7 décembre 2018

Science et cinéma


"... donner du goût aux sciences en aiguisant la curiosité scientifique."

A priori, l'opération Masse critique Mauvais Genre de Babelio ne m'intéressait pas. J'y ai déniché, chez un éditeur de science-fiction et fantasy (Le Bélial', collection Parallaxe), un ouvrage de deux scientifiques reconnus, Roland Lehoucq, astrophysicien au Commissariat à l'énergie atomique de Saclay et Jean-Sébastien Steyer, paléontologue au Muséum d'histoire naturelle de Paris et au CNRS. Les deux  spécialistes se penchent sur une quinzaine de films de SF afin d'en analyser les fondements scientifiques ("Seul sur mars", "Gravity", "Interstellar",...).

"... après avoir visionné un film de science-fiction, nous le décortiquons de façon ludique et, à la lumière de nos connaissances actuelles, nous tentons de comprendre ce qui nous est montré. [...]. Notre objectif n'est pas de critiquer ces films, mais de mener une enquête à leur propos, d'en extraire des informations qui ne sont pas données explicitement grâce au raisonnement scientifique."

Sans surprise, force est de constater que, à de rares exceptions, une grande partie de ce cinéma multiplie les incohérences. Certains «bons» films, visuellement attractifs, sont fortement décrédibilisés. J'aurais cependant été en peine de déceler la plupart des lacunes soulignées par les auteurs.

Ludique, mais... Parti la fleur au fusil, je me suis vite rendu compte qu'il fallait s'accrocher pour suivre les explications : dès la page 25, on est dans la physique quantique et les naines blanches pour tenter de comprendre comment on peut rapetisser (ou pas) des objets ou des humains ("Chérie, j'ai rétréci les gosses!", "Ant-man", etc.). 
Fait d'explications concises et sérieuses, "La science fait son cinéma" propose une excellente (re)mise à niveau scientifique. Par exemple, des expériences dans une éventuelle station spatiale en orbite martienne, permettent de remémorer des lois basiques (gravitation) qui prennent des aspects inattendus en impesanteur (Force de Coriolis). On a aussi l'occasion de se remémorer le rôle du hasard dans la théorie des espèces (la notion de progrès dans l'évolution est anthropocentrique) dans le cadre de films qui exhibent des monstres improbables (Godzilla). Quant aux machines (Jaegers) qui les combattent, il faudrait plusieurs réacteurs nucléaires pour que le bras armé de ces engins, hauts comme la tour Eiffel, puisse asséner un coup violent.  

Force de Coriolis (explication sur Wikipédia)

De tout ce qui a été analysé par les auteurs, une nouvelle de SF, "L'histoire de ta vie" (Ted Chiang, 1998) dont a été tiré le film "Premier contact", émerge grandement par son intelligence. Une linguiste, Louise Banks, est consultée afin d'établir une communication avec des extraterrestres heptapodes dont l'écriture est faite de glyphes circulaires complexes. Le déchiffrage de ceux-ci (démarche joliment expliquée avec détour par les hiéroglyphes) et la compréhension de ce langage permettent de démonter deux mythes tenaces (p.178). Le premier, lié à l'hypothèse de Sapir-Whorf (la langue influence notre façon de percevoir le monde, les couleurs par exemple), est que la langue modifierait nos structures mentales. Communiquer, représenter, retenir, convaincre sont de fameux pouvoirs du langage mais il n'a pas celui de contrôler le fonctionnement du cerveau ou la perception du temps (voir l'avenir, par exemple). Le second mythe est l'existence d'une langue universelle "qui synthétiserait les facultés linguistiques et approcherait la matérialité même de l'univers". Malgré Noam Chomsky (langage inné), controversé aujourd'hui, c'est un "fantasme classique", concluent les auteurs. 
   
Revenons à l'écriture circulaire des étrangers: elle offre l'occasion de s'attarder sur le magnifique principe dit de moindre action (p.181), qui fait intervenir une nouvelle quantité, l'action (les bases ici). Les équations de la physique peuvent s'écrire selon ce principe de parcimonie, à condition de trouver l'action adéquate. L'unification des concepts (y compris quantiques) qui en découle conduit à une manière pratique et compacte de décrire les lois physiques, de mieux les comprendre, de mieux les généraliser. 
C'est grâce au principe de moindre action que la linguiste de la fiction parvient à déterminer le langage des extraterrestres: il n'est pas séquentiel (chez nous, humains, un morphème suit l'autre) mais simultané, global, une page entière est lue simultanément. Avant de l'écrire, il s'agit de connaître toute la phrase, son organisation, ses conséquences. Une façon d'envisager le monde : "la beauté insolite d'un principe fondamental de physique transposé au langage". Bien que ce principe «holistique» fonctionne pour les physiciens, philosophiquement, le problème n'est pas réglé....

Bonne conférence des auteurs (à l'Espace des sciences de Rennes, 121 minutes dont les vingt premières ne sont pas indispensables).

Merci aux Éditions du Bélial' et à Babelio pour les joies que procure cette lecture.

10 commentaires:

  1. Voilà ce qu'on appelle une bonne pioche! (pour ma part j'avais choisi un policier sympathique et détente). Votre billet donne envie. Y compris de lire de la bonne science fiction.
    Mais là s'il y a remise à niveau scientifique, c'est un plus.

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    1. Votre polar était pas mal, je crois. Ce n'était pas si "mauvais genre" au fond !
      J'aimais lire la SF plus jeune, les grands noms dans les années 70-80. Les films sont axés sur le visuel et proposent trop d'impossibilités, même si je me laisse tenter par des "Gravity" ou autres...

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    2. Le film Premier contact n'a eu que des louanges je pense.
      Personnellement je préfère le vieux King Kong des années 30 au plus récent, et Metropolis est une de mes plus grandes révélations...

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    3. Je ne saurais trop donner d'avis sur Metropolis, un classique que je n'ai pas vu, ni la version restaurée de 2011 qui est très bien cotée (presse, public).
      Si j'ai l'occasion, ok.

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  2. JE note, ça m'intéresse. Paradoxalement, j'ai détesté Interstellar, je n'ai pas eu envie de voir Gravity au bout de 5 min et je n'ai aps trop apprécié premier contact. Seul sur Mars ne me tentait pas du tout. Bref, je n'aime pas trop ce genre au cinéma...

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    1. L'intérêt ici, c'est de faire de la science, et pour moi de la remise à niveau. Finalement peu importe qu'on prise ou pas ces films à spectacle. D'ailleurs, du livre, je ne connaissais pas certains films abordés.

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    2. Oui, je ferai la même chose, si je tombe sur ce livre : c'est pour ça que j'ai dit que le sujet m'intéresse. En revanche, pas sure d'avoir le niveau suffisant pour le lire...

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    3. Le niveau, outre l'orientation de départ et la formation de base, ça dépend de l'intérêt qu'on manifeste pour les sciences. C'est beaucoup une affaire de volonté et du plaisir qu'on prend à comprendre. Les principes et lois évoquées sont tous bien expliqués sur internet, il faut s'y coller si on ne les connaît pas (plus). C'est chronophage.
      Bon week-end Maggie.

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  3. la SF je ne suis pas adepte inconditionnelle, il faut que ça fasse tilt et en plus les explications scientifiques j'ai toujours du mal sauf à avoir un vulgarisateur exceptionnel

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    1. Ceci reste un ouvrage grand public. Mais il faut quand même quelque bases (j'ai du bien réactiver les miennes, on les perd vite) et surtout, la capacité de s'émerveiller pour ce qui relève des sciences.

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