19 août 2013

Romans Reza



Plusieurs similitudes lient ces deux romans de Yasmina Reza : leur narrateur est un homme qui rumine ses insatisfactions et se comporte en ronchon caustique ; le portrait qui se dégage est vif, quelques traits brossés au crayon très noir soutenu par un sens psychologique aigu ; leur absorption demande le temps d'un long métrage, laps court parlant de lecture. Enfin, leur toile de fond est schopenhaueresque: l'existence étant faite de désirs insatisfaits et de tracas, les plaisirs ne sont perçus que par contraste avec l'état de souffrance. (Voir Schopenhauer).

Samuel Haberberg (2003) a toutes les raisons de regretter sa situation : ménage pas heureux, mauvaise réception de son premier livre, spleen profond. L'écrivain raté déambule devant les autruches du Jardin des Plantes et tombe sur une ancienne camarade de lycée. Rencontre navrante, il la trouve sans intérêt, accepte stupidement l'invitation à souper et le voilà piégé dans un consternant tête-à-tête. Le pire est à venir avec des aveux sentimentaux dont il ne sait s'ils sont refroidis ou proposition. Contraste inconciliable entre une Marie-Thérèse badine, esprit pratique et content, et un Adam misanthrope qui songe Je ne peux pas croire que Dieu se soit rétracté pour laisser place à une humanité de ton espèce. Incises désabusées - impertinentes ? - sur l'écriture Le vrai écrivain ne réfléchit pas à la littérature. Le vrai écrivain se fout de la littérature. Récit dépouillé, moments ternes et embarrassés que Reza rend avec tant d'authenticité que l'empathie gagne. La phrase est courte, trop diront certains. On objectera que faire simple reste le plus difficile et s'approche le mieux de l'idéal.

Une désolation (1999) est un monologue: Samuel, exécrable, négatif, mordant, exprime sa hargne envers un fils qui mène une vie sabbatique et auquel il reproche d'exister mollement heureux, au lieu de manifester une attitude pugnace. L'âge venant, Samuel se sent rétréci par le monde: Est-ce que vieillir consiste à développer une parodie de soi ? Ce tempérament combatif traduit les positions de Yasmina Reza : La guerre est inhérente à l'homme, elle n'est pas à part. L'homme est immaîtrisable. Car elle privilégie les rapports riches et dangereux : Le confort est la chose la plus rétrécissante du monde. Rien d'étonnant de découvrir chez elle ce personnage désabusé par son véliplanchiste de fils : Écarter la souffrance vous tient lieu d'épopée, harangue-t-il. 
Ce titre possède un potentiel plus riche que le premier évoqué et on imagine aisément un devenir littéraire aux personnages: une réponse du fils à son père ? Paradoxalement, sa nature excessive m'a moins séduit que le sobre et efficace Adam Haberberg, une création dont l'expression même constitue un rempart contre la désespérance qu'elle évoque.
Peu d'informations et critiques correctement fondées sur la Toile à propos des deux textes. Les meilleurs repères sont des entretiens pour L'Express Culture : l'un avec Catherine Argand, réalisé en 1999, l'autre avec François Busnel et Jérôme Serri en 2005. Les plus intéressés trouveront un portrait complet La guerrière appliquée dans le Nouvel Observateur (papier) du 3 janvier 2013. Surtout célébrée pour ses œuvres théâtrales (Art, Le Dieu du carnagebeaucoup analysées et jouées dans le monde, les romans de cette dame talentueuse (occasionnellement actrice de théâtre et de cinéma, elle est aussi réalisatrice) attendent-ils une redécouverte méritée ? 
On observe que la guerrière  a quelque analogie avec l'ex-président Sarkozy:  sèche, «burnée», teigneuse, dure à tout par principe est-elle malmenée par Libération dans une vive critique sur  L'aube le soir ou la nuit, où elle raconte le futur élu qu'elle a suivi durant la campagne 2007. Grand succès de vente.
© The New Yorker
Même si la discrétion est maintenant de mise, la très française russo-irano-hongroise a une aura people qui pourrait la desservir en tant que femme de lettres. Les deux romans ont en outre des émanations existentialistes, décolorées aujourd'hui, et j'ai même lu le qualificatif assassin germanopratin1 à propos de leur caractère intellectuel. Fi de tout cela, les textes vivent seuls. Et pour peu qu'on soit dans les dispositions philosophiques et mentales requises pour être la cible de la sagette Reza, nul doute que ces deux livres cinglants iront au cœur et à l'esprit. 
1 De Saint-Germain-des-Prés.

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