La pratique de la nouvelle est forte et vivante en Amérique du Sud et aux États-Unis. On y constate pareillement "un roman polyphonique, complexe, ample et puissamment architecturé aux antipodes du roman monologique qui domine dans la littérature française". L'article mentionné veut lier les deux constats.
Dans un article de La Quinzaine Littéraire (n°1139, novembre 2015), Bernardo Toro fait le constat que le roman français d'aujourd'hui tend à restreindre le nombre de personnages et de pages, adopte un point de vue unique et une trame resserrée, prenant ainsi les allures d'une longue nouvelle. Il contribue à marginaliser celle-ci, la cantonnant dans des publications spécialisées, telle la revue Rue Saint Ambroise à laquelle collabore le Chilien.
Toro remonte à la crise du roman au tournant du XXè siècle qui naquit en même temps que le roman naturaliste, dit d'enquête sociale, Zola en tête, alors que beaucoup prédisaient la fin prochaine de cette forme de littérature. "Radotage et gâtisme pour filles de concierge", fustigeait Remy de Gourmont. "Nous sommes las, écrivait Barrès, de l'anecdote détaillée en quatre cents pages, las du roman machiné aux identiques péripéties, las de documenter des niaiseries.". "Sauf accident, affirmait Villiers de L'Isle-Adam, un roman n'est qu'une nouvelle stupidement délayée". Il semble qu'en France, selon Toro, l'on n'ait pas retrouvé confiance dans le roman depuis lors, sinon à poursuivre l'idéalisation de la grande époque du roman au XIXè siècle, de Balzac à Zola, référence ultime, objet de toutes les fascinations.
Toro remonte à la crise du roman au tournant du XXè siècle qui naquit en même temps que le roman naturaliste, dit d'enquête sociale, Zola en tête, alors que beaucoup prédisaient la fin prochaine de cette forme de littérature. "Radotage et gâtisme pour filles de concierge", fustigeait Remy de Gourmont. "Nous sommes las, écrivait Barrès, de l'anecdote détaillée en quatre cents pages, las du roman machiné aux identiques péripéties, las de documenter des niaiseries.". "Sauf accident, affirmait Villiers de L'Isle-Adam, un roman n'est qu'une nouvelle stupidement délayée". Il semble qu'en France, selon Toro, l'on n'ait pas retrouvé confiance dans le roman depuis lors, sinon à poursuivre l'idéalisation de la grande époque du roman au XIXè siècle, de Balzac à Zola, référence ultime, objet de toutes les fascinations.
La littérature française n'aurait pas compris la portée de la révolution qui s'est produite dans la langue anglaise avec des œuvres comme Ulysse (1922), Mrs Dolloway (1925), Manhattan Transfer (1925), Le Bruit et la Fureur (1929), textes qui sont toutes travaillées par la forme courte.
Les auteurs de ces œuvres novatrices ont tenté de concentrer le temps de l'action en l'éclatant en autant de points de vue, rompant avec le temps distendu et le point de vue unifiant du roman du XIXè siècle. Le roman y devient un "assemblage hétéroclite de formes courtes qui traduit la fragmentation et le décentrement du monde moderne".
Il apparaît également que la réconciliation du public avec le roman est passée par la littérature de genre – roman policier, polar, science-fiction –, des formes toutes issues du conte et de la nouvelle : Dashiell Hammett, Edgar Poe, les nouvelles fantastiques de Hoffman, ainsi que Maupassant, Nerval et Gautier.
On en arrive à la thèse de l'auteur de l'article : la nouvelle doit rester le terrain d'expérimentation du roman sans laquelle il s'homogénéise jusqu'à n'être qu'un long monologue unilinéaire. Ce n'est pas au nom de la corporation des nouvellistes qu'il faut s'inquiéter mais "au nom de la littérature en général et de sa capacité à dire les fractures du monde d'aujourd'hui. Là où la nouvelle se porte bien, le roman se renouvelle ; mais dès que celle-là cesse d'explorer de nouvelles voies, celui-ci régresse et s'académise.", conclut l'écrivain chilien.
