"Camille [Desmoulins] propose au peuple la colère. Il grimpe sur une table devant le café de Foy. «On prépare une Saint-Barthélemy des patriotes», lance-t-il. C'est sa formule la plus célèbre, son moment de grâce. Le mot patriote est alors une sorte de sésame. La foule tombe d'accord. Les paroles du jeune homme font écho à nos peurs, à l'inquiétude qui monte, au manque de pain. Oui, on prépare une Saint-Barthélemy. Mais on n'y arrivera pas. Le comte d'Artois n'entrera pas à la tête de ses mercenaires dans Paris. Les petits mots de Camille ricochent partout, ils pissent, ils suintent, ils sont la forme de ce monde ; comme ceux de Mirabeau, ils touchent à une matière sans preuve, un stigmate, une foi ; loin du menuet du langage, ils sont un signe, compréhensible à tous et pourtant insondable ; ce sont les mots de tout le monde."
Éric Vuillard, dans "14 juillet", fait passer quelques vedettes de la révolution en vingt lignes, comme le jeune avocat Camille Desmoulins ou le délégué Thuriot dont Jules Michelet fit une gloire. Mais il faut surtout que la figure du sans-culotte s'efface pour "les quedalle", les anonymes, les Bizot, charpentier, Delâtre, buraliste, Cassard, tapissier, Drolin, serrurier, Desplats, maréchal-ferrant, Duffau, cordonnier, Évrard, passementier, Feillu, ouvrier en laine, Estienne, inconnu, pour n'en citer qu'une dizaine... "Ah ça en fait des mammifères, des petits bonhommes de Breughel", sans eux il n'y a pas de foule, pas de masse, pas de Bastille, "Ainsi, même quand il ne reste rien, seulement un nom, une date, un métier, un simple lieu de naissance, on croit deviner, effleurer. Il semble qu'on puisse entrevoir un visage, une allure, une silhouette. Et, entre les mâchoires du temps, on croit parfois entendre des voix, [...]".
Ce qui nous offre une prise de la Bastille comme on ne la lut jamais. À distance du classique historique "Quatre-vingt-treize" de Hugo, Vuillard fait un roman sans personnages où les noms défilent, où le peuple défile.
Nous parvient aussi un flot de mots vieillots qu'on aurait crus abandonnés sur les vieilles barricades : tire-jus, marigot, gâtine, mandorle, casaquin, rogatons, gavotte, argotier, bouterolle, corroyeur,... Courir au dictionnaire quelquefois, mais c'est gênant, et on laisse le timbre des termes vaguement saisis couler dans le flux des sensations, des rumeurs et des humeurs, de la poudre et des boulets, des cris aux pieds des murs assiégés et des drapeaux enfumés en haut des tours de la forteresse ravie. L'écrivain français, si juste dans "Tristesse de la terre", maintient avec ce dernier texte une vigoureuse littérature personnelle.
Comme le souligne un intéressant article (Les lettres françaises) signé Victor Blanc, l'engagement de l'auteur est manifeste, avec ce que cela comporte de partialité et de questions politiques assumées : "On devrait plus souvent ouvrir nos fenêtres. Il faudrait de temps à autre, comme ça, sans le prévoir, tout foutre par-dessus bord. Cela soulagerait. On devrait, lorsque le cœur nous soulève, lorsque l’ordre nous envenime, que le désarroi nous suffoque, forcer les portes de nos Élysées dérisoires". Et puis de l'ironie pour cingler les nobles, les affameurs.
Ce qui nous offre une prise de la Bastille comme on ne la lut jamais. À distance du classique historique "Quatre-vingt-treize" de Hugo, Vuillard fait un roman sans personnages où les noms défilent, où le peuple défile.
Nous parvient aussi un flot de mots vieillots qu'on aurait crus abandonnés sur les vieilles barricades : tire-jus, marigot, gâtine, mandorle, casaquin, rogatons, gavotte, argotier, bouterolle, corroyeur,... Courir au dictionnaire quelquefois, mais c'est gênant, et on laisse le timbre des termes vaguement saisis couler dans le flux des sensations, des rumeurs et des humeurs, de la poudre et des boulets, des cris aux pieds des murs assiégés et des drapeaux enfumés en haut des tours de la forteresse ravie. L'écrivain français, si juste dans "Tristesse de la terre", maintient avec ce dernier texte une vigoureuse littérature personnelle.
