14 décembre 2015

Sortis de la nuit

Traduit de l'italien par Lise Caillat.

"Ces pages racontent une histoire vraisemblable qui, toutefois, ne pourrait jamais se produire dans la réalité. Elles décrivent en effet deux personnages qui se rencontrent à trois reprises, mais chaque rencontre est à la fois l'unique, la première, et la dernière. Ils peuvent le faire parce qu'ils vivent dans un Temps anormal qu'il serait vain de chercher dans l'expérience quotidienne. Un temps qui existe parfois dans les récits, et c'est là un de leurs privilèges."

Ce préambule du roman est précédé d'une autre note de l'auteur où il explique que l'idée lui est venue de donner réalité à un livre dont le titre est mentionné dans un de ses romans antérieurs, "Mr Gwyn". "Trois fois dès l'aube", écrit imaginaire d'un auteur Anglo-Indien qui l'est tout autant, joue un rôle significatif dans l'histoire de Jasper Gwyn et Alessandro Barrico en a fait un objet qu'on trouve désormais en librairie. Ne regrettez pas de n'avoir pas lu "Mr Gwyn", ce livre-ci tient sans cela.

Il comprend trois nouvelles liées par l'idée d'une triple rencontre, si l'on veut y traquer les reflets d'un même couple parmi les distorsions temporelles d'un auteur imaginatif, ce qui n'est pas indispensable pour les apprécier individuellement. Récits réussis, lus d'un trait, comme si un tableau de Edward Hopper prenait vie, particulièrement pour les deux premiers, avec ces personnages solitaires mais resplendissants qui parlent beaucoup, comme s'il fallait écluser l'hébétude silencieuse des instants avant l'aube. Les dialogues, dont toute proposition incidente est soigneusement écartée, filent et coulent sans quiproquo, on peut presque les entendre.

Puis il faut dire ces moments qui précèdent le lever du jour, quiétude des lève-tôt, rivage des noceurs, quand la nuit est dans l'attente, hésite à diluer son encre, suppute le jour et médite, sereine encore. Les trois récits se déroulent dans ces heures-là, qui leur impriment la tonalité de vies hors de la durée, rêvées.

Dialogue dans le hall d'un hôtel minable, tiré du second texte :
"[...].
Quand je vous ai vue entrer, et puis tout à l'heure, dans le hall, j'ai pensé que c'était dommage.
Qu'est-ce qui était dommage ?
Ce garçon. Vous, avec ce garçon. Si je peux me permettre, vous êtes une jeune fille délicieuse, cela se voit tout de suite.
Qu'est-ce que c'est que ces conneries ?
Excusez-moi. Je vous souhaite une bonne nuit.
Non, maintenant dites-moi où vous voulez en venir. 
Cela n'a pas d'importance.
J'en suis persuadée, mais vous allez me le dire quand même.
Votre ami doit attendre les serviettes.
Ce sont mes oignons. C'est quoi cette histoire de jeune fille délicieuse ?
Vous avez les pieds attachés l'un à l'autre, vraiment attachés. Les jeunes filles ne comprennent pas toujours qu'avec des talons hauts leur façon de se tenir, quand elles sont debout, immobiles, donne l'impression qu'elles ont les pieds attachés. Parfois on peut juste y passer un doigt, mais ce n'est pas la même chose.
Voyez-vous ça.
Toutes ne le comprennent pas, mais vous le savez, et puis il y a le reste aussi, vous avez une belle manière de... de tout. Votre ami c'est le contraire, non ?
Mais vous vous entendez ?
[...]."      

7 commentaires:

  1. C'est beau, "comme s'il fallait écluser l'hébétude silencieuse des instants avant l'aube". Ce dialogue dans un hall d'hôtel me fait penser à "La musica II" de Marguerite Duras. Et la référence à Hopper en plus - je note ce titre.

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    1. Je suis souvent levé très tôt et je connais très bien ces moments avant le lever du soleil. Les décrire m'inspire, il me semble.
      Chez Duras, même atmosphère de fin de nuit, mais il s'agit d'un couple qui se défait. C'est bien plus optimiste ici malgré la couverture à la Tuschman/Hopper.

      Je m'aperçois que je ne suis pas allé sur Textes&Prétextes récemment, toutes sortes d'occupations dont un départ demain mais je passe tout-à-l'heure.

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  2. Très bel ouvrage, qui peut absolument se lire sans connaître "Mr Gwyn", en effet, mais quel dommage ce serait de passer à côté ! J'ai adoré ce roman, plus encore que ce petit livre...

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    1. Et bien Pascale, je vous assure que j'ai "Mr Gwyn" en projet. Et vous m'y confortez, c'est très bien !
      J'en avais parcouru forcément le résumé. Depuis le beau "Soie", j'avais laissé Barrico de côté, à tort.

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  3. J'ai commencé Mr Gwyn , mais je ne sais pas pourquoi je l'ai laissé de côté,je le retrouverai sans doute.Mais je ne suis pas complètement séduite par cet auteur.

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  4. Mr Gwyn a été pour ma part le dernier ouvrage lu en 2015, terminé dans ses toutes dernières heures et... sans rien révéler je puis dire QUEL ROMAN,un éblouissement,une partie centrale notamment extraordinaire de beauté.

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    1. Ah mais zut j'ai oublié de l'emprunter ce vendredi. Merci d'y revenir K, surtout s'il est si convaincant. Belle fin d'année alors !

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