29 juin 2014

Le mot pour le dire


Meillet [1] aura beau trouver la langue basque aussi parfaite que cela lui chante, le fait est qu'elle a omis d'inclure dans son vocabulaire un terme pour désigner Dieu, et qu'il a fallu recourir à celui qui signifiait « seigneur de là-haut », Jaungoikua. Comme l'autorité seigneuriale a disparu depuis des siècles, Jaungoikua signifie aujourd'hui directement Dieu, mais nous devons nous replacer à l'époque qui s'est vue contrainte de se figurer Dieu comme une autorité politique et mondaine, comme un gouverneur civil ou quelque chose de ce genre... Précisément, ce cas nous révèle que, faute d'un nom pour Dieu, il sera très difficile aux Basques de le penser : voilà pourquoi ils ont tardé à se convertir au christianisme, et le vocable indique qu'il a fallu l'intervention de la police pour leur inculquer l'idée même de divinité. Ainsi, la langue ne gêne pas seulement l'expression de certaines pensées ; dans d'autres cas, elle perturbe leur réception et notre intelligence, lui interdisant certaines directions.

José Orterga y Gasset - Misère et splendeur de la traduction

[1] Antoine Meillet (1836-1936), principal linguiste français du début du XXè siècle.

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