Au lieu de l'ausculter, tout en posant sur elle ses admirables regards où il y avait peut-être l'illusion de scruter profondément la malade, ou le désir de lui donner cette illusion, qui semblait spontanée mais devait être devenue machinale, ou de ne pas lui laisser voir qu'il pensait à autre chose, ou de prendre de l'empire sur elle, – il commença à parler de Bergotte.
«Ah! je crois bien, Madame, c'est admirable; comme vous avez raison de l'aimer ! Mais lequel de ses livres préférez-vous? Ah ! vraiment. Mon Dieu, c'est peut-être en effet le meilleur. C'est en tout cas son roman le mieux composé : Claire y est bien charmante ; comme personnage d'homme lequel vous y est le plus sympathique ?» Je crus d'abord qu'il la faisait ainsi parler littérature parce que, lui, la médecine l'ennuyait, peut-être aussi pour faire montre de sa largeur d'esprit, et même, dans un but plus thérapeutique, pour rendre confiance à la malade, lui montrer qu'il n'était pas inquiet, la distraire de son état. Mais, depuis, j'ai compris que, surtout particulièrement remarquable comme aliéniste et pour ses études sur le cerveau, il avait voulu se rendre compte par ses questions si la mémoire de ma grand-mère était bien intacte.
(Marcel Proust - Le Côté de Guermantes)
(Marcel Proust - Le Côté de Guermantes)
Cité par André Didierjean dans La madeleine et le savant (Seuil- Science ouverte)
Cet extrait est le préambule au compte-rendu, demain, d'un livre qui ose le défi de conjuguer la littérature et la science. Marcel Proust y est convié pour illustrer les avancées dans le domaine de la psychologie cognitive.
Le malaise de sa grand-mère et les consultations qui s'ensuivent ont bouleversé le narrateur - Proust, comme toujours, offre une fine observation de la scène. Bien sûr, j'attends le compte rendu annoncé !
RépondreSupprimerBon week-end par ce temps lumineux.
Temps lumineux mais en allant hier vers le fond de l'Ardenne, fraîche couverture brumeuse qui ne nous a quitté que revenu vers Liège en soirée.
SupprimerDans le billet de ce jour, un lien discret vers votre relecture assidue de La Recherche.
Bon dimanche, Tania.