Quand un écrivain français, aux Éditions de Minuit de surcroît, se met en tête de faire un roman américain, vous imaginez que ce ne sera pas tout à fait du Margaret Mitchell ni du Jim Harrison. Tanguy Viel nous raconte qu'il en a rassemblé la matière, les fiches des personnages, comment il aurait pu écrire cette fameuse œuvre états-unienne, avec tous les stéréotypes du genre qu'il souligne en les adoptant de biais, c'est-à-dire en narrant comment il aurait mené son projet s'il avait écrit complètement un tel roman. Ce faisant il raconte aussi une histoire, ce qui nous en vaut deux en une : l'histoire de Dwayne Koster, infortuné professeur de littérature et la genèse du roman américain de Viel.
Robbe-Grillet le disait: "Croire que le romancier a «quelque chose à dire», et qu'il cherche ensuite comment le dire, représente le plus grave des contre-sens. Car c'est précisément ce «comment», cette manière de dire, qui constitue son projet d'écrivain, projet obscur entre tous, et qui sera plus tard le contenu douteux de son livre". Comme l'a écrit Jean Ricardou, "le récit n'est plus l'écriture d'une aventure, mais l'aventure d'une écriture".
Cet homme de Detroit trompé par sa compagne, rejeté par elle car il a une liaison avec une des ses étudiantes, parti groggy sans but chez un oncle qui lui propose une affaire louche où il se perd, tout cela avait déjà été lu, vu et entendu à peu près pareil, et ne présentait donc pas grand intérêt pour le lecteur blasé qui joue le difficile, mais le lire sous cette plume-là, à la Viel, jamais encore et voilà qui enchante parmi les romans français qui veulent se dépasser. "Et si le roman français était un roman américain au carré ?" ose Yann Moix, dans sa revue de presse[1].
White Sands, Nouveau-Mexique |
Le récit comprend évidemment les ingrédients US : road movie, tueurs à gage, FBI, guerres du Vietnam et d'Irak, le 11 septembre, la vieille Dodge comme un folklore et de la violence sur un mode tempérant. Son couple brisé, devenu vendeur de vidéos, toujours entiché de Milly l'étudiante qui est arrivée aux oreilles de Susan à cause de ce fichu Alex, le collègue professeur de littérature à l'université, Dwayne réagit mal en découvrant que la jeune-fille pose dans une scène pornographique. L'oncle Lee lui propose de régler son compte à Alex en échange d'un service où il ne pourra compter sur personne en cas de pépin. Et son destin se trace à l'image de celui du chanteur. Dans l'habitacle de la Dodge en déroute, partout dans le roman, la présence, la voix de Jim Sullivan, ce musicien-auteur qui eut un certain sens prophétique au moment de choisir ses titres, disparu dans le désert du Nouveau-Mexique sans laisser de trace en 1975, contribuant à une légende : enlevé par des extra-terrestres (sa chanson UFO), crime mafieux, envolé comme un ovni.
J'invite à lire le dossier de presse habituel aux éditions de Minuit. Bernard Pivot y va de ses éloges: Au fond, ce qu’a réussi à construire Tanguy Viel, c’est un "UFO-ovni" : un roman vraiment américain avec, au second degré, comme une voix off, les commentaires professionnels, malicieux et amusés d’un lecteur et romancier français. Et Yann Moix place un débat: "C'est la mort de la littérature qui est dépeinte ici, ou du moins des écrivains capables, chez nous, de s’élever vers l’universel à partir de leurs régionaux vécus. Si le roman américain se porte si bien, c’est peut-être aussi parce que l’humanité se porte si mal. Si le Faulkner français existait, il serait universel ; et là, il s’agit de marquer la différence entre ce qui est universel et ce qui est mondial. Les écrivains américains sont souvent mondiaux ; les écrivains français sont parfois universels."[2]
J'invite à lire le dossier de presse habituel aux éditions de Minuit. Bernard Pivot y va de ses éloges: Au fond, ce qu’a réussi à construire Tanguy Viel, c’est un "UFO-ovni" : un roman vraiment américain avec, au second degré, comme une voix off, les commentaires professionnels, malicieux et amusés d’un lecteur et romancier français. Et Yann Moix place un débat: "C'est la mort de la littérature qui est dépeinte ici, ou du moins des écrivains capables, chez nous, de s’élever vers l’universel à partir de leurs régionaux vécus. Si le roman américain se porte si bien, c’est peut-être aussi parce que l’humanité se porte si mal. Si le Faulkner français existait, il serait universel ; et là, il s’agit de marquer la différence entre ce qui est universel et ce qui est mondial. Les écrivains américains sont souvent mondiaux ; les écrivains français sont parfois universels."[2]
[1] Le Figaro, La Minuit américaine, 4 avril 2013.
[2] Cf les déclarations de Hugo Claus en 1985 à propos de son livre Le chagrin des belges.
Lu en numérique sur PRS-T1.
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