10 août 2016

De quel sommeil dormons-nous ?

"Le capitalisme est un caméléon, qui, parti des nations libres, se coule dans les structures d'États totalitaires ou autoritaires, voire d'États vacillants ou effondrés."

Il est légitime de critiquer la pensée libérale, mais le capitalisme paraît désormais irréversible, train lancé à grande vitesse, accéléré par la mondialisation si bien que toutes les sociétés utopiques dont nous rêvons semblent devoir s'en accommoder. Dès lors, s'il faut que tout repose sur la croissance économique, au grand dam de la planète épuisée, il s'avère utile d'écouter l'avis d'un expert libéral.

La carte de visite de Nicolas Baverez le qualifie pour porter un avis sur la situation économique et politique de la France, de l'Europe et du monde. Avec "Réveillez-vous"(2012), huit ans déjà après "La France qui tombe", l'économiste français maintient le cap et prévient que la grave crise économique de la mondialisation reste devant nous. L'attitude irréaliste des responsables politiques, français en particulier, contribuerait à l'imminence d'une grande dépression.  
La crise est à venir
Quelle conjoncture pèse sur la croissance, l'investissement et l'emploi ? 
La dépression sévit sans interruption depuis 2008 et il est urgent de se doter au nord d'un appareil de production innovant et compétitif qui devra mobiliser d'importantes ressources. Mais celles-ci seront fortement concurrencées par les besoins d'un urgent désendettement des États, du financement de la protection sociale dû au vieillissement de la population et de la gestion des ressources naturelles devenues rares et coûteuses. 
La violente déflation de 2008 fut enrayée par le renflouement des banques, un plan de relance portant sur les grands pays développés et la Chine, puis par la condamnation du protectionnisme par le G20 (né de cette déflation). Mais ceci a entraîné une explosion de l'endettement des pays développés sans précédent en période de paix.
Le capitalisme n'est pas régulé par des instituons et des normes ; le leadership des États-Unis au vingtième siècle n'existe plus ; les stratégies restent nationales, surtout en zone euro ; la politique monétaire arrive en butée ; le Japon échoue depuis 20 ans à contrer la déflation malgré l'envolée de sa dette publique ; celle des pays de la zone euro entre dans une spirale et les bilans bancaires y sont déstabilisés. 
L'union bancaire, fiscale et budgétaire de la zone euro est souhaitable mais empêchée par le repli nationalise des États membres et par une opinion publique hostile à l'Europe avec la montée des populismes.
La sortie de crise passe par l'innovation technologique, sociale et institutionnelle que gênent le malthusianisme(1), le corporatisme et le protectionnisme(2).  
Les démocraties en difficulté engendrent un vide stratégique et géopolitique tandis que les pays émergents ne collaborent pas beaucoup aux propositions de stabilisation financière mondiale, de commerce, de protection de l'environnement ou de sanction contre les États en rupture de ban avec la communauté internationale. L'absence de leadership augmente les risques de chocs et de violences.

Les mondes morts

"Trois mondes sont morts qui ne reviendront plus" constate Baverez :
  1. Celui de la mondialisation triomphante portée par les pays émergents, l'ouverture des frontières et la dérégulation et l'innovation financière. 
  2. Celui de l'euro conçu par le traité de Maastricht. 
  3. Celui de la "nation-providence à crédit".
L'État a la clé
L'État a perdu le monopole de la régulation légitime. La création de la monnaie a basculé dans les systèmes bancaires officiels et officieux. La dette obéit aux marchés. La croissance a pour moteur les entreprises et non les technocrates(3). Fukushima a montré les carences du gouvernement japonais pour la prévention des risques et les capacités de réaction aux catastrophes. 
Néanmoins, l'État reste la clé de sortie de crise car il détermine des équilibres fondamentaux dans l'ouverture des nations, dans les rapports entre générations, dans la balance entre l'épargne et la consommation, entre le risque et la protection. 
Mais il est indispensable de créer un nouvel équilibre entre l'État et les marchés.

