Faut-il partir ? Rester ? Si tu peux rester, reste ; Pars, s’il le faut.
(Charles Baudelaire, Les fleurs du Mal)
Rarement faux témoignages auront tant les accents du vécu. Ils sont dédiés à Jules Boulard, allumeur de réverbères. Une image reprise dans la préface, qui raconte comment, après quarante ans, le narrateur retrouve ce maître, celui qui lui avait confié quelques écus de langue française et reçoit de lui l'incitation à écrire ses souvenirs comme on allume des réverbères[1]. Voici cette chronique familiale, due à Lorenzo Cecchi, reprise sous forme de huit séquences, souvenirs familiaux des années 1947 à 1974, depuis Morravalle, village italien des Marches, avec Osvaldo venu en Wallonie pour travailler dans les charbonnages, jusqu'à ce fils d'immigré, étudiant en sociologie et serveur de café.
Italie centrale © Armando Valeriani |
"Osvaldo et Giovanni ont fait souche en Belgique dans cette région dont ils ne soupçonnaient même pas l’existence et qui s’appelle Wallonie. Leurs descendants sont nés à Charleroi, Ottignies, Liège, enfin là où l’on trouve des maternités. Leurs petits-enfants ne savent rien d’eux et ne les ont pas connus. "
J'ai bien connu cette population italienne, elle fait partie de ma jeunesse liégeoise et si Cecchi mentionne les rues et les lieux carolorégiens, comme le Bois du Cazier de sinistre mémoire, la société qu'il raconte est aussi celle qui peupla maints quartiers de Liège à partir des années cinquante. On se souvient des "baraquements" qu'ont d'abord occupés les Italiens. La plupart, tous, sont des Belges à présent. Naguère les cours de récréation, féroces, résonnaient fréquemment de «sales macaronis» et ils étaient «sur la moutouelle». Tel est devenu garagiste, tel est aujourd'hui ministre. Et lorsque celui-ci rappelle sans chichis à la télévision son parcours d'adolescent montois, les cœurs s'attendrissent : voilà des gens bien de chez nous. La mise en lumière de ces temps modestes, où les maisons se construisent à la sueur des familles, où l'on se marie et fait des enfants, où on boit du vin et des liqueurs le dimanche, où on fait l'apprenti maçon pendant les vacances en Italie, voilà sans doute ce qui rend le livre de Lorenzo Cecchi très attachant, parce qu'il y a un peu d'eux en nous.
© Harald Finster |
Mon regret est que ces chroniques achoppent un peu trop abruptement sur les anecdotes du café Le Prince Baudouin, devant lequel le narrateur passe maintenant quand il se rend à la librairie Molière: C’est toujours un aquarium, mais à présent les vitres sont teintées. On y distingue moins l’intérieur et les poissons sont moins visibles, mais toujours là.
Il n'y a peut-être plus rien à écrire ? C'est vrai, la suite est certainement trop proche de nous pour bénéficier de la patine nécessaire à ce genre de littérature. Il n'empêche, l'auteur semble parti sans refermer la porte.
Ci-dessous, l'auteur est interviewé sur La Première radio à l'occasion de la sélection de son titre Nature morte aux papillons pour le Prix Première 2013.
[1] Dans les années cinquante, le soir entre chien et loup, nous voyions par la fenêtre une silhouette un peu inquiétante munie d'une lance. Notre père, le doigt levé, les yeux ronds nous disait qu'il s'agissait de Feuerman. Si nous n'étions pas sages, Feuerman viendrait. L'allumeur de réverbères faisait plus peur à mon petit frère qu'à moi, mais à la tombée de la nuit, j'observais son passage avec un respect craintif. Il aura fallu la préface de Cecchi pour raviver ce souvenir qui, je le croyais presque, tenait du conte d'enfants.
Halasz Gyula (dit Brassaï)
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