...à l'exception des aveugles et amblyopes, les hommes ne lisent pas, ni les proses ironiques, sarcastiques et même peu narratives, ni rien d'autre non plus; ils sont devenus de froides machines efficaces, de fonctionnaires zélés du système en vigueur entièrement appliqués à leur tâche, ne goûtant la volupté d'être que dans le jeu fluide des combinaisons et des rouages — la musique des moteurs, la circulation du ballon —, incapables de recueillement et de solitude, farouchement anti-intellectuels, définitivement perdus pour la littérature. Leur intérêt ne s'éveille que lorsqu'il est généré par leur capital. (Et parce qu'ils ne leur prêtent pas main-forte et qu'ils les laissent écluser seules toute la production littéraire, c'est aux femmes qu'il revient de lire les mauvais livres aussi bien que les bons.)
Éric Chevillard - L'auteur et moi (Les Éditions de Minuit)
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