5 janvier 2014

Le chat de Schrödinger - Philippe Forest


L'expérience de pensée dite du chat de Schrödinger me fait songer à la porte du frigidaire qu'on ferme : à l'intérieur, la lampe est-elle éteinte ? Indécision quant au malheureux chat dans sa boîte, dont le mécanisme létal est soumis à une particule atomique qui a plusieurs états superposés : celle-ci serait, selon ce que révèle la mécanique quantique, ici et là en même temps tant qu'on ne l'a pas observée, donc à la fois levier de mort pour le minet et pas du tout. Le chat à la fois mort et vivant.

Lorsque Erwin Schrödinger a imaginé cette expérience virtuelle burlesque pour réfuter toute interprétation fumeuse de sa découverte de la fonction d'onde, il ne pensait pas qu'elle deviendrait la boîte de Pandore d'où surgissent des extrapolations fantaisistes. Il mettait simplement en évidence que le monde de la physique quantique, pour ce qu'on en sait, ne fonctionne pas suivant notre logique : « Dans le cas du chat de Schrödinger, tout le paradoxe viendrait alors de l’hérésie par laquelle on fait tenir dans la même boîte les deux univers — micro- et macroscopique — en laissant entendre que les mêmes principes s’appliquent à eux alors qu’en fait, par le phénomène de la « décohérence », ils se trouvent totalement indifférents l’un à l’autre : et, dans de semblables conditions, ce qui vaut pour un atome ne saurait valoir pour un chat. »

C'est tout. Admirons au passage la formulation claire et précise de Philippe Forest, qui, sans se targuer d'être scientifique – il s'en excuse à ceux-ci dans sa dédicace –, manifeste un esprit synthétique qui atteste de sa grande compréhension de problèmes pointus et de la capacité à les extraire de leur aura scientifique abstruse.

Erwin Schrödinger - Hugh Everett

Qu'est-ce qui conduit Forest à parler de cette expérience ? Un chat est apparu dans son jardin, venu d'on ne sait où, permettant toutes les suppositions. Il l'avait bien vu s'enfuir furtivement avant, mais était-ce bien lui ou avait-il eu l'impression de le voir ? Il a bien fallu qu'un jour il décide que c'était la première fois qu'il le voyait, même si ce n'était pas tout à fait vrai. Jeu sur le fil du réel, déjà. De fil en aiguille, ce chat occupe le centre de ses pensées pour conduire à des réflexions sur les univers du chat, sa présence/absence quand il passe par le trou dans la haie au fond du jardin, sur notre univers, son origine, le néant, la vie, la disparition de sa petite fille suite à un cancer (Voir L'enfant éternel). Agencement complexe et subtil, impossible à résumer, à classer – roman, essai ? – qui va du monde quantique au petit félin qui prend ses aises dans la maison et auquel on s'attache. Le fil des pensées qui nous habite toutes et tous, quand l'heure est à la méditation et aux questions. On se découvre debout devant le noir de la nuit. Et c'est alors que revient le temps des questions essentielles.

Puisque Dieu ne joue pas aux dés (Einstein), la science tente de répondre à tout, mais ne réussit souvent qu'à obscurcir les images sensées, derrière les formules qui lui donnent son air absurde. Certains y vont d'hypothèses qui font l'aubaine des rêveurs : Hugh Everett, pour répondre au casse-tête des particules d'états superposés, émet l'hypothèse d'univers parallèles. Intelligemment, Forest nous ramène les pieds sur terre mais se glisse vers les univers multiples du chat énigmatique, dont on ne connaît que l'un, celui qu'il accepte de partager avec nous. Balade dans la science et ses virtualités où les plus étranges fantômes obsèdent quand brûle le regret d'une fillette disparue.


Ce récit, ces réflexions, ces explications sont empreints de langueur. Car l'absence inacceptable envahit de ténèbres et de silence les propos du narrateur interrogatif, désabusé, étranger à lui-même. Enthousiasmé par les démonstrations limpides de vulgarisation scientifique, la lucidité éblouissante et fluide, le lecteur impatient regrettera les longues et répétitives sections où l'auteur peut donner l'impression de se regarder écrire.

Un ouvrage important, certainement, dont l'épigraphe donne le ton:

Quand je lis un livre sur la physique d'Einstein
auquel je ne comprends rien, ça ne fait rien :
ça me fera comprendre autre chose.
(Picasso)

En savoir plus sur France Culture et dans L'express Livres.

Lu en numérique, merci à celle qui me l'a renseigné.



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