Photo de Robert Capa à Barcelone en 1939 |
Il faut que tu sais, ma chérie, qu’en une seule semaine, j’avais aumenté mon patrimoine des mots : despotisme, domination, traîtres capitalistes, hypocrésie bourgeoise, cause prolétarienne, peuple saigné à blanc, explotation de l’homme par l’homme et quelques autres, j’avais apprendi les noms de Bakounine et de Proudhon, les paroles de Hijos del Pueblo, et le sens de CNT, FAI, POUM, PSOE, on dirait du Gainsbourg. Et moi qui étais une noix blanche, pourquoi tu te ris ?, moi qui ne connaissais rien à rien, moi qui n’étais jamais entrée dans le café de Bendición par interdiction paterne, moi qui croyais encore que les enfants naissaient par le derrière, moi qui ne savais même pas ce qu’était embrasser n’ayant jamais vu deux personnes le faire et pas de télévision pour m’instruire, moi qui savais encore moins comment se practiquait l’Acte (ma mère dit l’Acte pour l’acte sexuel), ni le 69, ni les pipes, ni rien, je suis devenue en une semaine une anarquiste de choc prête à abandonner ma famille sans le moindre remordiment et à piétiner sans pitié le corazón de mi mamá.
Lydie salvayre - Pas pleurer
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Pourquoi Pas pleurer ?
Marina Tsvetaïeva, dans une lettre adressée à Boris Pasternak, en se remémorant des sentiments douloureux, s’arrête et note : « pas pleurer ». C'est aussi l'injonction d'une mère à sa fille.
Je souris en lisant ces mots, ces inventions-traductions... comme "pourquoi tu te ris", traduction littérale de "¿por qué te ríes?" ou "remordiment".
RépondreSupprimerSuperbe illustration!
Je pense que cet extrait doit vous toucher particulièrement, j'ai connu quelques ami(e)s espagnol(e)s qui avaient cette façon de s'exprimer. Saviez-vous, je l'ai découvert en m'informant sur le fragnol, qu'existe aussi le spanglish, influence de l'espagnol sur l'anglais ? I doit y en avoir d'autres.
SupprimerJeu des expressions (chez Colo), jeu des langues (ici), c'est savoureux, comme une "noix blanche" - merci ! (Emue de retrouver Tsvetaïeva dans ce titre.)
RépondreSupprimerAvec une telle maman espagnole, l'auteur a écrit cela comme coudre et chanter, j'imagine.
SupprimerTsvetaïeva, je le pensais bien, vous accrocherais. Je ne sais où ni quand Salvayre a confié cette information, trouvé sur deux ou trois blogs. Je ne m'en souviens pas dans le livre.
Elle l'a trouvé en lisant Marina Tsvetaeva, lorsqu'elle écrivait son livre sur les "7 femmes". Le contexte : dans un livre Marina avait tendance à se lamenter sur son sort et sa mère lui a dit : Pas pleurer. Ce fut le déclic d'écriture pour Lydia Salvayre qui s'est totalement retrouvée dans ces mots, qui étaient ceux de sa mère aussi, et ceux de sa posture littéraire depuis le début.
RépondreSupprimerLa question sitôt posée trouve réponse, le plaisir de la blogosphère : merci Pascale.
SupprimerC'est très marquant dans ce livre énergique où il n'est pas question de pleurnicher sur les malheurs. C'est une grande «leçon» du Goncourt 2014, je trouve.
Voilà un extrait qui multiplie mon envie de lire le livre (qui était déjà bien affirmée ...) J'ai la correspondance Tsvetaieva-Pasternak-Rilke chez moi ; j'y pioche régulièrement au hasard, je vais y retourner plus sérieusement.
RépondreSupprimerC'est vraiment bien que vous me parliez de cette correspondance, elle m'intéresse depuis longtemps. Est-elle disponible en version poche ? Je crois que Tania en avait fait un billet ?
SupprimerÀ l'exception des phrases en espagnol non traduites (je ne comprends pas bien ceux que ça ne gêne pas, voir le billet précédent), je crois que vous prendrez plaisir au Goncourt.
Oui, c'est une collection poche, "l'imaginaire" de chez Gallimard. http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/L-Imaginaire/Correspondance-a-trois
RépondreSupprimerC'est la même collection que "Sauf-conduit" de Pasternak, je l'ai acheté d'occasion et pas encore beaucoup lu (difficile, je trouve).
SupprimerMerci beaucoup pour les précisions.
J'ai trouvé ce livre (L. Salvayre) hier à la biblio... il attend la fin de la lecture de Bug-Jargal de Victor Hugo...
RépondreSupprimerC'est une chance de le trouver en bibliothèque, car le Goncourt n'est pas toujours très disponible sur les étagères en novembre/décembre !
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