Suite de cette discussion sur le roman – le romanesque plus précisément – dans les prochains jours avec un point de vue différent, celui de Jean Rouaud dans un opuscule dont le titre est constat et aveu : "Misère du roman".
Très intéressant et je me réjouis que ce billet en annonce d'autres.
RépondreSupprimerJe constate à lire les de Gourmont et autres Barrès qu'il y a un siècle déjà l'on s'agitait fort sur le sujet.
Les exemples anglo saxons cités sont éclairants, j'accepte que Ulysse soit travaillé par la forme courte , mais alors des multitudes de court! (je suis enlisée au tiers de la bête)
Ulysse" ne m'a jamais tenté, par Joyce je veux dire. Dos Passos aussi, c'était les formes courtes poussées à l'ultime éclatement, j'ai beaucoup aimé "Manhattan Transfer".
SupprimerJ'aime lire des nouvelles, la thèse de Toro me parle, la vie est un peu cela, quand on se pose, la contemplant, puzzle hétéroclite, bribes de souvenirs, d'instants de temps et d'espace vécus et à vivre, formant une œuvre, la nôtre. Une série de contes et nouvelles décentrés bien plus qu'un grand roman unilinéaire.
on attend la suite évidement
RépondreSupprimerLe livre est lu, c'est une chose ;-)
SupprimerJ'attends Rouaud car là je n'adhère pas vraiment...
RépondreSupprimerPrécisez svp ?
SupprimerLa thèse de l'auteur chilien me laisse dubitative (dernier paragraphe)... c'est peut-être vrai dans son pays (l'Amérique latine a beaucoup de nouvellistes et de lecteurs de nouvelles, contrairement à la France). Le lien direct qu'il établit entre le roman et la nouvelle, leur bonne santé liée, je n'y crois pas un instant, en France.
RépondreSupprimerL'ennui avec les articles de ce genre est qu'ils ne sont pas étayés par des études dites sérieuses. Il s'agit donc de "sentiments", beaucoup d'affirmations dans ce domaine n'obéissent d'ailleurs pas à des critères de recherche et chacun peut croire (ou pas) à des conjectures séduisantes (ou pas) et cela demeure subjectif.
SupprimerMoins péremptoire que vous, je suis néanmoins sensible (un "sentiment" toujours) à l'esprit général de l'hypothèse.
Avez-vous lu "La nouvelle de A à Z" de René Godenne ? Une bible sur l'histoire de la nouvelle, bible écrite par un belge, passionnant !
RépondreSupprimerAu moment de vous répondre je ne remets pas la main sur le livre de Godenne que je possède, il ne s'agit pas de ce titre là, mais d'un inventaire de la nouvelle belge, en collaboration avec Vincent Engel.
SupprimerAu temps où je lisais beaucoup de nouvelles, je m'étais beaucoup informé sur le sujet, aujourd'hui mon rythme de lecture a baissé et j'ai mis ces livres de côté. Je note le A à Z, de toute façon, RG est une référence. Merci de le rappeler.
J'ai pensé un temps me consacrer uniquement au genre court (en tant que lecteur), qui correspond bien à mes rythmes, à mon tempérament, à mes disponibilités, mais je passais à côté de tant d'autres choses que je ne m'y suis pas résolu !
Le sujet est intéressant, mais je lis trop peu de nouvelles pour juger de cette évolution liée des genres.
RépondreSupprimerQuant au roman contemporain, il me semble avoir mille visages, c'est le genre littéraire qui m'a toujours paru le plus libre de tous ! Je lirai donc la suite avec curiosité.
Je ne suis pas un adepte féroce des formes littéraires novatrices. Il arrive que j'en sorte épaté, comme je peux respirer sereinement, heureux, dans un classique de Balzac. C'est la variété qui en fait sa richesse, le roman est libre, oui, vive le roman !
SupprimerAvant de verser quelques larmes, quand même, avec Rouault ?
Inconnu, ou presque, sur les sites en espagnol ce monsieur. Sa vie, son œuvre sont en France donc.
