25 janvier 2018

Il arrive à ma mère ...

Il arrive à ma mère d'oublier qu'elle est morte, et de rire derrière sa machine à coudre, et de manger mes joues de baisers passionnés. Divorce ! lui dis-je. Marie-toi avec monsieur Aznar qui me donne une orange chaque fois que je passe devant son étalage. Ou pars avec moi vivre à Fatarella où tu es née, près de ta sœur Consuelo qui a des bras de boucher et la force d'un karatéka. Divorce, lui dis-je, et partons.
Ma mère rit d'un rire de jeune fille. Du même rire qui irise son visage sur la photographie où elle pose en tenue de soldate, le poing brandi.
Mais son rire se brise dès que mon père pousse la porte.
Et ma mère recommence à mourir.

Lydie Salvayre - La puissance des mouches

8 commentaires:

  1. Je retrouve la force et la puissance d'évocation de Lydie Salvayre. Vous me donnez envie de relire ses premiers romans, les plus percutants à mon avis.

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    1. Une bonne relecture, peut-être ?
      Bon week-end Aifelle.

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  2. quel beau passage ! et quelle horreur que ces tyrans domestiques!

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    1. Ils ne sont pas que de fiction, malheureusement.

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  3. Le passage, brillant, confirme mon sentiment après lecture du billet sur le roman !

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    1. Le comportement de ce fils, une fois marié, souffrira de l'image d'un tel père, au point d'être aussi désagréable avec son épouse (sans les coups). À méditer.

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  4. J'ai lu plusieurs livres de Lydie Salvayre, et honte sur moi, je les confonds, et en ai même oubliés. Il n'empêche que je sais son style brillant. Brillant et froid. Comme du métal. Il me semble ...

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    1. C'est bizarre les ressentis : froid Comme du métal ? Votre image restitue bien l'effet que produit cette auteure sur vous. Dur et froid.
      Oui d'une certaine façon, on peut ressentir de la froideur dans ces regards corrosifs ; j'y vois aussi une vaillance rageuse, car ainsi regarder de front la noirceur du monde et en faire un texte réussi est une aptitude que je salue.
      Mais je ne cache pas qu'à l'issue de cette histoire, si j'avais dû donner une note globale, elle aurait pu être diminuée par le malaise qu'induit la tristesse du sujet.

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