Comme le souligne un intéressant article (Les lettres françaises) signé Victor Blanc, l'engagement de l'auteur est manifeste, avec ce que cela comporte de partialité et de questions politiques assumées : "On devrait plus souvent ouvrir nos fenêtres. Il faudrait de temps à autre, comme ça, sans le prévoir, tout foutre par-dessus bord. Cela soulagerait. On devrait, lorsque le cœur nous soulève, lorsque l’ordre nous envenime, que le désarroi nous suffoque, forcer les portes de nos Élysées dérisoires". Et puis de l'ironie pour cingler les nobles, les affameurs.
Une fois n'est pas coutume, parlons objet-livre, pour saluer le format Actes Sud réduit de deux centimètres et demi en hauteur, la couverture mobile souple satinée, avec dessous la vraie un peu gaufrée, c'est presque un livre de luxe. Un objet pratique, agréable aux yeux et aux doigts, un bonheur de lire participe aussi de cela.
Entretien avec Éric Vuillard autour de ce livre aux rendez-vous de l'histoire de Blois (2016).
Entretien avec Éric Vuillard autour de ce livre aux rendez-vous de l'histoire de Blois (2016).
Addendum [15 mai 2017] : article de Véronique Bergen dans "La Nouvelle Quinzaine Littéraire" (n°1160, novembre 2016). Elle y relève "la richesse lexicale, la beauté vive et sans apprêt du style" et jauge l'auteur : "L'écriture véloce suit le mouvement de la fabuleuse effervescence d'un peuple déterminé à briser ce qui le brise, à épouser la cause de la liberté, quitte à tutoyer la mort. Rares sont les écrivains à pouvoir, comme Éric Vuillard, porter le verbe au point où il soulève les matières, la pâte même du réel, et pas seulement des images."
Au sujet du dernier paragraphe : je ne pouvais rien remarquer, je l'ai emprunté en bibli, donc recouvert.
RépondreSupprimerMais je confirme la qualité du contenu. J'ai eu la chance d'assister à une 'lecture' de son roman par l'auteur (il n'a pas hésité à lire plusieurs chapitres, et s'est prêté au jeu des questions réponses; vraiment intelligent et passionnant)
Oui, ça résonne parfois sur notre monde à nous...
Voilà un auteur que j'aimerais écouter se lire, il a un "tonalité" bien à lui. C'est déjà son huitième roman et la qualité demeure.
SupprimerJe trouve que le sujet, avec certains passages sur l'économie (le banquier Necker) et la dette de la France déjà en ce temps-là, a des relents contemporains.
La bibliothèque où j'ai emprunté "14 juillet" ne l'a(vait) pas (encore) recouvert.
Supprimerje l'ai noté mais j'avoue que la période révolutionnaire ne me passionne pas tant elle a été entachée d'à peu près, d'exagération, voire d'erreurs manifestes
RépondreSupprimerje suis un rien sceptique, c'est une période sensible et c'est la seule que j'ai trouvé un rien partiale dans le livre histoire mondiale de la France
Il est vrai qu'il est gênant qu'un livre d'histoire soit partial. Mais il s'agit ici d'un roman, l'auteur reprend quelques figures à peine esquisées dans les archives historiques, pour en faire des personnages furtifs mais bien présents. Ils passent, sans revenir plus loin dans le texte, des célébrités sont traitées de la même maniére.
SupprimerJe n'ai été vers ce livre pour le fait histoirique mais pour le talent particulier de Vuillard dans le traitement de ses sujets.
J'ai l'intention de le lire ; la révolution française vu sous un angle inhabituel, ça m'intéresse et puis je n'ai pas lu sur le sujet depuis longtemps, ça rafraîchira mes connaissances.
RépondreSupprimerOn est loin du traitement classique d'un moment historique, c'est très bien rendu, le parti-pris contre les "affameurs" est évident.
