Ta fièvre me fait penser
aux oiseaux de passage qui heurtent les phares
dans les soirs de tempête :
ta douceur est une tempête aussi,
elle tourbillonne sans apparaître
et ses pauses sont encore plus rares.
Je ne sais comment, exténuée, tu résistes
en ce lac
d'indifférence de ton cœur ; peut-être
une amulette te sauve-t-elle, que tu gardes
près du bâton de rouge,
de la houppette, de la lime : une souris blanche,
d'ivoire ; et ainsi tu existes !
Eugenio Montale - Dora Markus
Pourquoi quelques lignes de poésie retiennent-elles jusqu'au trouble ? La souris d'ivoire à côté d'un bâton de rouge ? Une tempête sur un lac d'indifférence ? Un parfum, un regard parfois suffisent, ici les mots du poème m'ont donné à retenir une inconnue, imaginée et soudain très présente en moi. En nous ?
Faisant le chemin de Montale qui partit d'une photo pour la faire exister dans l'écriture – d'une photo de cette jeune juive Dora qu'un ami lui envoya et qu'il ne rencontra jamais – je lui redonne vie ici, ainsi que d'autres, touchés, ont voulu le faire à leur façon.
Ce court passage trouvé dans "Une année avec les classiques" est commenté par Nuccio Ordine. Il souligne le jeu des oppositions qui fait la force du poème : "Suspendu entre la fixité et l'inertie, entre la vision et l'absence de vision, entre l'agitation et l'indifférence, le "salut" pourrait résider dans une minuscule amulette (la souris blanche en ivoire) [...]".
Les contradictions du texte (douceur tempête, résistance indifférence, blanc rouge, etc.) confèrent à la jeune femme un magnétisme énigmatique.
J'aime parce que je trouve ça beau.
RépondreSupprimerAh Montale... !
RépondreSupprimerLes décalages subtils permettent par la variation de l'angle de changer le regard...
RépondreSupprimeroui, puis on est en 1939 et la jeune femme est juive...
SupprimerLa beauté des enjambements.
RépondreSupprimerJambes et enjambements : joli.
SupprimerÀ ce propos, j'ai restitué les sauts de ligne tels qu'ils se présentent, sous la contrainte d'une page étroite, dans le livre de Nuccio Ordine. Il est peut-être indiqué de se reporter à la version originale par le lien proposé vers la fin du billet.
Jolis enjambements, en effet, qui jouent à nous enjouer par leur joliesse ;-)
RépondreSupprimerEt ces allitérations me mettent en joie... Merci Margotte.
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