booz endormi) que rappelle le roi Salomon :
Supprimer[...]
Et l'on voit de la flamme aux yeux des jeunes gens,
Mais dans l'œil du vieillard on voit de la lumière.
Merci de passer ici avec le rappel de Brel.
Bonjour,
RépondreSupprimerGary est un de mes auteurs favoris, mais il me reste encore de nombreux titres à lire, dont celui-là. Merci pour ce billet.
Avec plaisir !
SupprimerIl doit en être de nombreux que je n'ai pas lus. J'aimerais relire "La nuit sera calme", en forme d'entretien je pense.