8 octobre 2014

Le nominalisme de Montaigne

La pénétration du nominalisme dans la pensée de Montaigne est généralement admise. Dans le court chapitre Des noms, qu'Antoine Compagnon ne considère pas comme un détail des Essais, le philosophe manifeste sa méfiance pour les généralités linguistiques et son souci des choses réelles : Quelque diversité d'herbes qu'il y ait, tout s'enveloppe sous le nom de salade. De mesme, sous la considération des noms, je m'en voy faire icy une galimafrée de divers articles. Le mot «herbe» désigne en effet toute une variété de plantes différentes qui ont chacune un nom et des caractéristiques singulières. L'herbe existe-t-elle ou n'est-elle qu'un mot ? Correspond-elle à quelque chose qui existe vraiment ? Les réalistes prétendent que oui, les nominalistes n'y voient aucune validité ontologique (sur le pan de l'existence).

Montaigne doutait des concepts trop généraux, il ne pensait pas que la chose soit contenue dans le nom. Il semble que cela vienne de son éducation, de sa formation de magistrat et de ses études de droit. Au départ, il considérait que le nom «Montaigne» était un signe arbitraire et étranger, ne désignant qu'un auteur au sens de personne proposant un savoir spécialisé pour lequel elle fait autorité.

Dans Nous, Michel de Montaigne, Compagnon se penche sur l'évolution qui permet à Montaigne de s'approprier pleinement son nom. Le nom de l'auteur des Essais est pris progressivement au sens d'une personne livrant au public sa singularité et qui en revendique la propriété. Au départ, Montaigne regrettait de ne pas avoir de nom qui fût assez sien, et les Essais ont pour ainsi dire corrigé ce manque d'adéquation entre le nom et la chose. Montaigne aperçoit l'identité de sa personne et de son livre, ....comme si l'écriture, par son mouvement, son histoire même, avait opéré la critique du nominalisme qu'il affichait d'abord. La notion d'auteur a évolué, Montaigne passant d'un nominalisme linguistique à un réalisme littéraire. 


Montaigne dans le château de Saint-Michel (Dordogne) (gravure XIX-XXe siècle)

4 commentaires:

  1. ah celui là je ne l'ai pas lu !

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    1. Oh mais moi non plus et je ne sais si cela a un intérêt à notre niveau. Simplement que Compagnon en fait un bref aperçu et je trouvais intéressant de communiquer ce qu'il a voulu démontrer...
      Avec cet article, j'en termine avec ces notions un peu hermétiques qui permettent de mesurer les enjeux de la recherche en littérature.

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  2. J'ai commandé l'édition Quarto présentée par Dominique pour me replonger dans les Essais, une relecture projetée depuis longtemps, et que vous me rappelez régulièrement, merci. Bonne journée, Christw.

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    1. La lecture de l'entretien avec Antoine Compagnon (publié sous le titre "Une question de discipline") a été l'occasion, pour moi et d'autres j'espère, de comprendre ce que peut apporter la recherche littéraire en approfondissant, modestement bien sûr, le cas de Montaigne.
      Bonne chance avec l'édition Quarto.

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