Dans l'écriture, le désordre et le débraillé me font horreur !
Je suis venu aux nouvelles de Raymond Carver par Ciseaux, fiction de Stéphane Michaka, qui raconte les démêlés de Carver avec son éditeur Gordon Lish et propose une profonde réflexion sur l'écriture, prise entre la fièvre de l'ambition et le couperet de l'édition. En attendant Ciseaux en commande, j'ai lu le recueil Les vitamines du bonheur qui reprend douze textes écrits entre 1980 et 1983.
Après lecture d'un premier récit, une question légitime serait: où veut-il en venir ? Carver raconte bien entendu des histoires mais pas au sens ordinaire, avec la présentation d'une situation initiale qui évoluerait vers une autre plus ou moins conclusive, heureuse ou non, assortie d'une chute surprenante voire d'une pirouette bluffante. Non: voici des gens pendant un laps de temps limité, qui vivent un moment de crise, s'y débattent et dialoguent, plan après plan, c'est brut et concis, puis l'auteur les plante, en laissant au lecteur le soin de leur imaginer un destin éventuel. Il y a du Yves Ravey chez Carver – l'inverse plutôt – même si l'Américain ne cherche pas nécessairement à induire le suspense.
Après lecture d'un premier récit, une question légitime serait: où veut-il en venir ? Carver raconte bien entendu des histoires mais pas au sens ordinaire, avec la présentation d'une situation initiale qui évoluerait vers une autre plus ou moins conclusive, heureuse ou non, assortie d'une chute surprenante voire d'une pirouette bluffante. Non: voici des gens pendant un laps de temps limité, qui vivent un moment de crise, s'y débattent et dialoguent, plan après plan, c'est brut et concis, puis l'auteur les plante, en laissant au lecteur le soin de leur imaginer un destin éventuel. Il y a du Yves Ravey chez Carver – l'inverse plutôt – même si l'Américain ne cherche pas nécessairement à induire le suspense.
L'article d'une inconditionnelle, Martine Laval, rapporte joliment comment Carver observe le monde alentour. Maître incontesté de l'ellipse, maniant l'art du mine-de-rien, Carver écrit le silence, non pas celui de la sérénité, mais celui de l'abattement, de l'effondrement. Ses phrases semblent anodines, insignifiantes ? Faux. Au détour d'une virgule, elles annoncent l'imminence de la catastrophe. L'abandon, la trahison, la lâcheté. La solitude. Le débrouille-toi. Personne n'y peut rien. C'est comme ça. C'est la vie.
On peut penser que Carver compose d'une traite ses histoires élégamment fluent. Dans ses périodes fécondes, il passe de dix à quinze heures d'affilée devant sa table, à relire et réécrire. Il ne faut pas beaucoup de temps pour écrire le premier jet d'une histoire, une séance habituellement, mais il en faut davantage pour écrire les diverses variantes. J'ai été jusqu'à écrire vingt ou trente versions du même récit. Jamais moins de dix ou douze. (traduit de The Paris Review n°76). Il épluche les phrases, pose des mots et tait beaucoup, calcule la place d'une virgule, impose une respiration, l'essentiel en creux pour faire éclore l'émotion.
Photo : Bob Adelman from Carver Country |
Interrogé sur ses références littéraires, Carver cite évidemment Hemingway qui recourait au même style descriptif, épuré de tout langage abstrait jugé vain. Il marque aussi ses affinités pour John Cheever et Tchekhov.
