Le chapitre Le retour des hommes-lieux est l'occasion pour J.-C. Guillebaud de rappeler la métaphore de l'arbre (les racines) et de la pirogue (le mouvement, le voyage) afin de commenter les questions de nation, d'identité et de supranationalisme inférées par la mondialisation. Tout être humain est partagé entre deux aspirations vitales et contraires : l'enracinement dans le particulier et le «voyage» vers l'universel. C'est aussi l'opposition du réel et du conceptuel.
Première remarque : la France serait plus «assimilassionniste» que l'Allemagne ou la Grande-Bretagne (Proust: la France est un immense être humain), elle est la patrie de l'Homme universel, car elle assimile plus efficacement qu'on ne le croit, même aujourd'hui. Ce n'est pas le cas du monde anglo-saxon ni de l'Allemagne où, derrière un «patriotisme» strictement juridique ou constitutionnel, persiste une tradition culturelle fortement différentialiste.[1]
Néanmoins, si la nation porte en elle le microbe du nationalisme, plus ou moins menaçant, le supranationalisme est quant à lui hanté par l'émiettement, fatal à la démocratie. Il ne s'agit pas d'oublier l'histoire dramatique du vingtième siècle, mais écoutons Marcel Gauchet : Le dépérissement des nations au profit d'un enchevêtrement mondial de «réseaux» nous ramènerait très vite au tribalisme à une extrémité, et à l'empire à l'autre (...). Puis Louis Bodin : Loin d'être un repli frileux sur soi, la nation offre une des rares chances que nous ayons encore de vitaliser la démocratie en rétablissant la responsabilité dans une communauté de destin. Bref la vraie citoyenneté est plus que jamais nécessaire : on voit mal qu'une citoyenneté de cette sorte puisse exister sans nation.
Un peu plus loin, cependant, le propos est nuancé, car, comme pour les histoires juives, les références à la nation dépendent de qui les raconte. Elles peuvent être drôles ou sinistres : garante de la démocratie dans un cas, la nation sera très suspecte dans un autre. C'est sans doute en Allemagne que cette ambivalence est la plus criante. Et puis la nation n'est pas le pays, ne l'oublions pas, la Belgique et ses démocrates le savent.
Qui dit nationalisme songe au projet européen pour lequel des différences de sensibilité perdurent. Guillebaud souligne les oppositions et l'effervescence qui ont accompagné la signature du traité de Maastricht (1992). Il déplore un cafouillage qui – retour du leitmotiv – atteste de la trahison de l'héritage des Lumières : ...la promptitude avec laquelle un projet à débattre peut se transformer en admonestation impatiente; le passage quasi instantané de l'analyse au catéchisme, de l'inquiétude à la fuite en avant, du désarroi au sermon, de la conviction à la suffisance, de l'argument à la remontrance. Une radicalisation oublieuse du nécessaire «détour» démocratique.[2]
Au-delà du défenseur acharné des valeurs et usages démocratiques, au vu des différentes positions qu'il adopte, Jean-Claude Guillebaud donne l'image d'un homme d'opinions modérées, soucieux des nuances, qui se positionne systématiquement loin des extrêmes. Ce qui incite à lui donner une étiquette «au centre de l'échiquier» – avec ce que cela implique de raison et de sagesse mais aussi d'ambiguïté –, que confirmera, dès lundi, le dernier des compte-rendus consacré à cet essai du journaliste essayiste, en rapport avec les fondamentalismes religieux.
Qui dit nationalisme songe au projet européen pour lequel des différences de sensibilité perdurent. Guillebaud souligne les oppositions et l'effervescence qui ont accompagné la signature du traité de Maastricht (1992). Il déplore un cafouillage qui – retour du leitmotiv – atteste de la trahison de l'héritage des Lumières : ...la promptitude avec laquelle un projet à débattre peut se transformer en admonestation impatiente; le passage quasi instantané de l'analyse au catéchisme, de l'inquiétude à la fuite en avant, du désarroi au sermon, de la conviction à la suffisance, de l'argument à la remontrance. Une radicalisation oublieuse du nécessaire «détour» démocratique.[2]
Au-delà du défenseur acharné des valeurs et usages démocratiques, au vu des différentes positions qu'il adopte, Jean-Claude Guillebaud donne l'image d'un homme d'opinions modérées, soucieux des nuances, qui se positionne systématiquement loin des extrêmes. Ce qui incite à lui donner une étiquette «au centre de l'échiquier» – avec ce que cela implique de raison et de sagesse mais aussi d'ambiguïté –, que confirmera, dès lundi, le dernier des compte-rendus consacré à cet essai du journaliste essayiste, en rapport avec les fondamentalismes religieux.
[1] Cette constatation s'appuie sur les travaux difficilement réfutables (je cite Guillebaud) de l'historien et sociologue Emmanuel Todd sur les structures familiales et des données anthropologiques.
[2]Exactement ce à quoi j'ai assisté ce dimanche 12 avril 2015 dans un le cadre d'un débat télévisé sur la répartition des moyens budgétaires entre gouvernement fédéral et régions, sur la chaîne belge de télévision publique.
[Les passages en italique sont des citations du livre]
[La trahison des lumières 1]
[La trahison des lumières 2]
[La trahison des lumières 4]
[La trahison des lumières 1]
[La trahison des lumières 2]
[La trahison des lumières 4]
une réflexion intéressante en ces temps troublés où se discute chez nous des lois qui interrogent beaucoup
RépondreSupprimerJe suppose que vous voulez parler des traités de libre-échange qui, notamment pour le livre, risquent de nous valoir quelques mauvaises surprises. Il faudra revenir sur le sujet dans nos blogs !
SupprimerTrès intéressant, oh que oui. Je garde aujourd'hui l'idée de promptitude, cette idée, qui devient semble-t-il nécessité, de légiférer sur un coup de tête, d'interdire, restreindre, ce qui est plus aisé qu'ouvrir une débat citoyen. Peut-on encore parler de démocratie?
RépondreSupprimerNon Colette, vous avez raison, on ne parle plus de démocratie quand on se lance à la tête des notions pseudo-idéologiques dépassées qui ne font en rien avancer les débats, occultent les paroles de ceux qui veulent progresser, et surtout empêchent le citoyen de comprendre les enjeux, les solutions qui ne sont pas du tout des coups de baguette magique d'un premier ministre ou d'un parti politique.
SupprimerD'un autre côté, si les politiques se mettent à expliquer, à entrer dans les détails, qui écoutera leur discours forcément complexe ? C'est plus facile de voter pour un tête sympa sur l'affiche. Allez, on n'est pas sorti de l'auberge...
Et que cela ne nous empêche pas de passer un bon dimanche, plein de lumière ici, et pour quelques jours.