L'essentiel de ce que croit Frédéric Schiffter a été exposé ici et là dans deux billets précédents concernant son livre Philosophie sentimentale. "Sentimentale", c'est-à-dire d'affect et non d'intellect. Foin des théories !
J'y reviens, certainement sous l'effet du charme dont sont nimbés les écrits de certains penseurs pessimistes. Charme triste, pourquoi l'oxymore ? L'auteur explique: "Le charme des penseurs mélancoliques opère tel un souffle léger, subtil et néanmoins pénétrant, sur des consciences cultivées sujettes elles aussi à des langueurs et au doute. Les Latins appelaient spiritus cet élément léger mais puissant dont la vertu est de défier toute forme de pesanteur. Les penseurs tristes ne nous guérissent pas de l'inconfort d'être nés. Leur esprit aère le nôtre en en chassant le Sérieux. Les penseurs de la joie, qui ne sont pas forcément joyeux, nous vantent le rire. Les penseurs tristes, qui ne sont pas pour autant des penseurs de la tristesse, nous rendent le sourire." Et au moindre coup de mou, leurs adeptes, tel Schiffter, qui n'ont pas cette phobie de se laisser séduire par ce qui sort "du registre ritualisé des petites satisfactions", trouvent de l'agrément à ouvrir leurs ouvrages d'où émane un humour froid, noir ou insoumis.
J'y reviens, certainement sous l'effet du charme dont sont nimbés les écrits de certains penseurs pessimistes. Charme triste, pourquoi l'oxymore ? L'auteur explique: "Le charme des penseurs mélancoliques opère tel un souffle léger, subtil et néanmoins pénétrant, sur des consciences cultivées sujettes elles aussi à des langueurs et au doute. Les Latins appelaient spiritus cet élément léger mais puissant dont la vertu est de défier toute forme de pesanteur. Les penseurs tristes ne nous guérissent pas de l'inconfort d'être nés. Leur esprit aère le nôtre en en chassant le Sérieux. Les penseurs de la joie, qui ne sont pas forcément joyeux, nous vantent le rire. Les penseurs tristes, qui ne sont pas pour autant des penseurs de la tristesse, nous rendent le sourire." Et au moindre coup de mou, leurs adeptes, tel Schiffter, qui n'ont pas cette phobie de se laisser séduire par ce qui sort "du registre ritualisé des petites satisfactions", trouvent de l'agrément à ouvrir leurs ouvrages d'où émane un humour froid, noir ou insoumis.
Femme aux bras croisés - Picasso |
Les philosophes qu'aborde ce recueil ne sont pas de ceux qui apportent consolation ou soutien moral mais "c'est une marque de philistinisme de n'en pas goûter le charme", ajoute Schiffter. Car les auteurs qui écrivent d'un beau "noir" ont un vrai pouvoir de séduction. Jugez de cette liste qui ne se focalise pas seulement sur les grands noms attendus: Socrate, L'Ecclésiasite, LaRochefoucauld, Madame du Deffand, Hérault de Séchelles, Émil Cioran, Albert caraco, Nicolás Gómez Dávila, Henri Roorda, Roland Jaccard, ces quatre derniers très peu connus, contemporains du 20ème siècle.
Chapitre remarqué consacré au Livre de l'Écclésiaste, qui serait l'œuvre d'un faussaire de haut vol. On tord le cou aux interprétations qui, sous la poussée d'exhortations moralisatrices, y voient un réquisitoire contre le Mal. La traduction fidèle de Jean Bottero restitue le texte dans sa "belle noirceur" et le considère plutôt comme une plaidoirie contre la Création. Bon travail d'analyse sur ce prophète de l'à-quoi-bon qu'on rapproche trop facilement du Livre de job : Schiffter y perçoit un raffinement dans le désespoir que ne manifeste pas Job, lequel retrouve la confiance par le fait que Dieu s'adresse à lui. Dans l'Écclésiaste, par contre, "avec ou sans Dieu, le malheur mène la danse". L'optimisme moral de la philosophie grecque, et en particulier l'épicurienne, n'a que de faux airs avec celle qui clame "À quoi bon ?" car il n'y a ni action, ni pensée, ni savoir, ni sagesse où nous allons – le shéol.
Le repas de l'aveugle - Picasso |
Pire, là où l'Ecclésiaste dit la vanité de l'illusion, Alberto Caraco veut haïr la vie à en mourir. Intéressant à découvrir mais avec écœurement: il écrivait "Leur amour de la vie me rappelle l'érection de l'homme que l'on pend", où l'on comprend que sa plume est trop radicale. Ce qui explique sans doute pourquoi il est méconnu; brillant mais terroriste. Castré par une mère puritaine, il n'a qu'un seul affect, le dégoût de lui-même et des autres, et du vivant par contamination. Schiffter est impressionné par ce monstre qui exprime sa haine avec un tel style, une telle retenue qu'il donne une œuvre littéraire sans pareille. Mais des propos tels que ceux qui prônent un retour au racisme, avec le carnage et l'esclavage des Jaunes, Noirs et Bruns, si on peut les comprendre chez un écorché, ne sont pas admissibles. Et je ne suis pas sûr que ce chapitre du livre de Schiffter, pas plus que les écrits de Caraco, induiront un charme quelconque, hormis celui de la curiosité. La politesse de Caraco, plus que le savoir-vivre, visait le savoir-mourir : il a attendu la mort de son père pour se pendre.
J'ai voulu mettre en exergue les deux évocations précédentes; d'autres "pessimistes" comme Madame du Deffand dont je vous ai parlé de l'humour, Cioran maître de l'aphorisme sombre, La Rochefoucauld et ses maximes qui cachent une réalité aride, constituent des moments de lecture édifiants et bien tournés.
Garçon et chien - Picasso |
"Je me flatte d’avoir lu et relu tous les livres de Clément Rosset et tous ceux de Cioran. Quand je peste contre mes velléités d’écriture, je reprends un de leurs livres et j’en feuillette des passages au hasard. Le sourire revient et, avant tout, le désir de me remettre à ma page." (Source: blog de l'auteur)
Mes remerciements vont à Babelio et aux éditions Flammarion qui, via l'opération Masse critique, ont mis cet ouvrage à ma disposition.
Voir/écouter F. Schiffter à propos de ce livre sur Le chêne parlant.
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