Anne Percin imagine ici une correspondance fictive entre des personnages artistes qui auraient existé à la fin du 19ème siècle et fréquenté les milieux de la peinture avant-gardiste de l'époque. Hugo Boch, parti du Borinage pour la Bretagne (Le Pouldu) entretient un courrier suivi avec sa cousine Hazel, qui tente de se tracer une voie dans la peinture à Paris, malgré les mentalités machistes de ces milieux pourtant progressistes. Tobias Hendrike, ami intime de Hugo et élève de l'Ostendais James Ensor, poursuit un chemin artistique sombre et douloureux suite à de violents maux de tête. Il rencontre et fréquente Hazel. Pendant ce temps, Hugo, le pinceau moyennement doué, solitaire et hésitant, côtoie Paul Gauguin puis se tourne vers la photographie, technique naissante, en faisant des portraits de défunts. Le destin de ces personnages, parmi anecdotes, mœurs et techniques évoqués au fil de leurs lettres, s'inscrit parmi ceux de noms connus qui ont marqué le domaine de la création, comme Van Gogh (et Théo), Paul Sérusier, Émile Bernard, Toulouse Lautrec ou encore Anna Boch.
Un bénéfice de cette lecture aura été, en parallèle, de découvrir le travail de celle-ci, œuvre des plus sensibles, trop peu soulignée parmi les gloires de l'époque impressionniste. Dans Les Singuliers, il est surtout question de son flair : elle fut la seule à acheter une toile de Van Gogh (La vigne rouge) de son vivant.
Anna Boch dans son atelier - La porteuse d'eau. |
Qui sont-ils, pourquoi les «singuliers» ? Hugo à sa cousine : ...j'ai découvert que l'on pouvait se perdre, j'ai avancé avec confiance en me dépouillant jour après jour des habitudes bourgeoises avec lesquelles j'avais grandi, j'ai appris à vivre presque sans argent et apprivoisé la peur terrible que me font les autres, les vivants et les morts. Il n'est pourtant pas devenu un autre homme, ni meilleur : Je suis juste de plus en plus, de mieux en mieux si l'on préfère, singulier. Et singulier, cela veut dire seul, aussi...
Tobias à son ami Hugo : Il a raison, ton Gauguin : il faut s'habituer à l'idée de n'être pas aimé. C'est la deuxième tâche la plus difficile d'un artiste, la première étant d'être absolument soi-même. Supporter la moquerie, la raillerie, le refus de ce que l'on est, de tout ce en quoi l'on tient, se voir imposer le silence et ne pas pouvoir riposter : voilà la grande, l'insupportable, la nécessaire mission d'une vie. Je ne parle pas seulement de la vie d'artiste.
Sur la côte de la Mer du Nord - Anna Boch |
L'auteure confie dans un entretien que si elle a osé faire «revivre» – et même, presque malgré elle, faire écrire et parler – Paul Gauguin, il lui aurait été impossible d'en faire de même pour Vincent Van Gogh, qu'elle juge intouchable. Cette révérence pour le peintre hollandais se ressent au long du récit où il apparaît comme LE mythe malgré – mais peut-être justement à cause de – la volonté de le décrire avec la distance dans ses épreuves les plus pénibles. Les couleurs et le caractère de deux de ses toiles crèvent la page écrite, La vigne rouge, achetée par Anna Boch pour 400 francs et Le poète, portrait du frère de celle-ci, Eugène.
La vigne rouge et Le poète de Van Gogh |
J'étais peu familier avec les récits épistolaires et a priori réservé à la perspective d'un roman exclusivement composé de lettres. L'expérience est réussie et la lecture plaisante ; il est rare pour moi d'aller au terme d'un récit – une demi-fiction dira-t-on – étiré de la sorte sur quatre cents pages. Celui-ci est réalisé avec intelligence sans aucun accent d'invraisemblance. Le revers de la médaille étant bien entendu que l'auteur, pour le crédit de la cohabitation de noms célèbres et d'êtres imaginaires, se devait de ne pas faire ceux-ci trop voyants, d'où un certain manque de relief dans l'existence de ces personnages, de stature artistique nécessairement modeste mais très attachante.
une auteure que j'ai croisé mais jamais lu, le sujet m'intéresse je vais voir si il est présent dans ma médiathèque
RépondreSupprimerJe l'ai trouvé un peu long mais bien fait. J'espère que vous le trouverez, ici il n'est pas dans toutes les bibliothèques de la ville.
SupprimerOh quel beau sujet, voilà un titre pour moi, merci Christw. Je serai ravie d'y retrouver Anna Boch, trop rarement mise à l'honneur. Un roman épistolaire, cela me semble une belle manière de donner l'occasion aux personnages d'exprimer leur quête artistique et leurs doutes, leurs joies. C'est noté !
RépondreSupprimerOh oui, je me doutais que vous seriez intéressée par ce livre-là et en deux mots vous dites bien ce qu'il promet. La peinture, l'art y tiennent une bonne place et je constate avec plaisir que vous êtes d'accord pour mettre un peu plus à l'honneur Anna Boch !
SupprimerBon dimanche.
J'avais apprécié un de ses romans précédents "Bonheur fantôme", où elle évoquait Rosa Bonheur : http://legoutdeslivres.canalblog.com/archives/2010/09/23/19135166.html Je la relirai volontiers et pourquoi pas avec ce titre-là.
RépondreSupprimerJe visite votre lien tout de suite, merci.
SupprimerRosa Bonheur, la peinture réaliste, la peinture encore et toujours... Anne Percin sait aussi écrire sur le sujet. Il y a dans "Les Singuliers" un beau passage sur la neige peinte par Courbet : un peu long pour reproduire ici, mais, allez, je le proposerai demain ici, voilà !
Comme Aifelel, j'avais apprécié le passage de Rosa bonheur dans un roman précédent. Sans vous, j'aurais laissé ces Singuliers de côté, je vais voir ça!
RépondreSupprimerMerci de passer juste à propos Keisha, je viens justement de vous envoyer un mail. Tania m'a indiqué qu'elle devait répondre à un Captcha imagé pour laisser un commentaire sur ce blog, avez-vous remarqué quelque chose ?
SupprimerMes paramètres ont pourtant "off" pour ce contrôle. Là je cherche et sèche...
Je ne connais pas cet écrivain.
RépondreSupprimerVous pouvez faire sa connaissance via le lien de l'entretien dans le billet. C'est
Supprimerhttps://www.youtube.com/watch?v=jDbfeHUFJpY
Bonne soirée "Bonheur" !
J'ai déjà vu le nom de l'auteur, mais figurez-vous que je la croyais anglo-saxonne ! Je vais noter les références du livre et l'inscrire sur la liste des suggestions d'achats de la médiathèque car j'aime les romans épistolaires.
RépondreSupprimerMerci. Très bonne journée.
Aussi francophone que vous et moi ! Elle est aussi connue pour des romans pour grands adolescents.
SupprimerVoilà un livre qui fera plaisir à beaucoup de lecteurs de votre médiathèque, j'en suis certain.
Comme Dominique, le sujet m'intéresse. En revanche, je n'accroche pas du tout à l'épistolaire... cela ne sera donc pas une priorité de lecture ;-)
RépondreSupprimerJe crois que l'épistolaire de fiction a pour avantage de na pas proposer de nombreuses digressions comme dans les lettres d'une vraie correspondance dans lesquelles il faut isoler un fil conducteur susceptible de faire une histoire. C'est un argument en faveur de ce livre, le revers est qu'il s'agit d'une chronique fictive.
SupprimerÀ vous de voir. Bonne fin de semaine !