Il y aurait matière à écrire dix billets sur les thèmes abordés dans ces entretiens de Antoine Compagnon avec Jean-Baptiste Andrieu, édités dans la foulée de Un Été avec Montaigne. Le professeur, essayiste et chercheur en littérature, retrace sa trajectoire professionnelle en commentant des travaux qui l'ont conduit, depuis 1979, à produire plusieurs livres remarqués comme La Seconde Main, Les Cinq Paradoxes de la Modernité, Le Démon de la Théorie ou Proust entre Deux Siècles.
Si le début du livre est un peu morne qui raconte le début d'une carrière, il devient très intéressant avec la découverte de la vocation littéraire au départ d'une formation d'ingénieur. Il prend sa force dans les études autour de trois auteurs clés, Montaigne, Proust et Baudelaire, pour poursuivre avec une pénétrante réflexion sur les notions de modernité et d'anti-modernité et culminer en un avis franc sur l'évolution des lettres aujourd'hui. Et leur enseignement, où la pédagogie inversée n'est pas si nouvelle qu'on le prétend...
Le fait qu'il s'agit d'un entretien ne gêne en aucune façon le côté didactique d'un livre extrêmement clair, sans excès de termes spécialisés sinon ceux requis par les sujets qui relèvent de la recherche en littérature. Le tableau général brossé apporte une vision lumineuse de l'évolution des lettres et des tendances qu'elles véhiculent. Si Compagnon, au vu de ses auteurs et thèmes de prédilection, qui s'est arrêté à Tintin sans prendre le virage de Pilote – et donc plus proche des références livresques et cinématographiques de Rouaud que de Chevillard – peut sembler attaché à des idées conservatrices, prudent vis-à-vis des avant-gardes, il nuance cette image. Honnêteté intellectuelle et motivation, excluant les projets inscrits dans le trop long terme et jamais engagés, puis un flair qui sait reconnaître les sujets qui l'attendent, telles sont les disciplines du Compagnon chercheur.
Et encore les mots d'un lecteur distingué – dont ceux-ci où l'on n'ose se retrouver :
Les heures de lecture doivent être conquises sur cette parcellisation du temps et sur les nombreuses activités qui confisquent notre attention. Or il existe une relation profonde, essentielle, entre la lecture et l'ennui. Les enfants de ma génération n'avaient pas grand-chose à faire durant les trois mois des grandes vacances d'été. Celles-ci avaient été inventées pour fournir de la main-d'œuvre pendant les moissons et les vendanges. Il m'est arrivé de faire les moissons dans le Berry, mais, le reste du temps, on comblait l'ennui en lisant Guerre et Paix, Anna Karénine, et tous ces longs romans russes et anglais, Trolloppe, George Eliot, Thomas Hardy, que Proust adorait déjà. Aujourd'hui, on ne connaît plus ce vide; nos prothèses électroniques occupent nos loisirs. On n'envisage plus de vacances sans wifi. Tout le monde travaille vingt-quatre heures par jour, et sept jours sur sept. Quel temps reste-t-il pour une lecture absorbante ? J'ai moi-même de plus en plus de mal à me plonger dans un livre, malgré l'habitude et le plaisir de la lecture. Que doit-il en être pour un adolescent qui n'a jamais été accoutumé à cet exercice ! Si l'on choisit des œuvres courtes, c'est pour s'efforcer de maintenir une lecture intégrale dans des conditions très réduites de disponibilité.
Plutôt qu'écraser sous le poids d'un billet lourd, je me propose de revenir sur cet ouvrage dynamisant au gré de prochains billets, au fil du temps, des pages et des humeurs.
[Suite de l'article]
Et encore les mots d'un lecteur distingué – dont ceux-ci où l'on n'ose se retrouver :
Les heures de lecture doivent être conquises sur cette parcellisation du temps et sur les nombreuses activités qui confisquent notre attention. Or il existe une relation profonde, essentielle, entre la lecture et l'ennui. Les enfants de ma génération n'avaient pas grand-chose à faire durant les trois mois des grandes vacances d'été. Celles-ci avaient été inventées pour fournir de la main-d'œuvre pendant les moissons et les vendanges. Il m'est arrivé de faire les moissons dans le Berry, mais, le reste du temps, on comblait l'ennui en lisant Guerre et Paix, Anna Karénine, et tous ces longs romans russes et anglais, Trolloppe, George Eliot, Thomas Hardy, que Proust adorait déjà. Aujourd'hui, on ne connaît plus ce vide; nos prothèses électroniques occupent nos loisirs. On n'envisage plus de vacances sans wifi. Tout le monde travaille vingt-quatre heures par jour, et sept jours sur sept. Quel temps reste-t-il pour une lecture absorbante ? J'ai moi-même de plus en plus de mal à me plonger dans un livre, malgré l'habitude et le plaisir de la lecture. Que doit-il en être pour un adolescent qui n'a jamais été accoutumé à cet exercice ! Si l'on choisit des œuvres courtes, c'est pour s'efforcer de maintenir une lecture intégrale dans des conditions très réduites de disponibilité.
