29 juin 2017

Savoir être son île déserte

Traduit du norvégien par Hélène Hervieu

Clé de contact tournée, le moteur s'est tu, le coffre claqué et les appareils photo en bandoulière – sait-on jamais, qu'un pic épeiche ou un rare gorgebleue à miroir prenne la pose au détour du sentier – nous marchons vers la réserve enclavée dans une sorte de cuvette, à l'abri du vent. Plus un bruit. Sinon les insectes, un froissement d'ailes et à intervalles, une grenouille: nous nous arrêtons soudain, étonnés, cois. L'instant dure et se palpe : quelques grammes de silence que nous tenons, béats.  

Le souvenir d'un tel moment, bien d'autres aussi "où le monde disparaît comme on se fond en lui" (Heidegger) – m'ont amené à choisir ce petit livre de l'explorateur norvégien Erling Kagge parmi les propositions de l'opération Masse Critique de Babelio (merci à eux).  

"Quelques grammes de silence" pose trois questions : qu'est-ce que le silence, où le trouver et pourquoi importe-t-il tant aujourd'hui ? Trente-deux réponses sont proposées en autant de chapitres assez courts, auxquels s'ajoute un appendice qui cite les sources (littéraires, scientifiques, philosophiques, religieuses) dont l'auteur s'est servi pour illustrer un propos qui tient avant tout d'expériences personnelles. Il ne s'agit pas d'un livre savant, encore moins de littérature (citations exceptées), mais il explore son sujet, les bienfaits du silence, de façon exhaustive, intuitive, en toute simplicité, comme on le ferait pour sensibiliser un adolescent qui croit trouver le monde dans la cohue de son smartphone, alors qu'ailleurs, le silence en détient le secret. 

"C'est peut-être parce que le silence est lié à l'émerveillement, mais il a une sorte de force en soi, oui, comme un océan ou comme une étendue de neige infinie. Et celui qui ne s'émerveille pas devant cette force, c'est qu'il en a peur. C'est pour cela, en vérité, que tant de personnes ont peur du silence (et c'est pour cela qu'il y a de la musique partout et par-dessus tout)."  Jon Fosse (poète norvégien)



Escalader l'Everest ou marcher cinquante jours seul en Antarctique pour rejoindre à la marche le pôle habilitent Erling Kagge à bien nous parler du silence. Il reconnaît qu'il est contraint de chercher le calme en ville : écouter de la musique en voiture est une façon d'y parvenir.

Partout, l'agitation semble devenue rituelle, nécessaire : une expérience scientifique[*] sur des individus contraints de rester sans rien faire pendant  une dizaine de minutes dans une pièce a montré qu'ils ont éprouvé un sérieux malaise, au point, pour certains, de choisir de se donner des décharges électriques douloureuses, et de façon répétitive, pour éviter ce trouble. 

Kagge est sensible au fait que les mots mettent des limites à ce que nous ressentons. Il évoque ce guide de haute montagne, Claus Helberg, qui distribuait au départ des randonnées un mot sur lequel figurait "Oui, c'est tout à fait fantastique" : rien d'autre à dire. Il s'agissait d'éviter de gâcher le ressenti devant le paysage par des paroles qui ne sont pas à la hauteur du tableau. Dans cette idée, le silence éprouvé devant une œuvre d'art : il vaut tous les discours lorsque la grâce parle. 

Voilà, il reste beaucoup à commenter de ces 142 pages, mais il serait inopportun d'être bavard à propos du silence. J'ai davantage approuvé que vraiment découvert dans ce livre. Neanmoins, pour ceux qui les découvriront, les précieux grammes de silence de l'aventurier norvégien peuvent conduire à l'exploration de voies plus profondes, comme la méditation. Car le silence s'apprend toute la vie pour qui l'a entendu. 

Compliments à Flammarion pour le format pratique et chic, aux coins arrondis, avec une couverture au toucher du nubuck.

[*] Voir  EurekAlert!


27 commentaires:

  1. Alain Corbin propose une Histoire du silence (de la Renaissance à nos jours)(Albin Michel, 2016), peut-être cela complétera-t-il votre lecture?
    Le silence devient un luxe;..