SupprimerCadeau cadeau! voici un entretien lors des rendez vous de l'histoire de Blois en 2016, avec Vuillard bien sûr et notre blogueuse Sandrine de tête de lecture!
RépondreSupprimerMerci Keisha, mais dites-moi comment y accéder...?
Supprimer(NB : il y a quelques lectures de Vuillard sur le site Actes Sud, rubrique "Voir et écouter").
Oups, j'ai juste oublié le lien
Supprimerhttps://www.youtube.com/watch?v=hfkq4kYwW_Q
Merci, avec les renseignements que vous m'aviez donnés, je l'avais trouvé et ajouté en fin du compte-rendu. C'est intéressant(dommage pour le son un peu juste).
SupprimerBonsoir Christw, un très bon livre dont j'ai beaucoup apprécié l'écriture. On s'y croirait (le 14 juillet). Bonne fin d'après-midi.
RépondreSupprimerBonsoir Dasola, c'est toujours un plaisir de voir que d'autres ont apprécié une lecture pointée par un copmte-rendu. C'est vrai, on se croirait dans ce 14 juillet 1789.
SupprimerComme Aifelle, je vais le lire; très attirée par ce regard original et par ce langage "oublié" et si fleuri.
RépondreSupprimerMerci pour les belles illustrations aussi.
Bon week-end Christian.
200 pages, pas chronophage, j'espère que vous y trouverez du plaisir Colette.
SupprimerBon week-end, à bientôt.
J'ai beaucoup aimé le style, j'ai été emporté par son souffle. Et puis ça fait du bien de mettre des noms sur des anonymes qui ont eu tant d'importance.
RépondreSupprimerC'est très juste.
SupprimerJ'ai aussi bien aimé ce livre et son parti pris. Sur ce thème et d'une manière plus didactique je conseille l'ouvrage de l'historienne Michelle Zancarini-Fournel: "Les luttes et les rèves. Une histoire populaire de la France de 1685 à nos jours." (La Découvere-2016)
RépondreSupprimerEn 4ième de couverture: "C’est cette histoire de la France « d’en bas », celle des classes populaires et des opprimé.e.s de tous ordres, que retrace ce livre, l’histoire des multiples vécus d’hommes et de femmes, celle de leurs accommodements au quotidien et, parfois, ouvertes ou cachées, de leurs résistances à l’ordre établi et aux pouvoirs dominants, l’histoire de leurs luttes et de leurs rêves."
Intéressant cet ouvrage de M. Zancarini-Fournel, c'est noté.
SupprimerHors-sujet, je vais poursuivre "L'éloge de la fuite" (Laborit) dont le début m'avait attaché en ebook et que j'ai acheté pour disposer d'un exemplaire papier en bon état (il faut parfois du temps pour en arriver aux livres conseillés, la disponibilité que voulez-vous).
J'ai lu beaucoup d'articles positif sur ce livre. Je n'ai rien lu de cet auteur. Pourquoi pas celui-là.
RépondreSupprimer"Tristesse de la terre" m'avait beaucoup plu également.
Supprimerj'ai beaucoup aimé le style de cet auteur, On sent un élan, un souffle qui permettent de comprendre ce qui s'est passé, et puis j'ai aimé aussi sa recherche sur les anonymes de cette révolution. Ceux sans qui rien ne ce serait passé et dont on ne connaît même pas les noms.
RépondreSupprimerDe fait, les anonymes sont des oubliés de l'histoire, alors qu'ils jouent un rôle important, sinon essentiel,particulièrement dans les mouvements tels que celui du 14 juillet.
Supprimerencore une remarque les dates sont bizarres sur ce blog l'article apparaît le 22 mars et les réponses en avril? étrange, je sens que le 14 juillet va être déplacé en mai!!!!
RépondreSupprimer22 mars 2017
À l'assaut de la Bastille
Je ne vois pas bien ce que vous voulez dire. J'ai reçu ce commentaire aujourd'hui, je n'aurais su le publier plus tôt !?
SupprimerQuant aux personnes qui se manifestent en avril pour un article publié en mars, cela me rassure plutôt, certains choisissent le moment de visiter le blog à leur convenance, je présume. Peu importe quand.
Quant à vous, c'était déjà le 28 mars, non ?