Ce nouvelliste n'a jamais écrit de romans. Il explique sa prédilection pour les histoires courtes : "(...) il fallait vivre, payer les factures, avoir de la nourriture sur la table et en même temps se considérer comme écrivain et apprendre à écrire. Après des années passées à des emplois merdiques, à élever les enfants et essayer d'écrire, je me suis rendu compte que je devais entreprendre des choses rapidement terminées. Je ne pouvais pas me consacrer à un roman, passer deux ou trois ans sur le même projet. J'ai dû écrire ce qui pouvait rapporter dans l'immédiat. (...). Je commençais à me rendre compte que ma vie n'était pas exactement celle que j'espérais. (...) Je prenais l'habitude de sortir pour m'asseoir dans la voiture, essayant d'écrire quelque chose avec un bloc sur les genoux." (traduit de The Paris Review n°76)
Les mots, c'est finalement tout ce que nous avons,
alors il vaut mieux que ce soient ceux qu'il faut
et que la ponctuation soit là où il faut
pour qu'ils puissent dire le mieux possible
ce qu'on veut leur faire dire.
Lectures de Carver sur France Culture.
Lu en version numérique (ePub).
Je n'ai jamais lu cet auteur...
RépondreSupprimerLa première phrase sous la photo aurait pu être prononcée par Baudelaire !
Baudelaire versifiait, c'est d 'autant plus vrai !
SupprimerSi vous désiriez aller plus loin avec Carver, essayez peut-être d'écouter l'une ou l'autre lecture sur France-Culture via le lien fourni à la fin du billet : c'est... parlant.
Chaque fois que je lis un bon billet sur des nouvelles je me sens bête de ne pas adhérer du tout à ce genre d'écrits
RépondreSupprimerJe me doute que ce genre de billet ne vous botte pas beaucoup, mais de là à vous sentir en porte-à-faux, non ! Vous avez vos genres de prédilection : le monde est riche de nos goûts différents.
SupprimerMon intérêt pour les textes courts correspond pour moi, non seulement à moins de disponibilité pour lire longtemps, mais aussi à un désintérêt pour les longues fictions qui me lassent. Je crois qu'elles ne m'étonnent plus et c'est dommage, mais cela reviendra sans doute. C'est peut-être dû à de mauvais choix de lecture occasionnel.
Essayez peut-être comme je l'ai dit à Margot d'écouter les récits de Carver sur France-Culture, c'est étonnant, vous verrez...
Ecrire et réécrire tant de variantes, chapeau !
RépondreSupprimerJe n'ai jamais abordé cet auteur, sans doute parce que je lis peu de nouvelles. Et en lisant pourquoi il s'en est tenu aux histoires courtes, je me demande si les nouvellistes européens arrivent à gagner leur vie ainsi.
En le citant sur la multiplication des versions, je voulais souligner l'écart entre l'apparente simplicité des textes de Carver et le travail qu'il y a derrière. Faire simple ne l'est pas, vous le savez en matière d'art.
SupprimerVotre remarque sur les histoires courtes est très pertinente. Il y a une culture de la nouvelle là-bas, à travers les publications en magazine notamment, que nous connaissons mal ici. Et cela doit bien mieux arrondir les fins de mois qu'en Europe..
Personnellement, j'ai été dérouté en abordant certaines nouvelles que je trouvais quelconques parce que je ne savais pas les lire, tout simplement. Je ne sais si cela se ressentira dans l'extrait (en cure de désintoxication, que Carver a bien connue en tant qu'alcoolique) proposé demain, mais il y a beaucoup d'émotion, de tension, derrière les mots, dans les pauses, les respirations.
En effet il y a une culture de la nouvelle là-bas, qui n'est pas un sous genre, beaucoup d'écrivains en proposent avant un plus gros roman (quitte à y revenir), et il n'y a pas obligation de "chute" à cette nouvelle.
RépondreSupprimerCarver n'est pas allé vers le roman, il s'en explique partiellement dans l'entretien à "The Paris Review" renseigné dans le billet.
SupprimerIl n'est pas facile d'apprendre à lire ce genre de nouvelle qui ne va pas vers une fin, vers un devenir ou un baiser de cinéma. Aucune conclusion morale, spirituelle, tragique ou merveilleuse, ni même mystérieuse.
L'essentiel est ailleurs. Je crois que la nouvelle est considérée ici comme un sous-genre parce que les lecteurs ne savent pas la lire comme elle le requiert et en attendent autre chose que ce qu'elle offre.
