"Il aimait plus que tout la chienne de la maison, Loulou, une chienne jaune et pointue de gueule, qui allait très bien par les bêtes mais n'obéissait vraiment qu'à lui ; elle avait l'air de savoir quand il reviendrait et l'attendait sous le tilleul, le dernier jour elle se postait là et ne bougeait plus ; on se le disait dans la maison, la chienne le sent il sera là avant le soir, et il arrivait, il marchait dans la cour, elle lui faisait la fête, l'entourait de cercles fous, sautait à ses genoux, à ses hanches, à ses flancs, mais ne le touchait pas, il ne la touchait pas non plus. Personne ne pouvait toucher cette chienne qui avait grandi dans la grange sous un tas de vieux piquets et jouait au ballon les soirs de juin quand les jours ne finissaient pas et que l'on n'avait pas encore vraiment commencé à faner ; le ballon n'avait pas le temps de retomber, elle surgissait, lancée dans l'air, vrillée, inévitable, le patron disait qu'elle aurait été la meilleure gardienne de but du monde, on riait dans la cour de la ferme, même la patronne lançait la balle au pied, et les filles aussi, ils avaient trois filles et un grand fils dans cette ferme et ils étaient joyeux, les hirondelles se jetaient dans le ciel, on jouait tous dans leurs cris. Joseph y repensait, il avait été jeune dans cette ferme de la commune de Ségur dans la vallée de la Santoire, [...]."
"Il y a des romans dont la modestie touche au sublime" dit un article de Astrid De Larminat dans Le Figaro (11 septembre 2014). L'histoire touchante de cet ouvrier agricole du Cantal, proposée par Marie-Hélène Lafon, poursuit une œuvre qui rappelle la force des "Vies minuscules" de Pierre Michon et le monde rural de Pierre Bergounioux.
Discret, doux et taiseux, Joseph, né dans les années mille neuf cent cinquante, n'a pas les talents ni les ambitions de son frère Michel et vit un cran plus bas, de ferme en ferme, travailleur isolé. La rencontre avec une inconstante Sylvie le mène à la déception et à l'alcool. Car Joseph "n'a pas fait maison", n'eut ni ménage heureux ni enfants. Mais on le voit presque comblé lorsqu'il est raconté, cet homme humble, serein et tranquille, entre l'atelier et l'étable, peu enclin à l'alphabet mais prodigieux en dates et calculs.
Marie-Hélène Lafon a la plume saillante pigmentée de patois rural et respire le travail bien fait : "Ma place est à l'établi, où ça fermente, où je fomente", dit-elle d'un livre en chantier. Pour un grand plaisir de lecture.
Éditions Buchet/Chastel, 140 pages
Je vous souhaite une bonne journée de Noël et félicitations pour les quatre ans du blog ! J'ai assisté à une rencontre avec Marie-Hélène Lafon à propos de "Joseph", c'était passionnant. J'ai prévu de le lire et j'ai un œil également sur le dernier paru "Chantiers".
RépondreSupprimerJ'ai envie de dire que c'est une vraie écrivaine, elle apporte «quelque chose» dans le style, la couleur de la langue, le rythme.
SupprimerVivez une belle journée de Noël et merci.
Bien sûr que nous continuons à passer, même discrètement.
RépondreSupprimerIl vous faut absolument lire son dernier, Chantiers, où d'ailleurs elle m'a réconciliée avec ce Joseph, dont le côté flaubertien (un coeur simple) m'avait échappé.
Bon Noel!
Et bien c'est noté et je m'enquiers vite de "Chantiers" et des autres romans de MHL.
SupprimerL'aspect flaubertien de cette auteure me paraît surtout tenir de la nécessité de beaucoup travailler le texte (sans que la lecture s'en ressente) et l'analogie avec "Un cœur simple" m'avait échappé.
Merci Keisha, Joyeux Noël.
bonjour et bon Noël, je dois dire que j'ai pas mal de réserves sur ce roman qu j'ai trouvé vide, mais à mon club de lecture il a eu un coup de cœur unanime.
RépondreSupprimerVide ? Votre avis a l'avantage de la sincérité. Vous aimez peut-être les romans où il se passe beaucoup de choses ?
SupprimerBon Noël !
"Discret, doux et taiseux", des vertus qui donnent envie de découvrir ce personnage - l'extrait donne envie de lire cette romancière, encore un titre à noter.
RépondreSupprimerBon week-end & félicitations pour votre anniversaire de blog, Christw.
Merci. Ce petit regard vers l'arrière, sans excès de complaisance ni mollesse, pour aller de l'avant.
SupprimerIrais-je jusqu'à paraphraser Jules Renard : "Quand je pense à tous les billets qu'il me reste à faire,
j'ai la certitude d'être encore heureux." ?
;-)
Bon dimanche Tania.
Merci, effectivement : voilà de quoi se laisser tenter.
RépondreSupprimerEt blague à part, ce blog à part nous promet encore de bons moments assurément :-)
Merci beaucoup K, bonne semaine.
SupprimerJ'ai aussi rencontré MHL et l'allusion à Flaubert dans Joseph est, pour elle, très présente dans bien des compartiments du texte... son "Chantiers" reprend tout ce qu'elle a coutume de dire en public, ce n'est pas un roman mais un livre sur son travail d'écriture, très intéressant !
RépondreSupprimerBel anniversaire au blog et qu'il dure !
Merci pour le blog.
SupprimerJe vais justement à la bibliothèque, peut-être "Chantiers" y est-il...?