La musique enchanteresse et nostalgique du Testament Français (1995) se poursuit dans le titre même de ce roman de 130 pages. Une mélodie obsédante et discrète comme l'âme russe, au fond de laquelle résonnent en sourdine deux mots révoltants et blessants, homo sovieticus, l'homme russe indifférent et résigné sous les brimades du stalinisme.
Dans la petite gare enneigée perdue au cœur de l'immensité glaciale qui s'étend entre l'Oural et Moscou, des passagers résignés attendent un train indéfiniment retardé par les intempéries. Civils et militaires tentent de dormir, engourdis par la fatigue et le froid. Un des voyageurs s'assied à un piano perdu dans un local à l'étage: les larmes aux yeux, il joue un air qui suspend le temps. Andrei Makine raconte l'histoire de ce musicien et extirpe l'homo sovieticus d'une connotation dévalorisante pour l'élever à une dignité rare qui rend justice à un peuple meurtri. Ce livre est avant tout l'histoire bouleversante d'une résistance stoïque contre les entraves d'un régime.
À la veille de la seconde guerre mondiale, Alexis Berg, jeune pianiste prometteur, s'apprête à jouer son premier concert à Moscou. Ses parents sont arrêtés le même jour et il doit fuir en Ukraine chez une tante où il se terre jusqu'à l'arrivée de l'armée allemande. Il prend alors l'identité d'un soldat russe mort et s'engage dans les combats aux côté des siens, solitaire et en marge, discret au point de refuser les honneurs pour ne pas se faire remarquer. La guerre terminée, les passés de l'homme qu'il n'est pas et de l'artiste qu'il ne peut revendiquer, menacent à chaque instant de le rattraper.
Les récits d'Andreï Makine se déroulent comme dans un songe, il voit tout à travers un flou artistique délicat, comme en contemplation. Sans perdre une lucidité qui touche à l'essentiel.
Les récits d'Andreï Makine se déroulent comme dans un songe, il voit tout à travers un flou artistique délicat, comme en contemplation. Sans perdre une lucidité qui touche à l'essentiel.
Andreï Makine |
Ce livre est un hommage aux artistes qui n'ont pas le droit d'exister. La terreur ou la censure ont mis et mettent en danger la vie même de celles et ceux qui veulent s'exprimer par la beauté1. Il est intolérable de devoir brûler un violon ou de soulever le couvercle d'un piano avec un sentiment de culpabilité. Ce beau roman rappelle que les victimes des bourreaux ne sont pas le troupeau d'idiots du sociologue anti-conformiste Alexandre Zinoviev.
La Musique d'une vie a reçu le prix RTL-Lire en 2001.
La Musique d'une vie a reçu le prix RTL-Lire en 2001.
1 Andreï Makine, né en Sibérie, a obtenu l'asile politique en France en 1987.
Commentaires
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
AUCUN COMMENTAIRE ANONYME NE SERA PUBLIÉ
NO ANONYMOUS COMMENT WILL BE PUBLISHED