24 mai 2015

Clin d'œil et ursitude

© Pikabu
Les ours se suivent et ne se ressemblent pas. La dernière fois qu'il en fut question ici, avec Joy Sorman, je laissais peser sur nous une prunelle mélancolique du fond de la fosse. Quel sort de somnoler et tourner en rond par-delà les grilles et les douves ! D'autant que l'animal tiendrait assez de l'homme pour y songer et désespérer. À moins – me revient le poétique Monsieur l'ours de Luc Baba – que ne se cache dedans un amuseur de fonction qui, le soir, regagnerait ses pénates après avoir accroché la peau dans les vestiaires de la caverne... 
Il se peut aussi que les ours du parc des Grands-Bruns nous jouent la comédie des bêtes, qu'ils soient intelligents, vraiment humains et assez comédiens pour nous faire croire qu'ils ne sont que des animaux quand nous les visitons. Voilà tenez ! un sourire à faire danser les ours fait tomber les oursins qui raidissaient vos zygomatiques, je le savais, vous voilà prêts à emprunter les pages de Xavier Hanotte.

Vous ferez connaissance avec des ours humains, Anatole, Onésime et Adalbert pour lesquels le problème est, outre la construction d'un parc d'attractions qui menace leur dolce vita clandestine, de ne pas se faire prendre en flagrant délit d'«humanité» qui trahirait leur vie tranquille. Hanotte excelle en suscitant les situations hilarantes pour ces animaux qui parlent : «Soyons sérieux Anatole ! Tu vous vois crapahuter dans la forêt comme les Slovènes ? Manger des champignons sans les laver ? des ortolans sans les cuire ? Sans compter que, dans la montagne, vous pourriez tomber sur de vrais ours....». 
© Hazasite

Des ours qui ont un compte à régler avec La Fontaine et sa fable déshonorante pour la gent qui les ramène au rang de brutes bêtas. Disons que le pavé de l'ours ne passe toujours pas. Car l'ADIEU (l'Association pour la Défense de l'Image des Espèces Ursidées) veille et agit : un commando armé du scalpel et de l'humidificateur projette de faire disparaître les pages vexatoires du recueil de la bibliothèque de V. C'est une édition Marabout des années soixante, assez rare par ici. Le brochage d'origine est fragile. Mais surtout, à cause de la pagination, impossible d'évacuer la fable de l'ours sans procéder à l'ablation simultanée des Deux amis et sans estropier Le Cochon, La chèvre et le Mouton. Peu discret, comme opération. Sans compter qu'il y a une gravure de Granville, assez bienvenue mais très peu flatteuse pour nous... Enfin, quand je dis pour nous, je me comprends... 
C'est sans compter sur les caprices de la camionnette du gardien réquisitionnée en catimini, ni sur les ours gangsters bosno-croates de Memet, car comme chez les humains, il y a parmi les ours intelligents des mal léchés. Encore qu'entre ours, si on a besoin d'un coup de pattes, tout finit par s'arranger...
L'ours et l'amateur de jardin de La Fontaine - Illustration de Granville

Ce livre, qui va au-delà de la simple farce – on n'attend pas moins d'un écrivain adroit comme Hanotte –, se situe entre la fable et le conte philosophique. Citons Jeannine Pâque : Entre les ours humains et les vrais ours, y a-t-il encore place pour la vérité des hommes ? Pour la clairvoyance ? Pour l’interrogation infinie ? Les livres de Xavier Hanotte ont décidément un double fond et génèrent une pluralité de lectures.

Gratification inattendue : le charme vieillot et délicat des titres de chapitres que réinvente pour nous l'auteur belge : Où Anatole interroge son ursitude , Où l'on cause philosophie et casse la vaisselle,... on se croirait revenu au temps où les livres fleuraient un peu la bougie qu'on ne soufflerait, peut-être, qu'à la fin du prochain chapitre, déjà trop bien esquissé par l'intitulé pour qu'on s'arrête là.


Merci à Pascale pour le conseil de lecture.

15 commentaires:

  1. J'ai adoré ce livre, merci Christian de m'avoir suivie !

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  2. Très tentant en effet, les livres à double fond valent le détour et puis je suis assez sensible à ce type d'humour, j'espère que ma médiathèque l'a ajouté à sa collection

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  3. oups je recommence le commentaire à disparu
    je disais donc que j'aime ce type de roman plein d'humour mais "à double fond"
    je vais voir si ma médiathèque l'a acheté

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    1. Dès que vous avez posté votre premier message, il n'est plus apparu à cause de la modération des commentaires : il est mis en attente d'approbation. J'ai introduit cela pour éviter aux non Google/Blogger de devoir introduire des contrôles fastidieux désormais imposés par Blogspot.

      J'espère que vous le trouverez, Xavier Hanotte est un auteur belge trop peu diffusé, même ici en Belgique.

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  4. C'est par les blogs belges que j'ai découvert Xavier Hanotte ; enfin pas tout-à-fait, seulement son nom. Pour le moment, je ne l'ai pas encore lu. Je ne sais trop par où commencer. Bon dimanche à vous.

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    1. J'ai un très bon souvenir de "Derrière la colline", le roman qui l'a fait connaître. Théâtre de la grande guerre avec un peu de fantastique, unanimement reconnu par la critique. Pour le reste allez peut-être voir chez Pascale, via le lien que je propose en fin de billet.
      Ce roman-ci est amusant.
      Bon dimanche Aifelle.

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  5. Voilà un Xavier Hanotte très différent de "Derrière la colline", que j'avais beaucoup aimé.
    C'est amusant : Margotte attirait mon attention il y a peu sur les essais de Michel Pastoureau consacrés aux animaux, et en regardant sa bibliographie, je me disais que je commencerais bien avec celui sur l'ours ! "Ours toujours" donc. Bonne journée, Christw.

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    1. "Derrière la colline" est un si bon souvenir que je le relirai prochainement.
      L'histoire du roi déchu de Pastoureau est le livre dont s'est inspirée Joy Sorman pour "La peau de l'ours".
      J'y viendrais volontiers, je suppose que vous en parlerez bientôt.

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  6. En plus de craquer sur les photos d'ours (hé oui, comme bien des gens, j'ai possédé un ours en peluche dans mon enfance) j'apprécie fortement l'humour de votre billet. Hanotte était repéré, je le découvrirai (avant le prochain mois belge, cela reste à voir ^_^)

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    1. Rendez-vous avec Xavier Hanotte alors, au mois belge ou pas, c'est vous qui voyez.
      J'avais un ours qui s'appelait Martin, c'était «mon Martin» que je trimbalais partout et qui a fini décousu, perdant son rembourrage comme ma petite enfance défaisait sa magie.

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  7. Je découvre Hanotte moi aussi, votre billet est alléchant, si j'étais oursonne...mais voilà, j'interroge mon ursitude depuis que j'ai terminé et beaucoup apprécié "La peau de l'ours".
    Bonne fin de semaine Christian.

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    1. Vous évoquez l'oursonne, et je me rends compte que j'ai omis dans le billet de signaler cette particularité du roman, il n'y a pas d'ourse parmi les protagonistes. Rien que des ours, pas très ours mais des ours sans ourse, c'est un peu ours, non ?
      Bon week-end Colo ;)

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  8. Un auteur que je ne connais pas - mais j'aimerais bien. Merci.

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    1. Je ne suis pas sûr que cet auteur soit facilement disponible dans vos médiathèques, mais j'espère me tromper.
      Bon week-end.

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