14 octobre 2013

Écriture comportementaliste


J'ai évoqué il y a peu une lecture prenante de Yves Ravey. J'ai tenu à vérifier la constance de l'efficacité de son style et bien m'en a pris avec ces deux titres, dont le tout récent Pris au piège a particulièrement retenu mon attention. Point commun: le récit est narré par un jeune garçon et dans les deux cas, il y a le regard d'enfant qui voit et ne comprend pas nécessairement ce que comprend le lecteur. Ce décalage renforce l'effet d'une écriture comportementaliste (on pense à Patrick Manchette, Dashiell Hammett), c'est-à-dire celle qui observe des actes de façon totalement neutre, en phrases lapidaires, sans aucune introspection, interprétation ni propos moralisateur. Voilà ce que voit ce garçon, vous voyez ce qui se passe, le reste est du ressort du lecteur, à qui il revient de combler les carences intentionnelles de la narration. Ce dernier a donc un rôle majeur et actif dans les romans de Ravey, il lui est demandé d'apporter sa part. On entend même Yves Ravey, voyez la vidéo, dire à propos de Cutter, que le petit Lucky a besoin de nous lecteurs.    


Qu'est-ce que l'écriture comportementaliste ? Imaginez que dans un récit Madame A est mariée avec monsieur B. Si l'auteur écrit que Madame A est dans les bras de Monsieur C, en ajoutant qu'elle trompe B parce qu'elle n'aime plus B, c'est très clair pour le lecteur. Si au lieu de cela, l'auteur décrit simplement Madame A dans le bras de Monsieur C et rien de plus, vous allez sans doute tirer une conclusion très proche, mais un flou apparaît sur la nature des relations entre A, B et C, des questions naissent. Ravey joue habilement sur ce vague qui fait toute le force de son écriture. On voit, mais rien de plus, au lecteur d'interpréter, de prolonger, de donner son coup de pouce personnel à la signification.

Dans Cutter, le jeune Lucky, autiste peut-être, est témoin d'un meurtre maquillé en suicide. C'est lui qui détient la solution de l'enquête. Au début, un cutter sert à émasculer un chat: l'objet est resté sur place jusqu'à la scène finale. Lisez ce qu'en dit le Magazine Littéraire : un miracle a lieu tandis qu'on lit ce livre, et, comme tous mes miracles, il est inexplicable.

Pris au piège raconte comment un jeune garçon, le narrateur, voulant rendre un service en cachette se retrouve coincé dans le grenier de ses voisins, sans possibilité d'en sortir sans être vu. Il est le témoin de ce qui se passe chez ces gens, la troublante madame Domenico et son mari tyrannique et paranoïaque. Aucun crime, une surprise à la fin, fait de société presque banal, mais la tension est intenable, présente tout au long. Tour de maître pour Ravey, on s'angoisse pour presque rien, le style fait la tension.


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