29 août 2012

Le Boqueteau 125 - Ernst Jünger

"Si l'on voulait conclure sur Jünger, il faudrait avant tout éviter la facilité qui tend à accorder autant d'importance, sinon plus, à sa légende d'homme d'action, engagé dans la guerre, la politique et l'aventure, qu'aux milliers de pages de son œuvre d'écrivain." (Julien Hervier)



Christian Bourgeois Éditeur - Collection Titres - 208 pages.


Ce court récit développe un chapitre d' Orages d'acier considéré par Gide comme le meilleur livre de guerre jamais écrit. On doit au germaniste Julien Hervier cette traduction récente (2000)1 conforme à la dernière édition voulue par Ernst Jünger. Rappelons que ce dernier faisait partie des sturmtruppen de l'armée impériale allemande pendant la première guerre mondiale et qu'il a participé à la seconde comme officier, tout en se démarquant politiquement du pouvoir nazi.

Dès les premières lignes, Jünger feuillette tranquillement a posteriori ses carnets de notes du front de la grande guerre. Il y a les notes posées et soignées écrites dans une confortable maison des Flandres, les griffonnages maladroits et déformés pris sous un intense bombardement et encore les phrases survoltées et illisibles saisies après l'assaut au fond d'un entonnoir ou d'un bout de tranchée. De tout cela l'auteur tire un récit réfléchi, aseptisé, trop peut-être en regard de la barbarie qu'il couvre. Les horreurs, le bruit et la fureur ne sont pas éludés certes mais, et ceci est très personnel et n'enlève certainement rien à la beauté du texte, j'ai parfois éprouvé un hiatus ténu, subtil, mais gênant, entre des mots voulus élégants et la réalité qu'on sait. 



L'auteur affiche distinctement son inclination militaire: ... jamais je n'avais vécu avec autant d'insouciance qu'en campagne. Tous est clair et simple, mes droits et mes devoirs sont réglementés,... j'ai mille compagnons d'infortune et surtout, à l'ombre de la mort, toutes les questions se résolvent dans une agréable insignifiance. (...). L'entourage est viril et sans ménagements, il s'agit de risquer le suprême enjeu ; on se rend compte que l'on a de la moelle dans les os et du sang dans les veines. Les soldats enrôlés n'ont pas tous manifesté un avis aussi accommodant.

On se bat pour des idées : ... dans ce combat où l'on se dispute un atroce champ de ruines surlequel s'affrontent deux images du monde,.... Et les grandes idées sont les plus abstraites : Ô parcelle de France ensoleillée où nous ont jetés des forces plus puissantes que nous, ne crois pas que nous gardions un cœur impassible au sein de ces devastations. (...). Tu ne seras pas épargnée, car rien ne peut être épargné quand la vie des peuples est en jeu. Et puis l'histoire commande : Il semble merveilleux que l'histoire puisse advenir quand on connaît la résistance que l'homme oppose à son appel. On sait hélas qu'aucun ordre nouveau (sic) espéré à l'époque n'est né du long gâchis.

Ces réserves énoncées, il faut convenir qu'il s'agit d'une magnifique narration de guerre, empreinte du souci d'exactitude et de la note lyrique d'un romancier d'exception. Pour preuve la belle description du pays du front que je vous invite à découvrir dans la rubrique Pages marquées.

Le boqueteau représente un endroit stratégique à tenir ou à gagner. Dérisoire, limité, il symbolise la guerre de position et d'usure des tranchées: on déclenche l'enfer pour des arpents gagnés au prix d'énormes efforts et dégâts humains. Jünger fait merveille pour relater les actions qui conduisent au contrôle du petit bois. On mesure l'intensité dramatique de ces affrontements où le corps à corps est toujours de mise: ...l'instant où, sortant de son embuscade, on se trouve face à face avec un homme à courte distance. Tous les sens sont alors saisis d'un frisson qu'on ne peut comparer avec aucun autre sentiment. .... : à un stade où une troupe est encore capable de continuer longtemps à se battre avce l'aide de la machine, elle peut n'être déjà plus en mesure d'affronter le choc d'homme à homme.

Lors de ce conflit, les méthodes de guerre on grandement changé à la suite des progrès techniques et de l'industrialisation. La puissance de feu est devenue telle qu'elle modifie radicalement l'art de la guerre: Le feu a pour caractéristique d'être infiniment plus favorable à la défensive qu'à l'offensive. Jünger analyse ces évolutions dans le dernier chapitre Feu et mouvement qui témoigne du pouvoir de réflexion et de synthèse de l'auteur allemand. 

Les Falaises de Marbre avaient été une révélation: j'attendais donc beaucoup de ce livre-ci mais malgré un texte parfait, je ne me suis pas senti dedans. Sans comparaison sur le plan purement littéraire, j'avais beaucoup apprécié À l'ouest rien de nouveau de E.R. Remarque et j'espérais inconsciemment retrouver celui-ci dans le combat pour le boqueteau. Mais c'était oublier la vision radicalement différente de la guerre que proposent les deux livres.

1 L'ancienne remonte à 1932


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