Alors que à sauts et gambades a fait tout récemment un retour sur La grande peur dans la montagne[1], ce grand roman, et pour compléter le billet de décembre 2012, je retrouve un article de Maurice Nadeau à propos de l'auteur vaudois. Extrait.
© Jean-François Hagenmuller - Lumières d'altitude |
Ramuz ne découvre rien qui ne soit en lui, qui ne soit en nous, qui ne soit au fond de l'âme de ses paysans frustes et visionnaires. Il a eu raison de penser que se trouvait chez eux quelque chose d'éternel et de général dont, avant lui, on supposait l'existence, mais qu'on ne s'avisait pas de mettre complètement au jour: l'amour de la vie et la peur de la mort, les grandes joies et les grands effrois cosmiques, les instincts profonds de destruction et de charité, la solitude effrayante de l'homme et son perpétuel désir de la mettre en échec. Pour ce faire, il n'avait pas besoin de courir le monde, soucieux seulement, comme bien d'autres, d'apprivoiser la vérité tapie dans un coin de sa chambre.
Cette vérité, il l'a habillée d'une blouse montagnarde tissée à la maison: rude et sans grâce, d'un coloris volontairement neutre, mais pratique et seyante, épousant tous les mouvements du corps et moulée à lui: ce qu'on nomme le style ramuzien, cette langue heurtée et souvent incorrecte roulant plus de cailloux que d'eau, transformant en cascades les ruisseaux gentillets du jardin de la syntaxe, creusant, au milieu des bassins admirés où croupissent les eaux mortes, des tourbillons d'eaux fraîches et vivantes. On a dit que Ramuz écrivait comme on parle, comme parlent ses paysans vaudois: un dialecte qui n'aurait que des rapports fugaces avec la langue française. [...]...Ramuz eût pu écrire comme tout le monde, comme il faut écrire, comme il n'a pas voulu écrire. Souci d'originalité, goût de la couleur locale ? Il faut laisser cela à de moins grands que lui. Ramuz n'est pas un écrivain paysan, et moins encore un écrivain régionaliste. Il n'a prêché ni «le retour à la terre» ni les beautés du primitivisme à relents d'étable. À ses vérités simples, il a seulement voulu un habit simple.
[...].
...Certes, ce don du ciel qui fait un Gide, un Valéry ou un Proust, lui a fait défaut. Il a comblé ce vide de sa vie. C'est ce qui le fait grand et lui donne le droit de s'asseoir à côté d'eux.
[1] En revue en 1925, en volume chez Grasset en 1926. En version numérique ici.
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