Voilà, ma série noire s'éteint, Pas d'orchidée pour Miss Blandish, la belle restera définitivement entre les mains de l'infâme Slim tandis que J.H. Chase m'en tombe, cent pages de trop premier degré, je verrais bien un vieux John Ford en couleurs à la place .... (C'est bizarre de voir ces livres de gangsters en monochrome, comme si le nom de la collection délavait le regard intérieur). Le titre est conseillé parmi les quinze immanquables du spécialiste Claude Mesplède. Il y a des collectionneurs qui dépensent 800 euros pour une édition originale de ces tout premiers romans noirs initiés par Marcel Duhamel : prennent-ils un réel plaisir à les lire ?
Mais le scénario axé sur l'action est adroitement découpé et je peux concevoir l'inclination pour Chase, Westlake, Hammett, ... comme je m'assume complètement en lecteur chronique de Maigret." Que le lecteur non prévenu se méfie : les volumes de la Série noire ne peuvent pas sans danger être mis entre toutes les mains. L'amateur d'énigmes à la Sherlock Holmes n'y trouvera pas souvent son compte [...] On y voit des policiers plus corrompus que les malfaiteurs qu'ils poursuivent. Le détective sympathique ne résout pas toujours le mystère. Parfois, il n'y a pas de mystère. Et quelques fois pas de détective du tout... Mais alors. Alors, il reste de l'action, de l'angoisse, de la violence." écrivait Marcel Duhamel en 1948, à propos de la collection. Des trois, l'angoisse me suffit, si une bonne énigme la relève.
Le site complet Pol'Art Noir définit le domaine désormais fort vaste du livre noir: "Roman noir, hard-boiled, récit d'enquête ou de procédure, thriller, polar social ou politique, loufoque ou humoristique, voire historique... : Pol'Art Noir du polar en général à la littérature policière en particulier". Une bonne référence.
L'équipe de la série noire en 1953 © Photo D.R. Gallimard |
Aurélien Masson, directeur de la collection chez Gallimard depuis 2005, l'explique dans plusieurs émissions de France Culture[1], la Série Noire aujourd'hui n'a plus rien à voir avec la glorieuse couverture poche noire et jaune, attachée aux grands noms du polar classique que vénèrent les amateurs comme des vieilles bouteilles de grands crus. Rejoignant le tournant imprimé par Rivages/Noir avec Ellroy dans les années nonante, le format est plus grand et les volumes sont épaissis. Les lecteurs ont d'autres envies.
Masson tient néanmoins à garder un cap, le mauvais genre dans le but de secouer, retourner la cervelle, romans en «peigne de fer» pour montrer une autre réalité : "La série noire, c’est regarder avec une paire de lunettes qui change notre approche du monde" écrit-il.
Dans cet état d'esprit, la suite de ma quête polar n'est pas restée sans succès : deux lectures marquantes.
Fatale (1977): Jean-Patrick Manchette troque cette fois son tueur professionnel pour une dame non moins dévastatrice, efficace, valeureuse et bien entendu un peu désespérée et au destin tragique, qu'il appelle Aimée. L'édition originale parut hors Série Noire (au grand dépit de Manchette qui préférait l'étiquette vrai polar) et ce fut chez Gallimard une "blanche" vêtue de noir, qu'on trouve aujourd'hui en Folio policier.
Si le projet politique est moins ouvertement affirmé dans ce livre, il ne s'agit pas moins d'éliminer les notables bourgeois corrompus d'une petite ville. On trouve une insertion anodine mais éloquente, car imprimée dans une police majuscule, qui suggère le réveil du peuple : "[...] elle escalada la pente, traversant les faubourgs où les ouvriers dormaient POUR UN MOMENT ENCORE, elle se dirigea vers le nord." Les capitales sont encore utilisées pour indiquer, de manière un peu trop ostensible, le procédé d'auto-réflexion[2] que Jean Échenoz souligne dans des notes en postface. Ainsi, "GARDEZ VOTRE VILLE PROPRE" apparaît trois fois, sur une poubelle, une bascule de pharmacie et une borne téléphonique, pour présager le «nettoyage» auquel va se livrer l'héroïne. De la même manière, en début de récit lors d'une partie de chasse, l'auto-réflexion indique l'absence de crimes durant une longue première partie de roman : "On chassait depuis trois heures de temps et on n'avait encore rien tué".
C'est d'ailleurs peut-être la «virginité» des cent premières pages et ces procédés littéraires qui ont incité les éditeurs à ne pas insérer d'emblée Fatale dans la collection Série Noire ?
Échenoz le souligne, Manchette dépeint généralement les femmes avec une certaine tendresse. Ici il valorise résolument une tueuse vénale hors pair – le prénom déjà est significatif – dans un final qui la voit "intacte et extrêmement belle", perdant son sang dans "une glorieuse lumière dorée d'aurore", mythique et folle. Et Manchette précise, dans la phrase ultime, qu'il s'adresse là aux "femmes voluptueuse et philosophes", comme une sorte d'avertissement ou d'exhortation.
Dans Mygale (1984), Thierry Jonquet recourt à une énigmatique structure en trois volets qui conduit à un récit rocambolesque et bien imaginé. Le scénario de ce suspense ne pouvait qu'aboutir au cinéma, Almodovar en a tiré "La peau que j'habite" ("La piel que habito") en 2011. Chirurgie plastique et trans-sexualité sont une mine pour les auteurs de romans dits noirs. Et effrayants, c'est ce qu'on leur demande.
[1] Émissions de France Culture : L'ombre au tableau (le 20 juin 2015) et Le roman noir à l'heure des séries noires (le 14 août 2015).
Jonquet c'est excellent, les vieux polars j'ai un peu de mal, un peu trop éloigné de la vie actuelle et pour un polar c'est difficile
RépondreSupprimerBonjour, Dominique ! J'espère bien reposée, en forme ?
SupprimerOui, comme le confirme ces quelques lectures, je n'ai pas trop réussi avec les tout vieux machins (excepté "La reine de pommes") du roman noir et me suis tourné vers des choses un peu plus récentes.
Pour certaines lectures, il vaut peut-être mieux rester avec ses souvenirs, tout ne vieillit pas bien et le choix est grand.
RépondreSupprimerJe trouve que vous avez raison, c'est pourquoi il m'arrive peu de relire des livres qui m'ont laissé un très bon souvenir, pour éviter cela justement, d'être déçu parce que cela a mal vieilli.
SupprimerDans le cas des vieux polars des années 50-60, je n'en ai pas lu beaucoup étant plus jeune, donc guère de souvenirs à épargner. Je tenais à les évaluer aujourd'hui.
J'apprends grâce à vous bien des choses sur la Série noire. Votre remarque sur les couvertures qui changent : oui, le livre y gagne en air du temps, mais certaines couvertures originales nous sont chères, ou même celles de notre première lecture.
RépondreSupprimerDans mon cas, ce sont les vieilles couvertures du Livre de Poche : elles m'ont accompagné dans mes premières aventures livresques.
SupprimerVous semblez, comme moi, attachée à ces aspects du livre qui ne sont pas proprement littéraires, signets, couvertures, qualité du papier, bruit des feuilles, etc... Et tout cela, imprégnation indélébile du souvenir, le livre numérique, que je ne désavoue pas, ne peut l'offrir.