21 juillet 2016

Terre des hommes


Quoi de plus doux que revivre les enthousiasmes littéraires d'adolescence ? Les récits d'aventures, avions et pilotes dont on rêvait. Les récits de l'as Bader ou les périples de l'hydravion de Sir Francis Chichester figurèrent alors parmi mes plus fascinantes lectures, tandis que, si ma mémoire est bonne, le regard sobre et détaché du pilote Saint-Ex n'obtient qu'un premier et tardif assentiment à travers ce billet. 

Quel plaisir de retrouver un vieux "Livre de Poche" pur jus, imprimé en 1963, papier un peu piqué, jauni et à l'odeur, dirait-on, fidèle aux rayonnages de l'étagère en bois de ma grand-mère !  

Ce beau récit permet de mesurer l'évolution de l'aviation depuis les pionniers de l'Aéropostale dans les années 30 jusqu'aux appareils intelligents, un peu trop "aseptisés" d'aujourd'hui. Et l'on imagine mal que piloter du courrier de Toulouse en Afrique du Nord, il y a à peine trois quarts de siècle, impliquait de voler à vue, par tous les temps, de nuit, parfois au ras de la mer pour éviter le brouillard, ne pas accrocher un mât, les étoiles confondues aux lumières des oasis, soudain sans aucune information précise sur la position de l'appareil : survole-t-on le désert ou la mer ? Enclavé devant la seule faible lumière des instruments de bord, on risquait sa vie.
© Éditions Soleil (sur Ligne claire)
"Terre des hommes" gravite autour de deux moments graves et difficiles, la chute dans les Andes du camarade éternel Guillaumet – le livre lui est dédié – et celle de Saint-Exupéry dans le désert de Libye où il a failli laisser sa vie et celle de son navigateur. 

Soucieux de livrer un regard universel et humaniste sur l'aventurier et ses motivations, Saint-Exupéry oppose le petit bourgeois routinier à l'assoiffé de vie qui la risque. 

"Vieux bureaucrate (...) nul ne t'a fait évader et tu n'en es point responsable. Tu as construit ta paix à force d'aveugler de ciment, comme le font les termites, toutes les échappées vers la lumière. Tu t'es roulé en boule dans ta sécurité bourgeoise, tes routines, les rires étouffants de ta vie provinciale, tu as élevé cet humble rempart contre les vents et les marées et les étoiles.".  

Mais le pionnier aviateur n'est pas un trompe-la-mort et rit de la mort du torrero, cette "maigre destinée".  

"... je me rappelais une vraie mort d'homme. Celle d'un jardinier, qui me disait : «Vous savez... parfois je suais quand je bêchais. Mon rhumatisme me tirait la jambe, et je pestais contre cet esclavage. Eh bien, aujourd'hui, je voudrais bêcher, bêcher dans la terre. Bêcher, ça me paraît tellement beau ! On est tellement libre quand on bêche ! Et puis qui va tailler mes arbres ?» Il laissait une terre en friche. Il laissait une planète en friche. Il était lié d'amour à toutes les terres et à tous les arbres de la terre. C'était lui le généreux, le prodigue, le grand seigneur. C'était lui, comme Guillaumet, l'homme courageux, quand il luttait au nom de sa Création contre la mort."

Dans la foulée, Antoine de Saint-Exupéry offre une magnifique conclusion personnelle, où vous comprendrez pourquoi on peut regretter que Mozart soit encore et toujours assassiné. 

Lisez ou relisez "Terre des hommes" (PDF libre), nous en avons besoin face à tant de forces de destruction.

10 commentaires:

  1. Vous avez raison : il faut relire les fondamentaux. Bonne journée !

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  2. ah Guillaumet, voilà un nom que l'on oublie jamais une fois lu ce livre.
    Je ne l'ai pas relu récemment mais j'ai un gendre qui partage votre enthousiasme et du coup un peu pour l'accompagné j'ai écouté ce récit il y a quelques mois, tous les souvenirs ont afflué

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    1. Dans le lien proposé sur "Guillaumet", on retrouve le récit du rescapé des Andes raconté dans "Terre des hommes". Malheureusement son avion sera abattu en Méditerranée en 1940.

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  3. Je ne pense pas l'avoir lu, même si l'histoire m'est familière, mais on a eu l'occasion de l'entendre maintes et maintes fois ailleurs que dans ce roman. Bonne idée en effet de se tourner vers ce genre d'auteur en cette période sombre.

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    1. Ce livre dépasse largement le cadre du récit d'aventures. Belle journée Aifelle.

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  4. Une bouffée d'émotion me prend toujours à l'évocation des aviateurs, mon père était pilote et admirait Saint-Ex, beaucoup lu. Même le passage des avions lors du défilé de la fête nationale me touche, c'est dire.
    Relire "Terre des hommes", bonne idée, pour se réconcilier avec le monde.

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    1. Ah ? Je ne savais pas du tout que votre père était dans l'aviation et je comprends votre émotion.
      Pour moi, un rêve de gosse que je poursuis aujourd'hui en construisant des modèles réduits et en suivant les shows aériens...

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  5. J'ai relu quelques ouvrages de lui l'année dernière, quel bonheur ! Et "Vol de nuit", une merveille aussi !

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    1. J'avais trouvé "Terre des hommes" dans une bouquinerie du genre vieux greniers. J'y retournerai pour "Vol de nuit" et d'autres St-Ex qui s'y trouvaient.
      Bon week-end Pascale.

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