4 décembre 2016

Un vieux livre yiddish

Traduit du Yiddish par Gisèle Bernier (1965, Stock)

Ce vieux livre d'occasion jauni, une relique, offre un aspect immémorial et si étrange – la tête d'Isaac Bashevis Singer en couverture paraît un fantôme – qu'y plonger, sans rien en connaître, s'apparente à entrer dans un autre monde, un peu magique, peuplé d'êtres aux coutumes singulières, aux prises avec des croyances et des puissances surnaturelles très envahissantes : bref, dépoussiérer l'inconnu, joie d'archéologue. Les nouvelles qui le composent ne sont pas si anciennes, leur écriture remonte à une cinquantaine d'années (1961 à 1964).

Je suis venu à cet auteur pour avoir gardé en mémoire l'admiration que lui voue le nouvelliste américain Richard Burgin (L'écume des flammes). Dans la tradition des conteurs yiddish, Singer mêle la vie quotidienne et le merveilleux dans une satire des mœurs juives contemporaines. Les êtres surnaturels, esprits malins, ressuscitent la culture hébraïque et travers et problèmes sexuels sont abordés sous le couvert de démons malicieux. "Nombre de ses livres évoquent dans un mélange d'humour, de grotesque, de noirceur et de fantaisie narrative et verbale, la vie des Juifs polonais avant la Seconde Guerre mondiale." lit-on sur Wikipédia. Des onze nouvelles de ce recueil, deux ne se déroulent pas dans une communauté juive provinciale de Pologne, dont l'une des deux, "Seul", est ma parmi mes préférées, pour des raisons liées au champ fantastique et à son traitement épuré.

Le style, la progression des intrigues, la singularité et le comique des situations m'ont fait éprouver l'envie de lire chaque récit – le mot "conte" convient très bien – à voix haute, pour une oreille amie, ce qui témoigne de la réussite du conteur. Car le texte est traduit du yiddish, une langue orale avant tout, dont on dit qu'elle est celle de l'humour, de la dérision, de l'absurde, une langue insolente et narquoise. Le prix Nobel de littérature 1978 étant réputé pour en être un orfèvre, espérons que la traduction française rend suffisamment l'ampleur de ce talent.

"Tous les personnages de l’univers de Singer, tous ces humbles, ces pauvres, ces riches, ces excentriques, ces fous et ces sages, ces anonymes de la vie juive pour lesquels il nous fait partager une immense tendresse, tous ces personnages ont été des vivants, mais ont été exterminés et la Pologne n’est plus irrémédiablement pour Singer – et pour quelques autres – qu’un espace vide, qu’un cimetière sans tombe nimbé de cendres qui doucement chantonnent en yiddish. Singer qui, du fait de son exil new-yorkais, a échappé au massacre, a dressé son œuvre comme une stèle face à un ciel de silence, comme un défi à l’oubli, comme une véhémente affirmation vitale contre la mort. Comme le double désormais éternellement palpitant d’un original à jamais disparu." (Paul Fuks - Isaac Bashevis Singer et ses doubles).

Un extrait demain.

14 commentaires:

  1. Dans les années soixante dix, je ne manquais pas la parution d'un livre d'Isaac B. Singer, j'en aimais beaucoup les histoires et l'atmosphère. J'y reviendrais volontiers.

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    1. N'hésitez pas à le revisiter, on y trouve la joie simple du conte malin et goguenard.

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  2. Oh, le genre de textes (contes-récits) qui m'attirent énormément! Un grain folie et d'étrangeté qui doit faire du bien.
    Merci beaucoup et bonne journée Christian.

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    1. «Folie et étrangeté», oui, c'est moqueur aussi. Et pas moralisateur.
      Bon dimanche Colette.

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  3. Dans les années 80 (et un peu après aussi)(effet prix Nobel?)j'ai découvert avec bonheur cet auteur, mais seulement avec des romans.

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    1. Je n'ai pas de roman de Singer sous la main, j'y viendrais volontiers. Je l'ai déjà souligné, les genre de la nouvelle me correspond bien.
      Le succès de Singer est venu en partie lors de sa traduction aux States par Saul Bellow, je pense bien.

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  4. il y a folie et drôlerie dans ses contes mais aussi dans certains romans
    un auteur dont je ne me suis jamais lassé

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    1. J'espère donc découvrir bientôt un de ses romans, merci Dominique !

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  5. j'aime bien cet auteur qui est le témoin d'une civilisation disparue en laissant quelques grands noms dans la littérature

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    1. Singer peut être considéré comme un grand nom, oui, au vu des nouvelles que j'ai lues.

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  6. Merci d'attirer mon attention sur lui, excellente idée !

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  7. J'aime beaucoup comme vous racontez votre lecture, Christw.
    (Lu Saul Bellow fort tard, il n'est donc pas trop tard pour Singer.)

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    1. Ah mais merci Tania, c'est du vécu :-)
      Ce vieux bouquin est une bonne surprise.

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