Je ne m'embarrasserai pas de vous présenter ce roman en détail, il est parfaitement rendu par Francine Ghysen de la Promotion des Lettres de la fédération Wallonie-Bruxelles, une critique déjà indiquée hier dans la page marquée (si vous n'aimez pas en savoir trop du scénario du récit, survolez).
C'est en réalité le tout premier roman écrit par Jacqueline Harpman que les Éditions Julliard avaient gardé dans les cartons pour ne le publier qu'en 1960, après "Brève Arcadie", le prix Rossel de 1959. Les raisons de cette temporisation seraient tactiques, Julliard préférant ne pas abonder dans les histoires de jeunes filles dépucelées alors que la maison venait de connaître le succès de "Bonjour tristesse" en 1954 (la démarche serait peut-être autre aujourd'hui où il est bon d'enfoncer le clou avec ce qui se vend ?). Il s'agit ici, chez Ancrage, d'une édition revue et corrigée en 1999 par Harpman, quasiment quarante ans après, et complétée d'une postface de Thomas Godefridi [1]. Ce dernier fait particulièrement les éloges de ce qu'il répète être un premier roman en passant sous silence qu'il s'agit d'un texte remanié. En effet, malgré l'inélégance de se renier, l'auteure avoue qu'elle a "pris la tondeuse à gazon, le sécateur et la plume en respectant la fille que je fus". Ce «jardinage» fut-il important ? On aurait aimé lire l'orignal malgré les imperfections de jeunesse.
Le titre du livre trouve sa justification dans l'exergue de La Rochefoucauld : "Il en est du véritable amour comme de l'apparition des esprits : tout le monde en parle, mais peu de gens en ont vu". Le trio amoureux – Catherine, Julien, Alker – au centre du roman, finement exploré, nous est relaté avec cette écriture distinguée qui caractérise la psychanalyste belge.
Si ce récit fleure un peu l'époque de Sagan, les étudiants audacieux et les cigarettes, il est composé avec une magnifique plume venue du dix-neuvième siècle (on songe à Stendhal). En lisant cette tournure "... je ne m'aveuglais pas si bien que je ne puisse aujourd'hui démêler les vraies raisons de ce silence", je me dis que cela avait un chic qu'on ne retrouvera pas dans les traductions anglo-saxonnes semées en abondance dans les librairies. Pour oser une comparaison facile, accompagner un repas de piquette ou d'un champagne ne procure pas les mêmes sensations. À côté de ceci, densité et concision font merveille lorsqu'elle écrit "... ce fut peut-être le moment le plus sincère de nos amours, le désir de l'aveu balayait les doutes" ou bien, pour évoquer nos grandes sottises, "Au lieu de reconnaître sagement que le pain quotidien se mange sans sel, on s'évertue à reproduire l'exceptionnel."
Harpman était une grande amoureuse de la langue française, elle est du grand cru qu'il faut lire. Si l'on est effrayé par ses qualifications de psychanalyste, elle rassure dans un entretien à La Libre (novembre 2011) "Le psychanalyste a le désir de comprendre son patient, l’écrivain veut le faire vivre".
Jacqueline Harpman a donné une suite en 2000 "Le véritable Amour", où l'on retrouve Catherine (et Alker) trois ans plus tard en quête d'un mari, dans une histoire aussi romanesque, mais plus rose, paraît-il. Je ne l'ai pas lu, mais doute de son intérêt au vu de l'excellente unité de "L'apparition des esprits" qui se suffit. Mais Harpman dit tant aimer ses personnages...
Dans la foulée, j'ai lu "La forêt d'Ardenne" (2004, Le Grand Miroir), brève nouvelle de quarante pages : j'y ai trouvé un plaisir modéré, ce texte énigmatique étant à la fois trop précis et détaillé pour faire une belle allégorie et trop court pour constituer une histoire attachante.
[1] Licencié en langues et littératures romanes
Jacqueline Harpman a donné une suite en 2000 "Le véritable Amour", où l'on retrouve Catherine (et Alker) trois ans plus tard en quête d'un mari, dans une histoire aussi romanesque, mais plus rose, paraît-il. Je ne l'ai pas lu, mais doute de son intérêt au vu de l'excellente unité de "L'apparition des esprits" qui se suffit. Mais Harpman dit tant aimer ses personnages...
Votre extrait d'hier nous (m) avait mis en appétit; celui-ci nous (me) convainc.
RépondreSupprimerUne auteure dont j'ai apprécié la finesse dans les deux ou trois romans lus, ici vous faites également l'éloge de la langue française qu'elle écrit, je note ce titre donc.
Merci et bonne semaine à vous.
Ce roman-ci annonce l'œuvre à venir, certainement.
SupprimerMa remarque un peu élitiste sur la belle langue française de Harpman s'explique par la transition vécue par moi, qui sors de quelques récents romans noirs...
À bientôt Colette, bonne semaine.
J'ai bien envie de découvrir cet auteur (moi aussi j'aime que l'on écrive comme Stendhal), ma bibliothèque ne possède pas ce livre, mais d'autres, tels La plage d'Ostende et orlanda. Conseils?
RépondreSupprimerJ'ai livré mes avis hier à Aifelle : ce que j'ai lu de J Harpman est toujours très bien, j'ai une attirance pour "La plage d'Ostende". Évitez "La forêt d'Ardenne", il n'est pas représentatif de l'auteure.
SupprimerJe n'irai pas, comme Colo, jusqu'à employer le pluriel de politesse (ou de modestie) pour vous (te) répondre, mais je trouve un vif plaisir à la rencontre d'un livre qui use d'un français un peu désuet et bien tourné. Moi qui ne boit guère d'alcool, ce doit être mon champagne ;)
Un conseil ? Lisez Harpman.
Je n'avais pas vu la réponse à Aifelle. Bien, j'ai noté La plage d'Ostende sur ma liste de la bibliothèque.
SupprimerJ'espèré que vous y trouverez du plaisir ! Bonnes lectures, quelles qu'elles soient.
SupprimerJe suis certaine de l'avoir déjà lu mais impossible de me rappeler le titre du roman
RépondreSupprimerje vais vérifier si ma bibliothèque est riche de cette auteure là
Vous qui faites un retour vers les grands classiques, un Jacqueline Harpman ne déparera pas, soyez en sûre Dominique.
SupprimerMa bibliothèque possède quelques ouvrages de Jacqueline Harpman, dont "la plage d'Ostende" et "moi qui n'ai pas connu les hommes", il est problable que je commencerai par là. J'ai quasiment toujours aimé les romans écrits par des psychanalystes, en général ils savent écrire et raconter des histoires.
RépondreSupprimerJe pense que cette profession est le terrain propice pour développer des histoires dont la psychologie est le socle. Encore faut-il savoir les raconter.
SupprimerContent que vous puissiez découvrir Jacqueline Harpman via la bibliothèque.
Je ne l'ai jamais lue - sans doute ses livres viendront à moi quand il le faudra.
RépondreSupprimerBonne journée.
Les livres rencontrés dans la blogosphère sont comme les petites flèches peintes sur les arbres des grands chemins, on ne les suit que si l'on souhaite faire telle route et on pourra toujours en tenir compte une autre fois selon notre gré et l'humeur du moment.
SupprimerBonne semaine.
Pas lu - enchantée de la suggestion, c'est noté.
RépondreSupprimerEnchantée par les vacances aussi, j'espère ? À bientôt Tania.
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