Ce n'est pas la seule raison, évidemment. Le genre n'est pas soutenu par les professionnels, des éditeurs au critiques.
SupprimerNous sommes donc ravis du prix Nobel d'Alice Munro, qui pour ce que j'en sais, n'a écrit que des nouvelles (mais plutôt longues)
SupprimerC'est très bien qu'une nouvelliste obtienne le Nobel, j'ai fait un billet sur "Trop de bonheur". Pourtant j'ai émis quelques réserves (qui n'engagent que moi) sur ses digressions qui perturbent la "ligne pure" nécessaire à une nouvelle bien ronde.
Supprimercf
http://marque-pages.over-blog.net/article-trop-de-bonheur-alice-munro-120828300.html
pas encore transféré ici.
"Ligne ronde", c'est incompréhensible mais j'espère que vous comprenez un peu.
@Keisha : voilà, l'article sur Munro a été transféré (octobre 2013) :-)
SupprimerPlaisir de lire votre article sur Carver que j'ai beaucoup lu jeune.
RépondreSupprimerLes nouvelles, en Europe, ça revient un peu au goût du jour mais il est vrai que ce n'est pas encore la foule.
L'argument de Carver, je le retournais en disant aux lecteurs pressés, qui lisent dans les transports en commun, que la nouvelle était le format idéal pour ceux qui n'ont pas plus de temps à consacrer à la lecture.
Les lecteurs pressés, mais aussi ceux qui comme moi pour le moment, ont une tendance au zapping en matière de lecture. Mal de l'ère numérique qui me gagne ?
SupprimerCelle-ci avec l'auto-publication pourrait booster la nouvelle. Je ne suis pas pour, l'auto-publication est ouverte à n'importe quoi et il commence à y avoir des problèmes pour faire le tri. Rien que sur la toile, déjà...
Bonne journée sous le soleil Pascale.
Vaste débat... je pensais comme vous mais j'ai changé d'avis sur l'auto-publication car j'en ai lu de vraiment bien ; et comme l'édition a tendance a démissionné, que le lecteur est souvent pris pour un pigeon (cf. le nombre de livres illisibles édités à des fins commerciales), je ne suis plus aussi catégorique. Mais je suis optimiste pour les grands lecteurs, tant que l'on trouve de beaux livres à lire... Par contre, pour les lecteurs occasionnels qui ne savent comment choisir, c'est plus délicat.
RépondreSupprimerPour en revenir à la nouvelle, je pense que c'est un genre plus exigeant sur le plan de l'écriture que le roman qui peut se permettre quelques passages non indispensables. Son format court n'autorise aucune bafouille.
Bonne journée, sous le soleil, eh oui !
Un bon roman demande du souffle, ne tient pas la distance qui veut. Une bonne nouvelle demande d'être juste tout de suite , aucune bafouille en effet (Alice Munro, primée récemment me déçoit quelque peu sur ce plan).
SupprimerLa démission de l'édition me désole et les bons livres auto-édités ne me consolent pas...
Merci pour votre avis éclairé Pascale.
Gardez le moral, Christian ! Prenez votre vélo et allez écouter les paysages... Sous ce soleil, c'est irrésistible !
RépondreSupprimerBonne idée, bon conseil !
SupprimerJ'aime bien lire des nouvelles et ce que vous dites de celles-ci m'intrigue. C'est un auteur que je n'ai jamais lu et j'ai raté les lectures sur France-Culture, je vais suivre d'abord le lien.
RépondreSupprimerJ'espère que vous y trouverez plaisir.
SupprimerCarver...jamais rien lu de lui, ce n'est pas faute d'apprécier énormément les nouvelles. De fait j'ai une grande admiration pour les écrivains qui arrivent "à dire juste" en peu de mots...
RépondreSupprimerVoyons si je trouve de quoi charger mon Kindle ...
Merci!