Philippe Vasset ouvre la porte d'un univers que j'ignorais complètement, le métier des gens de religion qui racontent la vie des saints. Il ne fallait cependant pas beaucoup s'attendre, avec un écrivain qui aime explorer les marges, à une évocation orthodoxe des bienheureux que la religion catholique perpétue en statues, médaillons et nouvelles consécrations.
Le soliloque du narrateur, sous une plume maîtrisée (fruit d'un séjour à la Villa Médicis en 2014-15) qui m'a entièrement séduit, relate ses revers de prêtre, fonctionnaire à Rome dans la Congrégation vaticane où il instruisait les requêtes en béatification, validait des miracles et authentifiait des reliques. Tout cela est fini, il n'a plus l'habit et ressasse son "histoire inaudible" dans un cahier qui "n'accompagne désormais qu'une solitude sans appel".
"Mal dans ces pantalons qui me serrent, je regrette la caresse de la soutane", l'Église a été toute sa vie mais la prière est devenue amère, bien que la foi ne semble pas en cause : "Revenir dans l'Église n'est jamais simple quand on s'est déporté aussi loin que je l'ai fait". La Congrégation où il travaillait est une institution judiciaire qui instruit et arbitre depuis quatre siècles, lorsque l'Église catholique a eu honte de ses martyrs flamboyants et des railleries de leurs miracles par les protestants. Les faits seuls, non les fables, devaient inspirer les fidèles.
Mais les temps ont changé et cet ecclésiastique juge que la puissance d'une histoire compte plus que le sérieux des enquêtes: "à trop priver les fidèles de légende, l'Église court le risque de fabriquer des héros qui n'intéressent plus personne". Afin de reprendre l'initiative sur les mouvements évangéliques qui grignotent les positions du catholicisme, le prêtre appelle des saints spectaculaires, criblés de tentations et rachetés, des saint scabreux et outranciers mais qui ne laissent personne indifférent. "Comme les sculpteurs d'extases, les doreurs de voûtes et les maîtres de chapelle, mon but était moins d'édifier que d'étourdir : le reste, pensais-je, viendrait tout seul."
Mais les temps ont changé et cet ecclésiastique juge que la puissance d'une histoire compte plus que le sérieux des enquêtes: "à trop priver les fidèles de légende, l'Église court le risque de fabriquer des héros qui n'intéressent plus personne". Afin de reprendre l'initiative sur les mouvements évangéliques qui grignotent les positions du catholicisme, le prêtre appelle des saints spectaculaires, criblés de tentations et rachetés, des saint scabreux et outranciers mais qui ne laissent personne indifférent. "Comme les sculpteurs d'extases, les doreurs de voûtes et les maîtres de chapelle, mon but était moins d'édifier que d'étourdir : le reste, pensais-je, viendrait tout seul."
Puis advint Laure, fantasque, férue d'hagiographies spectaculaires et licencieuses, passion de l'imposture, avec laquelle il précipite ses projets et sa perte. Une brèche s'ouvre avec la communion dans les excès du récit, puis la liaison amoureuse.
Exclu de "sa fabrique d'auréoles", comme disent les mauvaises langues, le défroqué nous gratifie de la sienne, une collection marginale d'hagiographies contemporaines, de martyrs pas officiels, des êtres emportés par une vocation qui n'entre pas dans les cases de l'Eglise. Philippe Vasset sort ces anonymes de la nuit – Azyle tagueur du métro, Pie gay en quête de rencontres avec des inconnus dans des lieux insolites, Darie recluse d'aujourd'hui, Gen chanteur de rock, icône et prêtre,... –, pour les relier au cortège des saints et archanges, car ils ont en commun une vocation : «cet élan, cet excès qui vous fait aller au bout de ce qui vous appelle, sans savoir ce qui vous appelle ni savoir nécessairement mettre les mots dessus» (présentation publique du livre, librairie Mollat).
Ce roman non canonique, empreint d'autodérision, ne tombe pas dans le scandale bon marché. L'auteur joint une postface intitulée "Sources et méthode" qui témoigne du sérieux de sa documentation ainsi que des difficultés d'accès à La Réserve des Archives papale, afin de consulter des documents sulfureux. Il reconnaît en outre son utilisation "éminemment personnelle" des connaissances acquises auprès de spécialistes renommés de la sainteté et de la littérature religieuse.
Le compte-rendu serait incomplet sans s'arrêter au personnage de Laure "libérée de la permanence de l'identité", un être en métamorphose permanente, "s'abandonnant sans frein à l'urgence" et qui "à l'identité préfère le flux". J'y reviens demain en extraits pour compléter l'évocation de ce roman talentueux, confession sans regrets et à la parole libérée.
L'extase de sainte Thérèse d'Avilla |
Hum, risque de malaise, non? Ce livre est à la bibli , je viens de vérifier. L'auteur est allemand?
RépondreSupprimerMalaise ? Allemand ? Je ne saisis pas bien. Non, Vasset est français, autant,que je sache. Un bon livre.
SupprimerPar contre, mon prochain compte-rendu concerne une auteure allemande.
SupprimerVoilà un sujet qui sort du train train des parutions !
RépondreSupprimerje suis assez tentée car depuis des mois je fait un parcours biblique qui m'a entrainé à lire pas mal d'écrits plus ou moins religieux et un roman un peu iconoclaste est bien fait pour me tenter
C'est iconoclaste, oui, mais très maîtrisé et cet auteur écrit très bien.
SupprimerUn auteur auquel vous êtes fidèle il me semble ? Le sujet n'est pas banal. Ma bibliothèque a deux romans de lui, mais pas celui-ci.
RépondreSupprimerC'est la première fois que je lis cet auteur, je n'en savais rien avant d'emprunter le livre. Écriture soignée, élégante.
SupprimerJ'en publie des extraits à l'instant, avec un peu de retard.
Bonne journée Aifelle.
j'ai vu en bas de l'article 'lit germanique' d'où mon interrogation
RépondreSupprimerOk, merci, je corrige le tag, j'étais déjà dans le billet suivant qui évoque une auteure allemande.
SupprimerBonne soirée.
Un sujet hors du commun, je vais immédiatement à l'extrait.
RépondreSupprimerLe rapport est mince, mais je le note tout de même : je me réjouis de la nomination d'une femme, pour la première fois, à la tête des musées du Vatican (Barbara Jattas, archiviste et historienne de l'art).
Je comprends votre satisfaction, notons également que c'est sous le pape François qu'une femme accède à cette responsabilité.
SupprimerUn sujet très tentant car peu banal. Je viens de lire l'extrait suivant, très belle plume aussi.
RépondreSupprimerJustement hier soir dans La Grande Librairie on parlait, non de la trace laissée par le/les disparus, mais de leur chant qui pesiste.
Merci, bonne journée Christian.
Excellente plume qui m'a bien tenu.
SupprimerLa GL, je n'ai pu voir l'émission hier soir et ai oublié de l'enregistrer, je vais trouver une rediffusion, il y avait Pennac je crois.
J'espère que votre escapade hors de l'île s'est bien déroulée ? Bonne journée Colette.
Voilà un livre qui change des parutions du moment (enfin, de celles qui sont "médiatisées"...). Il vient de sortir ?
RépondreSupprimerRécent, édité en août 2016, vous trouvez un lien dans le billet vers Fayard.
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