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    1. Merci beaucoup pour la référence, il s'agit d'un tout autre ouvrage, de niveau universitaire auquel ne prétend pas Erling Kagge, plus intuitif. On y trouvera sans doute l'evolution vers ce qui est de nos jours un luxe, vous le dites. Kagge écrit, visant les différences sociales : "Le silence fait désormais partie intégrante de ce qui distingue les vies moins longues, moins saines, moins enrichissantes des autres."

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  2. ce livre a tout pour me plaire
    j'ai lu Alain Corbin mais j'ai été déçu car c'est plus une accumulation de citations prises dans beaucoup de lecture qu'une vraie réflexion sur le silence
    celui me tente plus et puis découvrir un auteur c'est un projet toujours excitant

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    1. En ce cas le petit livre de l'explorateur vous conviendra. On sent chez lui la bonne volonté, le souhait louable d'explorer et partager les formes du silence.

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  3. A lire commentaire et réponses, j'ai encore plus envie de le lire. En son temps. Et de profiter du silence.

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    1. Je ne sais s'il sera disponible en bibliothèque. Profitez bien, il est trop rare.

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  4. J'ai très très très très envie de le lire. Je l'ai réservé à la Médiathèque. Et ce que vous en dites me rend un peu impatiente.

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  5. Je le note, j'aime le silence !

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    1. Pouvoir s'éloigner du bruit du quotidien est un privilège.
      Bonne lecture !

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  6. J'aime beaucoup la citation de Jon Fosse et je me souviendrai de ce beau billet en cherchant ce livre en librairie.
    Oui, "les mots mettent des limites à ce que nous ressentons"; ils font passer quelque chose, aussi, si l'on y laisse assez de silence.

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    1. Il y a la manière de dire, effectivement, qui n'est pas du "bruit". J'espère que vous trouverez le livre et profiterez de ses "silences".

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  7. Très tentée par ces gammes du silence, merci beaucoup.
    Nous vivons en pleine campagne où les citadins trouvent qu'il n'y a aucun bruit. Certains allument vite la radio ou mettent de la musique...peur, oui, un vide en eux je suppose.
    Bon dimanche!

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    1. Votre cas vécu rejoint les propos tenus dans le livre. Dans le même ordre d'idée je connais des personnes qui laissent fonctionner le poste de télévision toute la journée, sans la regarder.
      Ici le plus déplorable sont les gens qui promènent des chiens, parfois deux ou trois ensemble, avec la laisse multiple qui semble une mode : lors des croisements d'équipages dans le parc, c'est un tumulte sonore déchirant par portes et fenêtres ouvertes en été.

      Bon dimanche Colette, je reviens vers vous pour les mots intraduisibles.

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  8. Un livre qui a tout pour me plaire ! Je le note de suite.
    Je suis de l'avis de Dominique en ce qui concerne le Corbin, très décevant ! et un peu cher pour une liste de citations :-( Pas du tout un livre de niveau universitaire... Lu et vite remisé au placard, en silence ;-)

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    1. Ah, le Corbin ne semble pas très intéressant, d'accord.
      Si vous y allez avec Erling Kagge, bonne lecture Margotte !

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  9. Officials at Mount Anthony Union Higher School had watched with expanding concern for a
    couple of years, as the dance craze grew.

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    1. The noise level of the rock concerts is also of concern because of the damage to the hearing. The enthusiasts of these events seem to confuse noise level and musical quality.

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  10. Je note soigneusement cette référence.
    Parler du silence est un stimulant paradoxe qui me convient.
    Merci !

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  11. Le voilà donc ce livre qui incite au silence et au retour sur soi. Ma bibliothèque ne l'a pas, je vais donc le chercher en librairie. C'est le genre d'ouvrage qui me convient bien, dans ce domaine-là je préfère l'intuitif à l'universitaire.

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    1. L'approche universitaire a un côté rebutant, exigeant aussi. Pour ma part, j'essaie de varier les approches, selon l'humeur et la volonté.
      Bonnes lectures, Aifelle, j'espère que vous avez profité des vacances.

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  12. Je viens de le terminer. Oui, c'est tout à fait fantastique.

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    1. Tout est dit.
      Et c'est un commentaire à chaud : rare !
      Merci Bonheur.

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  13. je susi souvent éloignée de mes bases en ce moment et je peux rarement mettre des commentaires mais je lis soigneusement tous vos articles. Celui-là ne tente que peu l’incorrigible bavarde que je suis.

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    1. Merci de l'intérêt que vous portez à ces articles.
      Au plaisir de vous lire, Luocine.

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