17 janvier 2014

Les sept meurtières du visage



Faites l'expérience : fermez les yeux, bouchez les oreilles, une pince sur le nez. Si vous faites abstraction du toucher et ne goûtez rien, il n'y a plus aucune sensation. Continue-t-on à vivre comme cela ? Comment ? Que reste-t-il ? Perte progressive incurable des sens jusqu'à devenir un œuf, un rat-taupe, voilà ce que le médecin promet à Basile. Mais "on ne se prépare pas à devenir un œuf comme on se prépare une omelette". Ironie ultime, perdre ses connexions naturelles à l'heure où tout un chacun est connecté au monde, partout et à toute heure.

L'idée de la maladie de Basile vient d'une légende chinoise qui raconte le contraire. L’empereur du milieu, Houen-Touen à l'hospitalité réputée, connu sous le nom de Chaos, ne possède aucune ouverture du visage depuis la naissance. En tentant de percer les sept orifices pour qu'il voie, entende, sente, mange et raconte son vécu, on lui fait rendre l'âme. Jean Levi en a tiré une réflexion originale sur l'être[1].




Luc baba est un écrivain qui fait de la prose avec trois notes de poésie : une fleur, deux oiseaux et trois couleurs font un monde bien écrit. Il mène sa narration sans passer par les formes convenues, au gré d'une phrase nue, claire, en forme de trouvaille. Jeannine Paque explicite : Une page de Luc Baba est reconnaissable, il y a un style: un emploi aigu des mots, des formules inventives, des figures complexes. Une écriture qui se situe à un niveau de littérarité élevé.[2] 

Basile ne sera pas seul pour affronter la perte de ses canaux sensoriels. Hélène est prévenante, amie fidèle, l'amante parfois, mais grise et délavée comme une femme dont on n'est pas amoureux. Puis Pad, le grand-père qui l'a élevé depuis cette veille de Noël où les routes étaient dangereuses, où les parents de Basile ne sont jamais arrivés, ce cher vieux qui s'est mis en tête de l'hommifier. Et les trois sorcières l'accompagnent, Peur, Tristesse et Colère, qui n'ont pas dit leur dernier mot. Mais l'auront-elles ? Car l'approche de la réclusion peut inciter à assumer le fait de vivre pleinement. Et puis il existe un plus tard jusqu'à la seconde qui précède la mort, lit-on sur le carrelage de toilettes publiques.


L'auteur, avec sa gentillesse habituelle, a répondu à quelques questions nées en cours de lecture.

Où as-tu rencontré la légende chinoise de Chaos ?

Penses-tu que les vendeurs d'encens et de nirvāna n'apportent rien ?
Non. Ce serait juger ceux qui s'en nourrissent.

Où situes-tu la scène sur le toit d'un immeuble (beau passage, marquant) ? À Liège ?
J'ai visité un studio tout en haut de la tour Kennedy. La vue m'a plongé en méditation... Mais l'image que j'avais en tête au moment d'écrire était un patchwork de souvenirs.

Mes pas s'écrivent dans la neige, noir sur blanc, comme les corbeaux, écris-tu dans les dernières pages du roman. Penses-tu être un auteur sombre ? Écrirais-tu un livre joyeux ? 
 Le Mystère Curtius est un roman policier qui, me dit-on, donne le sourire. Je refuse de me définir. Mon parcours d'écrivain reflète mes chemins intérieurs. Je suis un homme heureux, mes blessures s'écrivent, l'écriture est une alchimie. L'eau de mes larmes anciennes font un vin de mots. Un vin rouge sans prétention. Certains préfèrent le rosé...

Ta vision dynamique du travail d'écrivain te conduit à dire dans une interview[2] que l'on est écrivain quand on a terminé son dernier livre. Penses-tu l'avoir fait ? 
Non ! D'ailleurs je travaille à d'autres bouquins. 

On s'en réjouit. 

[1] Voir la lecture de Morgan Gaulin.
[2] Le Carnet et les Instants n°174 page 14 téléchargeable.



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