8 août 2013

Ce qui est en haut - Gilles Haumont

Qu'est-ce que l'anthropie ? Le principe anthropique affirme que les lois de la physique sont telles qu'elles favorisent nécessairement l'apparition de la vie humaine. Autrement dit, notre univers serait le résultat d'un projet incroyablement précis, intelligent. Prenez l'image d'un peloton d'exécution devant lequel le fusillé survit au tir. Si le peloton comprend une dizaine de soldats, on peut imaginer que deux ou trois armes se soient enrayées et que les autres tireurs aient manqués leur cible par maladresse ou scrupules, même si la probabilité de tout cela est très faible. Dans le cas de l'apparition de la vie humaine, c'est comme si 10120  (soit 10 suivi de 120 zéros) soldats avaient manqué leur cible. Une coïncidence inouïe. Autant dire que les fusils étaient chargés à blanc, ce qui conduit naturellement à penser que notre espèce est le résultat d'un projet qui ressemble diablement (!) à un volonté divine. 

N'allons pas trop vite en besogne, la science avance les hypothèses avec prudence, et d'ailleurs, par définition, elle n'explique rien par la métaphysique, quelles que soient les convictions philosophiques des chercheurs. D'autres suppositions plus rationalistes sont avancées et si le livre présenté ici incline souvent vers l'explication transcendante, il est bien entendu que rien n'est définitif sur notre comment, hormis les convictions que chacun est libre d'avoir et d'assumer quant au pourquoi. 
Six scientifiques internationaux de haut vol et une étudiante de quinze ans se trouvent enfermés dans une grotte à la suite d'un éboulement durant une expédition spéléologique: une cosmologiste, un physicien, un biologiste, une astrophysicienne, un paléontologue, un physicien et un neurobiologiste qui constituent un éventail des disciplines vitales et très complémentaires de la recherche actuelle, dont les apports individuels ne débouchent finalement que sur un seul consensus quant à la nature et l'explication de l'univers: une complexité telle qui réduit à des conjectures. N'empêche, c'est l'occasion, au seuil de la mort peut-être, d'expliquer à la lycéenne, avec des mots simples, ce que savent les différents chercheurs sur les origines de la vie. L'attrait de ces causeries est qu'elles constituent un aperçu (ou un rappel) des récentes découvertes sur le développement de la vie intelligente, dans les sphères les plus pointues. Une adroite vulgarisation rendue séduisante par des conclusions et extrapolations accessibles au commun des mortels, pour autant que celui-ci trouve intérêt à quelques grandes questions.  

Attention, savoir le titre des œuvres de shakespeare et savoir la réplique to be or not to be ne signifie pas connaître la réalité de Shakespeare ou ce que les puristes en savent. Vous ne sortirez pas docteur en sciences de ce récit, bien qu'il faille une bonne dose de concentration à celui qui a peu de notions de base pour suivre les exposés et surtout les intégrer parmi des connaissances qui restent parfois très carrées chez la plupart d'entre nous. L'exemple de la physique quantique est particulièrement déstabilisant: certaines particules s'avèrent ne pas avoir de position précise, juste la probabilité d'être quelque part et en outre, leur comportement inattendu semble subir l'influence de l'observateur. Certaines perspectives conduisent d'ailleurs à penser que l'univers ressemble plutôt à la projection d'un monde extérieur et nous serions alors pareils à des acteurs d'un jeu vidéo... Tout est dit de façon ludique, mais repose sur des recherches sérieuses. Les frontières de la compréhension humaine empêchent néanmoins les scientifiques de s'accorder sur toutes ces hypothèses. 
Afin de ranger Dieu au placard, les physiciens ont imaginé une alternative au principe anthropique: notre univers est un parmi une infinité d'autres, comme des bulles d'écume sur un océan illimité. Quelle que soit l'infime probabilité que notre monde soit devenu tel, il existerait forcément parmi l'infinité des mondes. Très théorique et abstrait.

Enfin pour achever de nous interloquer, selon les dernières études sur le cerveau, notre moi ne serait qu'illusion totale (clin d'œil à John Banville pour Impostures...) et le libre-arbitre ne serait pas ce que nous imaginons. Il apparaît que la décision de réaliser une action a lieu dans le cerveau un temps bref avant que nous en soyons conscients. Il n'existe alors pour notre conscience que la possibilité d'appliquer un veto immédiat à ce que décide... notre cerveau. À moins que notre conscience ne soit pas personnelle, c'est-à-dire non locale, hypothèse mystérieusement ébauchée par le neurobiologiste prisonnier de la grotte effondrée, un homme croyant. Restons-en là... Si le cœur vous en dit, le livre apporte d'autres surprises et des éclaircissements mieux fondés que je ne le peux à travers ce billet.

Il est une raison importante pour laquelle les scientifiques évitent à tout prix d'apporter plus ouvertement des arguments en faveur du principe anthropique: il ne veulent pas apporter de l'eau au moulin des partisans de l'intelligent design. Ceux-ci ne démontrent pas que leurs propres hypothèses sont vraies, ils se contentent de tenter d'établir que celles des scientifiques sont fausses. Il y a opposition radicale entre les démarches des uns et des autres, les créationnistes ne sont pas des gens de science. 

Ce livre n'est ni de la littérature ni un essai à proprement parler. La partie fiction n'est pas très consistante (les emmurés survivront-ils ?) et l'intérêt réside en premier dans l'apport didactique pluridisciplinaire et abrégé. Qui sait, peut-être cet ouvrage d'initiation (Éditions Anne Carrière) ouvrira-t-il la porte à des vocations d'astronomes, neurobiologistes ou physiciens ? À de nouveaux chercheurs de sens ? Ou à de futurs auteurs de science-fiction: la quête vers nos origines et notre nature conduit en effet aux bords extrêmes de l'imaginable, ce qui la rend hautement captivante.
Image brillante - Wassily Kandinskly
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