14 juillet 2025

Contradictions du couple et de l'amour

Éditions Noir au Blanc, 2025 - 177 pages 

Octogénaire, Michel vit au Québec. Un coup de fil de sa petite-fille, d'au-delà l'Atlantique, déclenche des pluies de souvenirs : Marion, son ex-femme, qui vit au Portugal, a été victime d'un AVC. Une introspection poignante ramène soudain à l'esprit les moments enfouis de ce qui fut une vie de couple instable, remuée par l'émancipation générale qu'engendrèrent les années mai 1968

André Gardies dédie son livre à Annie Ernaux, son œuvre et le film "Les années super huit".
D'autre part, en épigraphe, des slogans soixante-huitards dont l'un, "Aimons-nous les uns sur les autres", annonce quelques évocations potentiellement licencieuses. Il n'y a aucune hypocrisie petite bourgeoise chez cet auteur dont l'authenticité et le réalisme ne versent pas dans la vulgarité.

Michel et Marion sont de la génération des Trente Glorieuses. Le roman se présente comme une série de réminiscences où les époux sont rapidement confrontés à des désirs inassouvis, à la jalousie et aux contradictions humaines que vivent les couples. Ils ont une fille prénommée Lisa. Alors que la contre-culture ambiante les y invite, l'existence d'enfants ne facilite pas les partouses, pour l'écrire crûment.
"L’ombre des événements de Mai-68 plane sur ce couple, dont les idéaux communautaires, les échanges sincères et les engagements amoureux peinent à combler le vide intérieur." (voir "Midi Libre" - 14 juin 2025).
J'ai eu diverses réflexions et discussions sur le thème des infidélités, l'amour collectif, l'institution du mariage, la protection des enfants, la liberté sexuelle... Chacun.e fera les siennes en refermant le livre. 
Il est fréquent que les promesses des premiers temps, qui s'engagent à ne jamais faire souffrir la progéniture de désaccords conjugaux, soient confrontées tôt ou tard aux tentations. Tous les couples ne cèdent pas aux sirènes du désir, tandis que d'autres trouvent un modus vivendi qui tolère les infidélités, durables ou pas. Mais de quel côté penche la balance de nos jours, pensez-vous ? 

Sur le fond, je me dis toutefois que mai 68, qui, on ne le niera pas, a soufflé un vent de liberté, a stimulé l'amour libre et collectif, n'était que la flambée passagère et au grand jour, de ce qui existe de tout temps. Relisez Henry Miller, Anaïs Nin, Maupassant même ou Colette, vous y découvrirez, à mots couverts chez certain(e)s, de fameux adultères et dévergondages. La nouveauté en 1968, c'étaient les joints qui faisaient planer les ébats, tandis qu'aujourd'hui, avec les dépendances à la consommation-reine, plus ravageuses, un autre monde se dessine [voir extrait en bas].

La dernière phrase du livre est très touchante, d'où l'Amour (A majuscule s'il vous plaît) émerge, timidement, mais il émerge. Ce texte m'est apparu bien écrit, inéluctablement lucide, parfois rendu monotone par des séquences qui me semblent n'importer qu'au narrateur. Ce dernier avance néanmoins des analyses psychologiques qu'il accompagne d'une franchise sans fard.

On ne sait quelle part est autobiographique dans ce livre qualifié de roman. 

Une bonne manière d'approcher André Gardies est de parcourir son site, où l'on découvre un féru de cinéma et collaborateur de Robbe-Grillet pour des réflexions théoriques sur le 7e art (Curieusement, "Le temps des pluies venues de l'océan", n'est pas repris dans la bibliographie).


Extrait de "Le temps des pluies venues de l'océan" : [élection de V. G. D'Estaing vs Mitterrand le 29 mai 1974]

Pourtant avec Giscard, non, il n'y avait pas eu de véritable retour en arrière ni de rétablissement de l'ordre moral, comme on le redoutait. Plutôt une politique insidieuse, qui avançait masquée. Modernité et jeunesse, les images sur lesquelles le candidat-président avait fondé sa campagne électorale, allaient trouver à s'incarner, avec la majorité à dix-huit ans, la loi Weil, la réforme du divorce ou encore l'allègement de la censure. Un libéralisme généralisé, tant au niveau de l'économie qu'à celui de la société et des mœurs allait souffler, qui ouvrirait grand la porte au règne de l'individualisme et du consommateur-roi. Insensiblement, sans faire de bruit, la philosophie du "se faire plaisir et penser d'abord à soi" s'imposait et allait gagner tous les milieux. [p.139]

 

J'ai reçu ce livre de l'auteur qui me l'avait proposé en échange d'une critique. Je l'en remercie et donne ce compte rendu que je veux le reflet honnête de mes impressions de lecture. Je le poste également sur Babelio.

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