1 janvier 2014

L'écrit dure

Matej Krén [1]
Ce dimanche-là de décembre, Libération affichait L'écrit dure à la une dans la boutique de presse d'une grande surface française. Ne pourrait-on en faire un billet de début d'année ?

L'article commente la fermeture des librairies Chapitre, après celle des librairies du groupe Virgin. La centralisation excessive et une mauvaise gestion, pour ne pas parler d'incompétence, ont eu raison de ces chaînes. Ces échecs prouvent que la librairie indépendante, en France, où elle a toujours été chouchoutée, aidée par le prix unique du livre (1981), a des atouts face aux grandes chaînes. Le gouvernement continue de protéger le secteur malmené par la crise et la vente en ligne. Parole de Vincent Monadé (président du Centre National du Livre) : le grand public n'ira pas en librairie par militantisme mais parce qu'elle lui offre un meilleur service. Difficile défi. Pour contrer Amazon, la commission culture du Sénat français propose une loi visant à supprimer la gratuité des frais de port et les rabais sur  les livres envoyés aux lecteurs. La librairie indépendante française (2500 enseignes) résiste bien, 45%  des ventes contre 4% seulement au Royaume-Uni.
Matej Krén [1]
Et le livre numérique ? Pas encore le grand soir pour Noël puisqu'il ne représente que 1,5% du marché en France.  Néanmoins, la situation est différente en Angleterre et aux États-Unis.

Les ventes de livres numériques britanniques ont progressé de 134% en 2012. L'Ebook représente 7,4% de parts de marché de l'édition au Royaume-Uni. Le titre The kill fait sensation en 2013 lorsqu'il a été sélectionné parmi les treize finalistes du Man Booker Prize. Il s'agit d'un enhanced Ebook, autrement dit un livre agrémenté de petits films, d'éléments audio et interactifs. La frontière avec le jeu vidéo est mince, pourtant l'auteur britannique Robert McFarlane n'hésite pas à le vanter, considérant que le roman change vite de forme et c'est la raison pour laquelle il a survécu. En outre, l'Ebook favorise l'apparition de l'autoédition. Mon avis rejoint la remarque de Claire Smith (fondatrice de la maison d'édition Blackfriars 100% numérique):  la qualité n'est pas souvent au rendez-vous. Je crois que les apprentis écrivains  sont plus souvent wolf  que Woolf. 
Matej Krén [1]
Aux États-Unis, le numérique n'est plus regardé en concurrent du livre imprimé. Le quart des livres vendus est constitué d'ebooks, ceci grâce en grande partie à la percée du Kindle d'Amazon et de l'iPad. Et le livre traditionnel se porte bien. Quoi qu'il arrive, stabilisation ou progression du numérique, reconnaissons que si les formats évoluent, l'expérience du texte reste la même et gagne à une diversification des supports adaptés aux préférences de l'époque. Là-bas, il est évident que l'ogre Amazon, plus libre qu'en France, met à mal les librairies indépendantes. Jane Friedman (professeure d'édition digitale) positive: le libraire du futur œuvre pour son quartier, sa communauté, on ne lui rend pas seulement visite pour acheter. L'autoédition est également très en progression grâce au numérique: 391000 ouvrages autopubliés en 2012, contre 422 en 2007. Cela m'effraie, moi qui déplore déjà la pléthore des titres imprimés devenus des consommables banals. Y a-t-il partout assez de talent pour que chacun se sente une plume ? Si le bilan du livre aux États-Unis semble avoir de beaux jours devant lui, il faut noter que la part prise par les livres de science-fiction et "soft porn"[2]  est élevée. Pour ma part,  je ne pense pas à ceux-là quand je dis "livre"
Matej Krén [1]
Je m'en voudrais de ne pas mentionner La République des livres qui proposait, ce 19 décembre, un article sur le même sujet Des librairies ferment ? Et alors ?  On y lit un constat amer: alors que le livre reste le cadeau le plus offert à l'occasion des fêtes, les gens lisent de moins en moins, surtout les jeunes et rien n'y fait. La relation permanente à l'écran a modifié les habitudes du lecteur qui oublie la voix, le regard, la bienveillance de l'accueil physique en librairie. Celle-ci n'est plus un sanctuaire et la bibliothèque devient une médiathèque. Question taboue: la fermeture des librairies diminuera-t-elle la vente de livres ?  Pas sûr – soyons optimiste – si nous considérons les nombreuses librairies en ligne. 

Enfin, dans l'éditorial de Libération, Alexandra Schwartzbrod propose une respiration : si le numérique assurait l'avenir du livre papier ? L'appétit vient en mangeant, le marché du livre américain, qui préfigure peut-être le nôtre, montre que le succès du livre numérique n'a pas tué le livre papier. L'important est de lire: notre époque d'actualité frénétique, de crise économique, de sollicitation des écrans, a besoin de l'indispensable respiration de la lecture, vitale pour tout le monde. Chaque lecture est un acte de résistance. Une lecture bien menée sauve de tout, y compris de soi-même (Daniel Pennac). En ville, ici ou ailleurs, je vois trop de marchands de fringues, de bijoux ou de pompes. La lutte contre la désertification culturelle devrait être un combat de tous les instants: résolution que, vous et moi, nous maintiendrons en 2014.


[1] Né en 1958 en Slovaquie, Matej Krén vit et travaille à Prague. Ses tours monumentales, chambres et couloirs de livres lui valent d'être primé et exposé en Europe et à l'étranger.
[2] Exemple: Fifty shades of Grey (Cinquante nuances de Grey)




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