Protéger l'entreprise
Baverez insiste sur le rôle de l'entreprise : celle-ci ne doit pas être réduite à son capital et à sa valeur au cours de ses actions. "La foi dans l'autorégulation des marchés reposait sur le principe que les actionnaires et les dirigeants défendraient le développement pérenne de l'entreprise. En réalité, ils ont privilégié leur enrichissement immédiat au détriment de la croissance à long terme."
Si la régulation des marchés est nécessaire, la réforme du capitalisme mondialisé passe par la reconnaissance de l'entreprise comme une institution à part entière. Une institution à protéger par des règles compatibles avec des stratégies de long terme et soumise à un principe de responsabilité qui s'applique à elle-même et à ses parties prenantes : salariés, actionnaire, clients.
© Florian Rouliès

L'Europe endettée
Les chiffres européens sont éloquents : l'endettement public culmine à 94% du PIB contre 35% dans les pays émergents ; les engagements de retraite s'élèvent à 440% du PIB, les droits de tirage sur le système de santé à 250% du PIB. Excepté les pays du nord du continent, l'Europe est devenue l'otage des modèles de croissance à crédit caducs et d'États-providence qui, affirme Baverez, sont insoutenables au regard de la croissance démographique et d'une croissance en chute. 

Dans un second article, les recommandations proposées par l'économiste, adressées aux sphères dirigeantes et aux citoyens, pour éviter de glisser vers une dépression mondiale.  


(1) m
althusianisme économique : ralentissement volontaire de la production afin de ne pas déprécier sa valeur par une offre trop abondante.

(2) protectionnisme : limitation de l'accès aux marchandises, services et capitaux étrangers
(3) technocratie : le pouvoir par des experts spécialisés

8 commentaires:

  1. Excellent, le dessin de Florian Rouliès !

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    1. Je tenais à nuancer le propos dogmatique de Nicolas Baverez !

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  2. Jusqu'au dernier paragraphe je me demandais s'il y avait du positif, des suggestions, des pistes à suivre...il semble que oui.
    Mais qui l'écoutera, ou comment l'écoutera-t-on?

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    1. Dans la seconde partie, je résumerai les leviers proposés par Baverez, ils sont d'abord politiques.

      Le livre était aussi l'occasion pour moi d'approfondir des notions d'économie qu'on cite tous les jours et dont on connaît mal les implications.

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  3. C'est le dessin que je retiens ! J'entends régulièrement des économistes et des essayistes sur France Culture et il y a autant d'avis que d'intervenants. Difficile au néophyte de démêler quoi que ce soit.

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    1. Oui, l'économie est un domaine que l'on (je) comprend(s) mal et il faut bien avaler tout cru les explications des experts. Par ce livre, j'essaie d'y comprendre quelque chose et de sortir quelques grandes lignes. Si j'ai pu aider quelqu'un à y voir clair, ne fût-ce que par une définition, ce sera ça de gagné...
      Je pense aussi que c'est un domaine où les prévisions sont bien plus difficile qu'en météorologie, mais son influence sur le cours de nos vies futures est capitale avec la mondialisation.
      Enfin, je trouve que la vieille et belle Europe ne se porte pas bien.

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  4. Attendons l'épisode 2, le 1 étant pour le moment et sans surprise assez dogmatique... merci cher Christian en tout cas !

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    1. Je ne sais pas si les remèdes proposés seront plus surprenants : le livre permet de faire le point et de s'informer sur les notions d'économie (Je ne comprends pas toujours bien certains mécanismes comme ceux des leviers des banques centrales, les taux, etc...)

      Il me semble que ce qu'écrivait l'auteur en 2012 reste valable (hormis la composante terrorisme). Tout cela vu du point de vue de cet économiste libéral, bien entendu.

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