RépondreSupprimerL'idée qu'il y aurait des catégories étanches, que la recherche d'une écriture "différente" se réaliserait uniquement dans l'une et pas l'autre, nouvelle-roman me semble bien fantaisiste.
Ce qui est certain, comme le dit Pascale, (et vous avez pu en lire de temps en temps des exemples sur Espaces Instants), c'est que les auteurs et poètes sud américains aiment explorer, innover, et que c'est parfois fort intéressant.
Bon dimanche Christian.
Je ne comprends pas ce que vous voulez dire à propos de catégories étanches, il me semble que c'est plutôt le contraire qui est esquissé. Soit.
SupprimerBon dimanche.
Vous avez raison bien sûr, désolée. Va falloir me concentrer un peu plus!;-))
SupprimerCeci dit, j'aime beaucoup lire des nouvelles, comme vous dites, petits morceaux de vie...
Pardonnez-moi, Colette, j'étais surpris par votre avis, je comprends que chacun et chacune qui tient à laisser un mot sur les blogs visités ne souhaite pas nécessairement y réfléchir des heures, moi le premier.
SupprimerPour rejoindre ce que vous dites à propos de la littérature sud-américaine, l'auteur de l'article observe la même chose que vous, y trouve une pratique de la nouvelle (et de la poésie) forte et vivante. Il y constate pareillement "un roman polyphonique, complexe, ample et puissamment architecturé aux antipodes du roman monologique qui domine dans la littérature française" (sic). Il établit dès lors un lien entre les deux. Qui reste à prouver, mais je trouve que l'idée est belle. D'où l'envie de signaler l'article.
Pascale fait bien de signaler que la nouvelle se perpétue dans la littérature francophone, il y a de belles choses qu'il suffit d'aller chercher où elles se trouvent.
L'hiver peine à se retirer ici ; je suppose que chez vous c'est du vrai printemps, profitez-en bien.
Je repasserai par ici, bien sûr. Je ne savais pas que la Quinzaine littéraire existait toujours.
RépondreSupprimerChaque quinzaine, pour les inconditionnels certainement, difficile à trouver en vente au numéro ici à Liège.
SupprimerJe suis un peu étonnée par le contenu de cet article car j'ai l'impression qu'il y a encore de nombreux livres français avec de nombreux personnages. Enfin, j'imagine que l'auteur a étudié son sujet...
RépondreSupprimerEn revanche, pour la réconciliation du public avec le genre décliné sous la forme de polars, romans de SF, etc, il suffit d'aller en librairie régulièrement pour en être convaincue.
Comme les autres commentateurs, j'attends bien sûr la suite ;-)
Bonjour Margotte, content de vous revoir après une longue absence.
SupprimerComme vous, je suis étonné, mais pour une raison inverse, car peu de commentaires ont été sensibles à l'idée de l'article mentionné. Je remanie d'ailleurs l'introduction de mon compte-rendu qui n'est peut-être pas assez explicite. Il se peut aussi que ma sensibilité au thème soit un fait personnel et isolé.
Le fait qu'il y ait de nombreux personnages dans un roman était déjà le fait des classiques,
je pense que c'est dans la manière de leur accorder une voix que l'article décèle une carence du roman francophone contemporain.
Bonne fête de Pâques, à bientôt.
je réagis un peu tard mais je suis intéressée par cet article, je trouve aussi que les romans français ont tendance à raccourcir et à se concentrer sur un sujet et je dois dire que j'apprécie cela , je n'aime les gros romans que plus rarement et presque toujours quand ils viennent de l'étranger. Bizarre!
RépondreSupprimerVous n'êtes pas trop tard, je suis content d'accueillir votre commentaire sur ce sujet.
SupprimerLa tendance au linéaire court est une tendance de l'époque où on veut tout simplifier (alors que rien ne l'est) et il faut aller vite et donc consommer beaucoup.
Lorsqu'il s'agit de gros romans, j'aime les voix multiples, les fortes architectures compliquées. C'est plus souvent le fait de romans anglo-saxons.
Bonne fin de soirée Luocine.