Il fait froid dehors, mais pas trop. Le ciel est un peu couvert. Frank Martin sort finir son cigare. Il porte un sweater boutonné jusqu’au cou. Frank Martin est petit et trapu. Il a des cheveux gris bouclés et une petite tête. Sa tête est trop petite pour son corps. Frank Martin plante son cigare dans sa bouche et croise les bras. Il le mâchonne en regardant de l’autre côté de la vallée. Il se tient là comme un boxeur, comme un mec qui connaît la musique.
J.P. redevient drôlement silencieux. Je veux dire, il respire à peine. Je jette ma cigarette dans le seau à charbon, et je regarde de plus près J.P., qui se tasse un peu plus dans son fauteuil. Il remonte son col. Qu’est-ce qui se passe, merde, je me demande. Frank Martin décroise les bras et tire une bouffée de son cigare. Il fait des volutes avec sa fumée. Puis il lève le menton vers les collines et dit :
— Jack London avait une grande maison de l’autre côté de cette vallée. Juste derrière cette colline verte que vous regardez en ce moment. Mais l’alcool l’a tué. Que ça vous serve de leçon. Il valait mieux que n’importe lequel d’entre nous. Mais il n’arrivait pas à se maîtriser non plus.
Frank Martin regarde ce qui reste de son cigare. Il s’est éteint. Il le jette dans le seau.
— Les gars, si vous avez envie de lire quelque chose pendant votre séjour ici, lisez donc son bouquin, L’Appel de la forêt. Vous voyez duquel je parle ? Nous l’avons à la bibliothèque, si vous voulez lire. C’est sur un animal moitié chien, moitié loup. Fin du sermon, dit-il, remontant son pantalon et tirant sur son sweater. Je rentre. Je vous reverrai au déjeuner.
— J’ai l’impression d’être un gros cafard, quand il est dans le coin, dit J.P. Il me donne l’impression que je suis un cafard.
J.P. secoue la tête, puis dit :
— Jack London. Quel nom ! Je voudrais avoir un nom comme ça, à la place du mien.
Raymond Carver - Extrait de Là d'où je t'appelle (nouvelle du recueil Les vitamines du bonheur)
Jack London |
Bel extrait, une écriture "sèche" et efficace, et l'art d'y poser des silences.
RépondreSupprimerMerci d'avoir senti cela. C'est vrai c'est un peu "sec". Paradoxalement, moi qui incline souvent vers la phrase "en rameaux", compliquée, je suis surpris par ce style simple.
SupprimerComme si les silences étaient écrits, oui.
RépondreSupprimerEt l'on distingue les visages, des plis, des yeux cernés peut-être.
Belle écriture, tout le gras est enlevé.
J'aime l'expression «enlever le gras», elle est parlante.
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