La liseuse - Pierre Auguste Renoir. |
Plutôt qu'écraser sous le poids d'un billet lourd, je me propose de revenir sur cet ouvrage dynamisant au gré de prochains billets, au fil du temps, des pages et des humeurs.
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Comme ce livre n'est pas à la bibliothèque, merci de nous en faire part longuement.J'attends la suite avec plaisir. Cet été j'ai écouté quelques chapitres sur Baudelaire (France Inter) et me propose de lire Un été avec Proust.
RépondreSupprimerJ'ai connu ces longs étés d'il y a quelques décennies, sans télévision, même, et déplore ne pas avoir eu sous la main des livres bien solides, car j'avalais tout à l'époque. Non, pas de bibliothèques en (petite) ville... Mais jouer avec des camarades, c'était autre chose (et pas d'électronique, bien sûr)
Oui Keisha, je vais dans les prochains jours revenir sur tous les points singuliers de ce entretien vraiment enrichissant. Les sujets sont trop divers pour tout placer en un seul billet, puis il faut préparer... Je suis content en tous cas que ce livre vous intéresse.
SupprimerPas d'électronique en ces temps-là et moins la tentation de s'accrocher à tout ce qui bouge, bipe et clignote sur les écrans. La lecture séquentielle est-elle en péril ?
je vais vérifier si je le trouve à la médiathèque, son Proust entre deux siècle est certes passionnant mais un peu difficile d'abord et j'ai sur ma liseuse son Eté avec Proust que j'avais écouté mais je suis comme vous j'aime bien avoir deux versions
RépondreSupprimerJ'aime souvent combiner la lecture et l'écoute, préférant toutefois d'abord lire avant d'écouter. Auquel cas je suis moins obligé de revenir en arrière sur le support audio parce que je n'ai pas compris une idée, une phrase.
SupprimerJ'ai écouté sa série sur Proust l'été dernier et suivi de loin celle sur Baudelaire cet été (le format a été réduite, c'est bien dommage).
RépondreSupprimerLe livre sur Montaigne me fait de l’œil depuis un moment...
Personnellement je suis plus intéressé par son étude de Montaigne que par celle de Baudelaire, même si ce dernier lui permet de s'attarder sur des notions de modernité et d'anti-modernité qui sont mal connues et méritent un nouveau regard. J'essaierai d'en dire un mot prochainement.
Supprimer"Un été avec Montaigne" : allez-y !
Je me souviens de ces après-midi où je commençais à lire juste après le repas et où, tout à coup, je me rendais compte que la lumière avait baissé et qu'on était déjà le soir.... Ah, quels bonheurs vous me rappelez là... Merci.
RépondreSupprimerCe n'est donc plus le cas pour vous non plus...? Nous regretterions tous une autre époque. Mais aussi peut-être ou une adolescence ?
SupprimerBonne journée !
J'ai connu ces longs été d'ennui et en plus je n'avais pas de livres à ma disposition .. je me suis rattrapée plus tard. De cet auteur, dans l'immédiat, je voudrais surtout lire "un été avec Montaigne". Je vais suivre vos billets avec intérêt.
RépondreSupprimerJe me ferai un plaisir de vous proposer ces billets sur ce professeur émérite. Je n'ai pas lu "Un été avec Montaigne" mais la réputation du livre et de l'auteur ne saurait décevoir.
SupprimerJ'aborde "Le démon de la théorie", un peu ardu, mais j'espère m'en sortir.
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RépondreSupprimerJe me demande pourquoi ce livre n'est pas beaucoup en bibliothèque. C'est sans doute parce qu'il s'agit d'un entretien qui est sans doute moins "indispensable". Pourtant il me convient vraiment parce qu'il offre des regards de synthèse plus abordables pour des non chercheurs, qui n'ont pas les mêmes objectifs.
Supprimer@Pascale : je suis désolé Pascale, votre commentaire a été supprimé par erreur et j'en suis désolé. Avec toutes mes excuses.
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