Frédéric Saenen explique dans une courte postface de remerciements que "Ce récit ne se veut en rien, sous des dehors romanesques, une énième théorie sur les actes criminels qui ont secoué la Belgique au début des années 80 et que l'on appelle les «Tueries du Brabant»". Nous ne dirons pas non plus que Stay behind est un polar. L'explication du titre est à trouver dans les réseaux paramilitaires mais d'autres interprétations surgissent à la lecture, appuyées par l'absence de trait d'union.
Le narrateur Mickaël, universitaire devenu modeste traducteur, rend visite à son parrain, son tuteur, en phase terminale à l'hôpital du Bois de l'Abbaye, bien connu des Liégeois. Le vieil homme hospitalisé choisit le dictaphone pour confesser jour après jour des souvenirs inquiétants, parfois violents, où semble apparaître son rôle dans des tueries d'un groupe ténébreux d'extrême droite. Mick n'est pas au bout de ses surprises : jusque tout à la fin où une lettre de Tante Louise éclaire définitivement le passé pathétique d'un parrain qui déclare "– Ronald Reagan, c'était moi" à la fin du second chapitre, une belle façon de l'écrivain Saenen pour nous aspirer dans les pages suivantes.
Les lieux de l'action, rues et quartiers, sont familiers à ceux qui y vivent ou vécurent – ces voyages dans le bus 2 bondé, agrippé "à l'une des poignées pendantes et grasses" – d'autant que le parrain Rudy y va régulièrement d'expressions wallonnes qui chamarrent le discours des indigènes d'âge mûr. Rassurez-vous, une élégante traduction est proposée en fin de volume. Et vous saurez qu'ici, on vous dira agayon pour engin/machin/truc, qu'on n'aime pas les Lådjes Gueûyes (Grandes Gueules) et que si on vous traite d'èwarèye, ce n'est pas vraiment un compliment (une sorte d'ahuri).
Belle réussite que ce roman inattendu, souvent dur, pas tout à fait un banal roman policier car il est polyphonique. Le récit adopte trois voies dont l'éditeur (Weyrich) a doté chacune d'une police de caractères spécifique. La narration simple, sur un ton familier, les dictées du parrain entrecoupées de quintes de toux, puis des incises indépendantes, images brutes, parfois symboliques, plus littéraires (Saenen est professeur de littérature à l'Ulg), d'un style saccadé à l'image d'actions vives et de tirs d'armes à feu (l'extrait ci-dessous).
"Cercle. Entente. Complicité. Le sentiment point. Naît. La ressemblance. La communauté. Le lien entre nous, les gestes, les rituels puisés ici et là. Caves d'Empire. Souterrains des menées. Refondation dans des buvettes, des arrières-cuisines, des clairières. Sous le néon des insomnies passionnées et des discussions tardives. La fibre, la graisse, l'onde. La race à laquelle nous appartenons. Les cheveux ras. Les bourrades. «Pas des pédales, c'est clair, on n'est pas des pédales», dit Godefroid. La dépossession, non, c'est fini ça. « Le pain de la bouche, stop, terminé», exige Hermann. L'attente du coup de force, on est dedans. C'est possible. «C'est ça qu'il faut. Ne plus se laisser faire. On est où, ici ? On est chez nous ou pas ?», interroge Thyll. Allez. Notre volonté soit faite."
Sous les aspects sombres de l'itinéraire d'un homme, cette histoire donne matière à s'interroger sur l'adhésion rapide à des causes radicales où la violence est la solution. Comprendre s'avère ambitieux, mais l'interrogation est nécessaire devant les déferlements de violence absolue que nous connaissons dans le monde et près de nous.
Phrases courtes et incisives, voilà qui me rappelle ce cher Ken Bruen pour lequel j'ai un gros faible ;-)
RépondreSupprimerJe n'ai jamais lu l'Irlandais, je le note dans mes projets "polars".
SupprimerNote que je ne suis pas un adepte inconditionnel du style court et incisif, cela crée un effet (facile) mais vite lassant si l'auteur en abuse et oublie de choisir des mots inattendus. Par exemple si j'écris "Je m'enfuis. J'ai peur. Doigts crispés sur mon arme. La porte. Je fonce.", ça m'agace, surtout si ça dure deux pages. C'est facile même si l'effet y est.
Bonjour Christian, je me demandais si, en plus des polices différentes dans chaque partie, le style l'était aussi. Comme vous, les phrases hachées me fatiguent vite.
RépondreSupprimerSinon le wallon m'enchante, me rappelle ma jeunesse. Celui de Liège est différent de celui que parlaient ma grand-mère, un peu ma mère, et qui étaient natives de Nivelles et La Louvière.
Oui, le style s'adapte à chaque voie (je préfère voie à voix en ce cas) de l'histoire, mais il est surtout notable dans les passages plus littéraires, saccadés, comme celui cité.
SupprimerJe comprends peu le wallon du Hainaut ou de Namur. Mais c'est amusant et celui de Liège, que je trouve parfois très «entier» me rappelle des aïeux. Il m'arrive de l'utiliser pour dire des choses désagréables en douceur. Par exemple : Et kwè ! Ké novel ? pour dire mon impatience.
Bonne journée Colo.
Ké novel ? Voilà du wallon que je comprends ! Ca ne m'étonne pas que cette affaire judiciaire jamais résolue, une honte, une énigme ait inspiré un romancier.
RépondreSupprimerPas nécessaire de traduire, don ;-)
SupprimerJ'ai été frappé par la manière dont un amateur d'armes doué pour le tir peut fréquenter des gens dangereux et se laisser embobiner dans des menées périlleuses "au nom de" (voir l'extrait).
Il y a des similitudes avec le djihadisme.
Chère Madame ou Cher Monsieur,
RépondreSupprimerJe vous remercie vivement pour votre lecture très fine, que je découvre avec grand plaisir. Amusante coïncidence, votre article paraît dans les jours qui correspondent à ceux où je fixais la mort du personnage du "parrain". Votre écho rejoint donc fort à propos l'actualité de la narration !!!
J'aimerais vous faire découvrir mon premier roman, "La Danse de Pluton" et serais curieux d'avoir votre avis à son sujet. Pourrions-nous entrer en contact ?
Très amicalement vôtre et bel été à vous !
Frédéric SAENEN
Bonsoir Monsieur,
SupprimerIl est rare que les auteurs réagissent aux articles de blogs, c'est un plaisir et un honneur.
J'avais remarqué la coïncidence des dates : "mon" action se déroulait dans le présent que vous aviez anticipé !
Je lirai "La Danse de Pluton" avec grand plaisir. N'ayant aucune de vos coordonnées, je vous propose de me laisser votre adresse courriel via le formulaire de contact dans la colonne droite du blog : elles parviendra dans ma boîte mail.
Merci encore et bonne soirée.
Christian Wéry
mais quelle surprise, christian se met au polar :-)
RépondreSupprimerDans les périodes moins "studieuses" j'en tente quelques-uns, pas toujours avec le même bonheur. Notez que celui-ci n'en est pas vraiment un, comme précisé.
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