"Pierre est gai, facile à vivre. Pas bavard, je n’aime pas les hommes bavards. Il est à ma disposition sans être un mou et un asservi. Il est tendre. J’aime sa peau. On se connaît par cœur. Je lui reproche son amour trop inconditionnel. Il ne me met pas en danger. Il ne me magnifie pas. Il m’aime même laide ce qui n’est pas du tout rassurant. Il n’y a pas d’électricité entre nous, y en a-t-il eu jamais ? Quel inventaire pitoyable ! Je suis le sapin du conte d’Andersen. Qu’advienne quelque chose de plus vivant, de plus enivrant ! Qu’importe la forêt, la neige, les oiseaux, le lièvre, le sapin ne jouit de rien car il ne pense qu’à grandir, être plus haut pour contempler le monde. Quand le voilà grand, il rêve d’être abattu et emporté par les bûcherons pour devenir un mât et traverser les mers, quand ses branches sont assez fournies, il rêve d’être abattu et emporté pour devenir un arbre de Noël. Le sapin languit, le désir le tue. Dans le salon chaud, alors qu’on le coiffe, qu’on le décore, qu’on lui accroche des filets de bonbons, qu’on pose sur sa tête une étoile, il rêve du soir et des bougies sur ses branches, il rêve que la forêt entière se colle aux carreaux pour le jalouser. Quand il est seul dans le grenier, nu, sans épines dans le froid de l’hiver, il se rassure en espérant le retour du printemps et du dehors. Quand il est dans la cour, gisant flétri à côté des nouvelles fleurs, il regrette son coin noir du grenier. Quand arrivent la hache et l’allumette, il pense aux anciens jours d’été, là-bas, dans la forêt."
Yasmina Reza - Babylone
La métaphore est belle, cruelle comme la vie peut l'être.
RépondreSupprimerBelle et cruelle, la vie nous fait rire et pleurer. Le plus triste serait qu'il n'y ait ni l'un ni l'autre.
Supprimertriste? non au moment de noël mais bien écrit.
RépondreSupprimerÀ Noël ou autrement, l'histoire est cruelle, comme déjà dit, amère comme la vie peut l'être.
SupprimerSinon, pas triste Luocine, je me réjouis de voir venir les fêtes et le sapin n'a pas les les gravités du sapin d'Andersen. Je l'ai trouvé joyeux en le remontant de la cave, hier justement.